VIDÉO. "Au bistrot, on s'engueule, on parle, on échange", comment les bars redonnent vie aux villages

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au bistrot "La Bonne Vauvre", des bénévoles se relaient pour faire vivre ce "bar-tiers lieu"
Il y a cinquante ans, chaque village possédait son bistrot de campagne, véritable emblème de la vie à la campagne. ©J-P. Elme, J. Petitfrère, V. Reignier et E. Martinen

La fermeture des bistrots de village, ces lieux où se tissent des liens sociaux essentiels, marque la fin d'une époque pour de nombreuses communes rurales. Alors que certains villages se battent pour préserver leur dernier café, d’autres réinventent ces espaces de convivialité, redonnant vie et espoir à leurs habitants.

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Dans les villages, le bistrot, le bar, le café, on l’appelle comme on veut, est en voie de disparition. Dans le meilleur des cas, il en reste un, et au comptoir, les anciens se souviennent d’une époque plus florissante. Non seulement, on en comptait plusieurs, mais dans les bourgs, il y avait également tous les autres commerces, boulangeries, boucheries, épicerie et des services publics. Quand le bar, dernier battement de cœur d’un village vivant, est à vendre, c’est toute la commune qui s’inquiète.

Après 36 ans, Marie-Rose cherche un repreneur

À Lignac, dans le sud de l’Indre, Marie-Rose Aupetit veut raccrocher le tablier après plus de trente-six années de service au "Campagnard", le dernier bar du village. Elle se fixe un an pour trouver un repreneur. Le fonds de commerce et les murs sont à vendre. L’un ne va pas sans l’autre, Marie-Rose vit à côté du commerce seule dans un grand logement. Il faudra donc quitter cette maison où, avec son défunt mari, elle a élevé ses enfants.

Marie-Rose à son comptoir, le bar "Campagnard". © France Télévisions

Aujourd’hui, elle veut profiter de la vie et de ses petits-enfants. Au fil du temps, le bar-tabac a évolué, à l’époque de ses beaux-parents, un restaurant avait été ajouté à l’arrière. Après le décès de son époux, elle a continué à servir les ouvriers, les représentants de commerces, les habitants du village et les touristes et puis cela représentait trop de travail et de contraintes.

Car le "Campagnard" a aussi beaucoup changé. Au défilé des petits cafés du matin, les uns viennent acheter du tabac, d'autres, briser leur solitude, la monotonie d’un village désert. On vient prendre des nouvelles, partager un moment, une discussion avec un voisin ou un inconnu.

Aujourd’hui, on ne se parle plus. Au bistrot, on peut même s’engueuler, c’est sain, ça veut déjà dire qu’on se parle, qu’on échange, on confronte les idées.

Un client

bar le "Campagnard"

La conversation du moment, c’est le départ de Marie-Rose. Le sujet inquiète jusqu’aux responsables de la communauté de communes, ils participent activement aux recherches. Même si le prix n’est pas très élevé, environ 150 000 euros, le postulant doit être courageux, matinal et très organisé. D’abord, il y a les journaux locaux, les jeux, le point argent et surtout l’épicerie, "Certains font toutes leurs courses ici, fruits, légumes, boites de conserve, lait...  Les anciens surtout ! Pour les plus jeunes, c’est souvent du dépannage".

Marie-Rose a également décidé de vendre des produits locaux pour aider les jeunes producteurs du secteur. Fromages de chèvres, miel... d’ajouter : "Il faut se serrer les coudes quand on vit en campagne".

Quatre retraités du village sont attablés, cafés, sirops à l’eau et discussions savoureuses. L’un a 101 ans, son ami souligne : "Vous savez, l’âge n’est qu’un repère dans le temps". Les rires et les souvenirs sont au programme, on se taquine, la machine à remonter le temps parle d’une ruralité vivante, joyeuse, animée, de la Foire aux Hérolles, à côté, "le jour du marché mensuel, chaque maison se transformait en bar-restaurant au rez-de-chaussée et tous les villages environnants profitaient de l’affluence."

