Des étudiants de la fac de Tours ont participé à la création d'un livre présentant des recettes des 15e et 16e siècles, venues des Amériques et du Moyen-Orient. Un véritable recueil de cuisine à mettre en pratique, sorti au mois de mars.
Le 19 mai prochain, les Français pourront renouer avec le plaisir des restaurants, tout du moins en terrasses. Et si les restaurants indiens, chinois, thailandais, japonais, italiens ou encore mexicains viennent offrir, en nombre, des voyages gustatifs à nos papilles, d'autres saveurs restent bien rares... voire introuvables.
Si vous avez des envies de cuisine aztèque des 15e et 16e siècles, de mets ottomans du temps de la prise de Constantinople, ou encore de saveurs amérindiennes à l'époque des premiers trappeurs québecois venus d'Europe, la fac de Tours est là pour vous.
Un travail de cours devenu livre édité
Une douzaine d'étudiants du master "Cultures et Patrimoines de l'Alimentation" (CPA) ont réalisé un recueil de recettes anciennes, baptisé Cuisine d'ailleurs et d'autrefois, paru en mars aux éditions La Muse. "Tout est parti d'un travail de cours, où il fallait recréer une recette, axée sur une période allant de la fin du Moyen-Âge au 19e siècle, de partout dans le monde sauf en France", explique Laurine Gobert, l'une des étudiantes à l'origine du projet.
Ce travail leur avait été proposé par Fabian Müllers, chargé d’enseignement à l’Université de Tours, doctorant, historien médiéviste et "archéologue du goût". Autrement dit : une pointure.
Les étudiants se sont alors répartis en trois groupes : le Canada, les Aztèques et les Ottomans. "On s'est documentés sur l'alimentation qui était la plus commune à l'époque", en fonction de ce qui était trouvable et comestible sur place, et de quelques particularités locales. Par exemple, "au Canada, comme il fait froid, ce sont des repas extrêmement caloriques", note Laurine Gobert. Quant aux Aztèques, tout -de l'entrée au dessert- contient du maïs, céréale alors endémique aux Amériques.
Ce travail collectif a "tellement plu à Fabian Müllers qu'il s'est dit qu'on devrait en faire un livre", se réjouit-elle.
Cinq siècles d'évolution des goûts et des espèces
Venait alors l'étape la plus délicate : adapter les recettes imaginées par les étudiants, pour en faire des mets... agréables pour nos goûts du 21e siècle.
Car ce que le Français aime aujourd'hui n'est pas ce que l'Aztèque aimait il y a cinq siècles. Et le tchocoatl, boisson amère à base de cacao dont rafollaient Aztèques et Mayas, n'a pas grand chose à voir avec le chocolat chaud sucré, adoré des Européens actuels. Quant aux plats ottomans, "c'étaient beaucoup de viandes bouillies pas forcément très ragoutantes".
Difficulté supplémentaire : dans l'exemple du dessert aztèque à base de chocolat, "on n'est pas du tout certain d'avoir le même cacao qu'à l'époque", explique Laurine Gobert. Car les espèces de plantes ont évolué sur des siècles, à force de préférences et de sélections génétiques faites par l'Homme. Alors pour coller au mieux à la véracité historique sur l'un des plats, le petit groupe a dû faire importer une variété de maïs blanc, que l'on ne trouve qu'au Mexique, et nulle part à la vente en Europe.
Explications scientifiques et culinaires
Si bien que, plus que de reconstitutions ou de recréations, les étudiants préfèrent parler d'"évocations". C'est à dire de réinterprétations modernes de plats fondées sur des bases, elles, très historiques.
Le produit final, un livre de 103 pages pleines de photos appétissantes, propose une multitude de recettes, et de quoi composer un menu entier -entrée, plat, dessert, et le supplément apéro- pour chacune des régions géographiques et historiques concernées, avec alternatives végétariennes.
"Toutes nos recettes sont très bonnes, et on en est très contents", sourit l'étudiante. Ayant elle-même participé au menu canadien, elle se dit particulièrement satisfaite de la truite lardée. Mais le vrai coup de cœur de la cheffe, c'est "le chausson feuilleté au poisson et à la coriandre du menu de Mehmet II, qui est une association acidulée qui fonctionne particulièrement bien".
Et pour accompagner les recettes en elles-mêmes, l'ouvrage décrit le travail fourni par les étudiants pour constituer des plats les plus fidèles possibles aux cultures dont ils s'inspirent. "Mais ce n'est pas un livre scientifique complètement indigeste", rassure Laurine Gobert.
Alors pour ces étudiants, même si ce n'est pas un ouvrage scientifique à proprement parler, ce livre reste une fierté. "Et une première ligne sur un CV !"