Les chercheurs de l'équipe LNOx, dépendant de l'université de Tours, viennent de publier un article dans la revue "Cancers". Ils y établissent un lien entre l'exposition à de faibles doses de pesticides et une maladie de la moelle osseuse pouvant se transformer en leucémie.
Nombre d'études scientifiques s'affrontent et se répondent sur un terrain de débat fertile depuis déjà des décennies : celui de la toxicité des pesticides. En début d'année, l'équipe de chercheurs LNOx, labellisée par le CNRS et l'université de Tours, avait établi un lien entre une exposition très forte aux pesticides (comme pour un agriculteur) et un surrisque de développer une leucémie.
Rebelotte. Le 14 novembre, l'équipe tourangelle a publié une nouvelle étude dans la revue scientifique Cancers (en anglais), dans laquelle elle met en relation une faible exposition prolongée aux pesticides et une défaillance des cellules de la moelle osseuse. Une affection constatée également chez des patients âgés, atteints d'une maladie pouvant dégénérer en cancer.
Comme monsieur et madame Tout-le-Monde
L'équipe -dirigée par le professeur Olivier Hérault, chef du service d’hématologie biologique du CHU de Tours- a ainsi exposé des cellules de moelle osseuse de jeunes volontaires à un cocktail de très faibles doses des sept pesticides les plus fréquemment retrouvés dans l'alimentation et l'eau. Le professeur Hérault explique :
On a pris des doses qui sont considérées comme non dangereuses quand elles sont prises indépendamment, et on les a testées ensemble.
Olivier Hérault, chef du service d’hématologie biologique du CHU de Tours
Les auteurs indiquent ainsi, dans leur article, que "l'augmentation de l'utilisation de pesticides depuis les années 1990 a entraîné une contamination de l'eau, des fruits et des légumes, menant à une exposition quotidienne de la population générale à des résidus de plusieurs pesticides". L'étude se donne donc pour objectif d'émuler la quantité de pesticides à laquelle est exposée la population dans son ensemble par sa consommation, qu'elle vive près de champs ou non.
Et les résultats sont peu encourageants. Nombre de cellules exposées se retrouvent incapables de synthétiser une enzyme, nécessaires à sa survie. Cette enzyme permet de décomposer l'acétaldéhyde. Classée comme cancérogène possible pour l'Homme, cette molécule est produite par le cycle de vie des cellules, et est (généralement) détruite sans trop de difficulté.
Overdose d'acétaldéhyde
L'acétaldéhyde est surtout connu pour son rôle peu glorieux en cas de beuverie. Résultat de la décomposition de l'alcool par le foie, il est lui-même décomposé en acétate, composé tout à fait inoffensif. Mais quand trop d'alcool il y a, surdose d'acétaldéhyde il y a aussi. C'est... la gueule de bois.
Or, la quantité de cellules de moelle osseuse capables de décomposer cette molécule est divisée par deux ou trois lorsque exposées au cocktail de pesticides du LNOx. En résultent, selon l'équipe tourangelle, des cassures de l'ADN qui entraînent la sénescence des cellules, soit l'arrêt de leur fonctionnement.
La moelle osseuse est responsable chez l'Homme de la production et du renouvèlement des cellules sanguines. Les cellules ciblées par l'équipe "ne sont pas directement responsables de la production, mais contrôlent et sont essentielles au fonctionnement des cellules souches" qui produisent les globules rouges, explique Olivier Hérault. Si bien que leur sénescence enraye ce processus vital.
Pas de preuve, mais de sérieux doutes
Ce constat clinique, l'équipe l'a rapproché de patients assez âgés, atteints d'un syndrome myélodysplasique. La moelle osseuse des malades se retrouve incapable de créer assez de nouveaux globules rouges, pouvant entraîner une anémie et une mauvaise distribution de l'oxygène par le sang. À en croire la société canadienne du cancer, un tel syndrome peut évoluer, dans un tiers des cas, en leucémie.
"On n'a pas de preuve que les pesticides sont responsables", précise le professeur. Il note seulement que l'équipe est "parvenue à recréer ce qui se passe chez les malades en exposant les cellules à de très faibles doses de pesticides". Pour tenter de réellement avoir une base solide au-delà d'une démarche en in vitro, les chercheurs tourangeaux prévoient de poursuivre l'expérience en étudiant des cellules de souris ayant bu pendant deux ans de l'eau augmentée du cocktail de pesticides.
Selon Olivier Hérault, deux questions restent encore sans réponse : "Pourquoi les pesticides provoquent ces problèmes ?" et "Comment les prévenir ?" Le professeur ironise :
On ne va pas dire à la population d'arrêter de manger et de boire !
Olivier Hérault
L'équipe s'atèle désormais à trouver des molécules naturelles, présentes dans l'alimentation, capable de booster les enzymes inhibées par les pesticides. Et ainsi formuler des recommandations alimentaires afin de compenser les effets d'une exposition quotidienne à des résidus agricoles.