Marie-Rose va-et-vient de 8h à 19h de l’épicerie au comptoir, elle souligne : "Je grignote un morceau entre deux clients, à midi, je ne ferme pas. Le service avant tout, il faut tout faire, autrement ce n’est pas rentable." Celui qui reprendra l’affaire n’aura plus qu’à rallumer le fourneau et ranger la salle de restaurant et le "Campagnard" redeviendra un café-bar-restaurant.

Quand le dernier commerce ferme, la vie du village perd ses couleurs

C’est arrivé à Chantecoq, il y a treize ans. Après avoir fait bar-restaurant et même dancing, le bar a fermé faute de candidat à la reprise. La petite commune du Loiret a racheté les locaux et la licence IV et, après quelques travaux, a cherché un repreneur. "Cela a fait l’objet d’un reportage à la télé, SOS Villages, et nous avons reçu une centaine de candidatures," explique Jean-Pierre Lapène, le maire.

Denis le patron du BLC avec Pierrine charmante grand-mère qui vient presque chaque semaine déjeuner avec ses enfants. © France Télévisions

Denis et Sandrine Van Wymeersch sont arrivés et ont relancé l’affaire. Douze années ont passé et la liste des services à la population s’est considérablement allongée. Le BLC, comme l’appelle Denis, entendez bar-Le Chantecoq, est à la fois La Poste, le relais-colis pour nombre de livreurs, un PMU, un bureau FDJ, une petite épicerie, un marchand de journaux, un dépôt de pain. C’est surtout un lieu où l’on se croise, un carrefour. Une bonne occasion de se rencontrer.

Tous ces services attirent une large variété de clients, tout le secteur a une "bonne raison" de passer. On croise au bar des mamies venues prendre une boisson chaude et surtout passer un moment à discuter. Les amateurs de courses hippiques, pronostics en ligne de mire, remplissent fébrilement les grilles avant de regarder l’arrivée sur le téléviseur. Le client solitaire du bar, boit son café, ou son petit verre de vin, un coup d’œil sur les avis d’obsèques et les nouvelles du journal, la pluie et le beau temps pour engager la conversation, avec le patron ou un voisin et c’est parti pour une parenthèse stimulante.

Comme des électrons, les humains s’agglutinent au café, c’est un aimant à humains. Un habitant, venu chercher son pain, confie :

Ça permet de redonner vie au village, c’est super important, parce qu’ici, il y avait quand même deux alimentations, une boucherie la Poste... Et tout est parti.

Un habitant de Chantecoq

"Heureusement que Denis a tout recentralisé ici parce qu’on n’avait plus rien du tout,” conclue cet habitant. 

À l’heure du déjeuner, tous les services et le bar se mettent en pause. Très souvent, Denis sort son affiche "complet", il faut se concentrer sur le restaurant. En semaine, moins de 17 euros le menu ouvrier.

Deux agriculteurs des environs se retrouvent, ils se sont donnés rendez-vous ici, tout comme ces artisans du secteur, l’un d’eux : "Quand on travaille dans le coin, on en profite pour déjeuner ensemble", son voisin d’ajouter : "D’ailleurs, on s’est rencontré ici". Un groupe d’amis retraités s’attablent, ce sont des habitués. Au restaurant, le dimanche, c’est une autre ambiance, plus familiale, la tête de veau est le plat fétiche.

Les tables sont dressées avec des nappes et Pierrine, charmante grand-mère vient presque chaque semaine déjeuner avec ses enfants, c’est "son petit resto". C’est l’une des mamies préférées de Denis, il l’embrasse et la taquine. De temps en temps, au dessert, le patron du BLC sort son accordéon, pour souhaiter un anniversaire ou juste faire plaisir aux convives. Car Denis, l’hyperactif a aussi un orchestre à côté...

Des habitants se mobilisent

À la frontière de l’Indre et la Creuse, il y a déjà longtemps, le dernier bar a fermé, définitivement, et le village s’est peu à peu transformé en "dortoir". Le cocktail "pas de lieu pour se croiser", "pas d’échange" égale plus aucune vie dans ce bourg de 350 habitants. Les gens passent et ne s’arrêtent plus.

