À Tours, l'association "Emmaüs 100 pour 1" permet à des familles sans solution d'hébergement de vivre dans un appartement de façon autonome. Une solution pour désengorger un hébergement d'urgence saturé et pour offrir un cadre de vie serein à des enfants et leurs parents qui pourraient se retrouver à la rue.
Rusudan et Youri sont arrivés de Georgie il y a trois ans avec leurs deux enfants. Déboutés de leur demande de droit d'asile, ils sont sortis du CADA, centre d'accueil de demandeurs d'asile, sans solution d'hébergement. Impossible pour eux de rentrer dans leur pays. Trop dangereux mais impossible à prouver.
Quand Rusudan a appris qu'elle était déboutée du droit d'asile, elle est allée confier sa peur de se retrouver à la rue avec ses enfants à ses amies d'Emmaüs de Saint-Pierre-des-Corps où elle est bénévole depuis un an et demi.
"C'était très difficile. Mes enfants ont pu dormir chez un voisin à La Riche mais mon mari et moi dormions dans la voiture", se souvient Rusudan, très émue à l'évocation de cette période douloureuse. "Je ne savais pas quoi faire. Alors les autres bénévoles d'Emmaüs m'ont rassurée."
Un collectif de donateurs pour financer un appartement
Geneviève Fricot est la référente de la famille pour l'association Emmaüs 100 pour 1 à Tours. Elle est aussi bénévole à Emmaüs à Saint Pierre-des-Corps. "Quand on a su qu'ils dormaient dans leur voiture on s'est dit que ce n'était pas possible. On est allé voir les amis, les voisins, les connaissances. On a créé un groupe de donateurs. Quand on a réuni la somme de 1000 euros mensuels nécessaires, l'association a loué cet appartement. "
Le principe est simple : une centaine d'adhérents cotisent chaque mois selon leurs moyens pour loger de manière pérenne une famille, le temps nécessaire pour qu'elle soit régularisée et qu'elle retrouve son autonomie. Il s'agit presque toujours de familles immigrantes déboutées du droit d'asile qui n'ont pas accès au logement social.
"Le nombre de 100 est symbolique. Cela peut être 75 ou 150. Mais c'est très concret. Ce sont des citoyens qui tous les mois donnent une somme d'argent qui est de minimum 5 euros par mois. Et toutes ces sommes d'argent collectées permettent de payer le loyer, l'eau, l'électricité, tout ce qui est afférent au logement", explique Sophie Jouhet, présidente d'Emmaüs 100 pour 1 à Tours.
Le dispositif "100 pour 1" a été créé en 2010. Porté par Emmaüs à Tours, il permet actuellement à 19 familles de vivre dans un appartement.
Les donateurs s'engagent pour quatre ans à verser la même somme chaque mois jusqu'à ce que la famille soit autonome.
Une vie au calme et plus sereine pour les enfants
Rusudan est très reconnaissante : "Les enfants peuvent vivre dans le calme ici. Ils apprennent plus facilement à l'école parce qu'ils dorment mieux et qu'ils voient et qu'on va mieux."
"Avant c'était vraiment dur. On habitait très loin du collège. Avant je ne dormais pas assez. Tout était mélangé dans ma tête. Je ne comprenais rien. Là ça va mieux. Mes résultats scolaires ont bien progressé. Tout est parfait ici", confie son fils Thengo,12 ans.
Lia a 14 ans. Elle nous fait visiter sa chambre qu'elle partage avec son frère : "C'est pas grand mais c'est bien pour deux enfants. C'est confortable. On a un lit chacun et un bureau pour faire nos devoirs, lire et dessiner. Ici au moins on voit nos parents tous les jours et on ne s'inquiète plus pour eux."
Lia et ses parents sont indépendants dans leur logement et accompagnés au quotidien par des bénévoles, notamment pour les démarches administratives. "C'est un plaisir d'accompagner une famille aussi courageuse. On les écoute, on les aide dans la recherche d'emploi" explique Geneviève Fricot. "Youri avait trouvé un travail. Son patron voulait l'engager mais le comptable n'a pas voulu parce qu'il était en situation irrégulière. Pareil pour Rusudan qui avait un espoir aux Jardins de Rabelais. On a fait le lien avec l'entreprise. Mais on leur a répondu qu'il fallait 5 ans sur le territoire français pour avoir le droit de travailler," raconte Marie-Claire Pinault, la seconde bénévole qui accompagne la famille.
L'accès au droit de travailler est le point de blocage. En plus d'être bénévole à Emmaüs, Rusudan travaille comme femme de ménage. "Je peux travailler en chèque emploi service mais je ne peux pas beaucoup travailler. Si j'avais un vrai droit de travailler, je pourrais tout faire."
Son mari, Youri, enchaîne les petits boulots dans le jardinage et la mécanique. Leur situation irrégulière les prive du droit de travailler. Sauf en chèque emploi service. Ce qui ne suffit pas pour vivre. L'association leur donne une allocation de 300 euros mais ils préféreraient pouvoir subvenir à leurs besoins.
Ces demandes d'admission exceptionnelle au séjour obtiennent des refus et des obligations de quitter le territoire français
Sophie Jouhet, présidente de l'association Emmaüs cent pour un
Sophie Jouhet, la présidente de l'association rappelle que "la clé pour sortir du dispositif c'est d'avoir des papiers. Cette régularisation va donner le droit de travailler. Avoir un emploi c'est avoir un salaire et pouvoir accéder à un logement. "
Depuis la circulaire Valls du 3 décembre 2012, les ressortissants étrangers en situation irrégulière peuvent normalement prétendre à l'admission exceptionnelle au séjour qui donne le droit de travailler.
"Jusque-là il y a deux ans, la circulaire Valls s'appliquait. Des personnes présentes depuis cinq ans sur le territoire avec des enfants scolarisés qui montraient une envie de s'intégrer par le bénévolat et le travail en CESU obtenaient des admissions exceptionnelles au séjour", explique Sophie Jouhet.
La circulaire Valls précise les critères permettant d'apprécier une demande d'admission au séjour des ressortissants étrangers en situation irrégulière en vue de leur délivrer un titre de séjour portant soit la mention "vie privée et familiale" soit "salarié" soit "travailleur temporaire".
"Mais depuis deux ans, on n'a plus de régularisation," constate la présidente de l'association.
"Ces demandes d'admission exceptionnelle au séjour obtiennent des refus et des obligations de quitter le territoire français. Ça bloque complètement le flux. Les familles n'osent plus la demander de peur d'avoir une OQTF. Moins de familles sortent du dispositif donc elles ne laissent pas la place pour de nouvelles familles", déplore Sophie Jouhet qui note quand même que la solidarité persiste et que les adhérents sont de plus en plus nombreux. "Mais ce blocage est très inquiétant pour l'avenir", conclut-elle. "
La tendance est plutôt à la restriction qu’à la libéralisation des admissions exceptionnelles au séjour.
Thomas Campeaux, préfet d'Indre-et-Loire
Les admissions exceptionnelles au séjour sont délivrées au cas par cas à la discrétion du préfet de département.
Thomas Campeaux, nouveau préfet d'Indre-et-Loire nommé le 25 novembre 2024, admet que "les circulaires reçues ces dernières semaines invitent les préfets à réduire le nombre d’admissions exceptionnelles au séjour sans les interdire formellement et systématiquement". Il explique que "la tendance est plutôt à la restriction qu’à la libéralisation des admissions exceptionnelles au séjour".
Et d'ajouter : "On ne peut pas non plus avoir une machine continue dans laquelle nous aurions des arrivées permanentes d’étrangers en situation irrégulière, des admissions exceptionnelles de séjour et derrière une augmentation de demandes vers le logement social. Ça ne ferait qu’accroître la demande d’hébergements d’urgence d’abord puis de logements sociaux ensuite."
Un hébergement d'urgence saturé
Pour les associations et collectifs qui accompagnent ces familles, le blocage des admissions exceptionnelles explique au contraire la saturation de l'hébergement d'urgence.
La demande d'hébergements d'urgence par les familles a doublé depuis 2001 en Indre-et-Loire. Et malgré une multiplication par cinq du budget et par trois des places en douze ans, l'hébergement d'urgence est régulièrement saturé et de nombreuses familles se sont retrouvées à la rue entre mars 2023 et novembre 2024 à Tours.
À titre d'exemple, le 26 septembre 2024, Entraide et solidarités a constaté que 113 demandes d'hébergement d'urgence n'ont pas été pourvues dont 37 enfants.
Le collectif Pas d'enfants à la rue, constitué d'enseignants et de parents d'élèves tourangeaux avait alors dû payer des nuits d'hôtel pour treize familles sans solution.
Fin décembre 2024, la situation s'est améliorée grâce à un crédit complémentaire accordé par l'Etat. 787 000 euros pour financer notamment le dispositif hivernal d'hébergement d'urgence.
Mais que va-t-il se passer après le 1er avril à la fin du dispositif hivernal ?
♦ Ce mercredi 22 janvier à 23h05, Enquêtes de région sur France 3 Centre-Val de Loire vous explique comment fonctionne l'hébergement d'urgence pour les familles à Tours, qui travaille au 115 numéro d'appel d'urgence chargé de répartir les places et quelles solutions ont été trouvées de manière temporaire pour répondre à une demande qui a doublé en deux ans.
Pour compléter le magazine sur l'hébergement d'urgence à Tours, Antoine Wernert reçoit Béatrice Lefrançois, secrétaire générale d'Unicef France.