Une poignée d’habitants a décidé d’inverser l’histoire, de traiter le problème à la racine. Ils ont créé une association, ont investi dans une vieille caravane. Ils l’ont transformé, aménagé avec du bois pour en faire un bar-foodtruck, point central d’une guinguette au bord de la Vauvre, la rivière qui traverse la commune. Deux étés de suite, les bénévoles se sont mobilisés, les habitants se sont rassemblés, le projet a fédéré les bonnes volontés et chacun a redécouvert les vertus de la collectivité.

Une association a investi dans une vieille caravane et l'a transformé, aménagé avec du bois pour en faire un bar-foodtruck, point central d’une guinguette au bord de la Vauvre, la rivière qui traverse la commune. © France Télévisions

Pendant ce temps, la municipalité et la Région Centre-Val de Loire ont financé les travaux pour remettre l’ancien bar en état. En avril, "La Bonne Vauvre", bar-tiers lieux, associatif a ouvert ses portes et le résultat dépasse toutes les espérances de monsieur le Maire.

On est un peu devenu la référence -même au niveau de la région- parce qu’on a un projet qui fonctionne bien.

Bernard Mitaty

maire de Crozon-sur-Vauvre

"Mais c’est parce qu’à côté on a un collectif très dynamique, qui mène des actions et qui attire des personnes même au-delà de la commune. En tant que Maire, je suis très fier de ce qu’ils font, je dois le dire."

À "La bonne Vauvre", les bénévoles se relaient derrière le comptoir pour assurer la permanence, et devant, d’autres bénévoles ou des clients de passages, se croisent, discutent. Un planning est là, chacun s’inscrit pour donner un peu de son temps pour servir les autres. En plus de trouver l’ambiance et les codes d’un bistrot de campagne traditionnel, il y a mille possibilités d’être ensemble, question d’affinités, de compétences, d’envies.

Ombeline donne des cours de yoga, elle est venue pour s’inscrire avec une amie pour le dîner Népalais, d’autres proposent de l’aide aux devoirs, des cours de cuisine, d’anglais, de berrichon, d’arabe, des ateliers pâtisserie pour les enfants. Chacun apporte ce qu’il sait, ce qu’il peut.

Pour réaliser le reportage, nous sommes restés deux jours à Crozon-sur-Vauvre. À notre arrivée, le samedi, une dizaine d’hommes sont en train d’installer une immense tente pour le marché de Noël, ils doivent la déplacer d’un mètre. Chacun d’eux prend alors un montant métallique et un, deux... à trois, le barnum se soulève et avance. Comme un seul homme. Une image impossible avant la création du bar, il aurait été trop compliqué de rassembler autant de personnes au même moment.

Le lendemain, jour du Marché de Noël, en cuisine, une dizaine de bénévoles épluchent, coupent, cuisinent et discutent dans une ambiance joyeuse, familiale. Dans le bar, c’est l’affluence, Delphine, la secrétaire de mairie, également bénévole, vend les tickets pour le repas de midi. Ses grands-parents, puis sa maman, ont tenu le bar, il y a très longtemps. Ce dimanche, "La bonne Vauvre" se transforme en taverne alsacienne et dans la grande salle voisine, à côté du billard et du baby-foot, d'immenses tablées se remplissent de convives. C'est presque un banquet. Aujourd’hui, c’est choucroute pour tout le monde.

Dans le bar, c’est l’affluence, Delphine, la secrétaire de mairie, également bénévole, vend les tickets pour le repas de midi, ses grands-parents, puis sa maman, ont tenu le bar, il y a très longtemps. © France Télévisions

Et Delphine de noter : "Des gens qui ne se seraient pas parlés, cherchent à communiquer parce qu’ils fréquentent le même lieu, même si ce n’est pas pour les mêmes raisons, l’un va venir chercher des œufs ou des produits locaux, un autre pour boire un verre. L’important c’est qu’ils se retrouvent là". Les habitants ont redécouvert les joies de la solidarité, ils échangent leur numéro de téléphone, se donnent des coups de main.

Grâce au retour du bistrot de campagne, les habitants du village de Crozon-sur-Vauvre ont recommencé à faire des projets, à faire société. Et qu’on l’appelle, bar, café, bistrot de campagne ou tiers lieu, peu importe, la magie du lieu est d’installer côte à côte toutes sortes d’humains, ensuite ils tissent des liens.

Article écrit par Jean-Philippe Elme

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