Entre le 20 et le 23 mai, des intrus ont subtilisé la statue de saint Guerluchon, qui trônait en l'église de Gargilesse-Dampierre. Doté d'un impressionnant phallus, elle est réputée détenir des pouvoirs guérissant l'infertilité. Mais d'où vient ce culte, répandu à travers le Berry et même au-delà ?
Au lendemain du vol de la statue de saint Guerluchon à Gargilesse-Dampierre, de nombreuses interrogations persistent. D'abord, qui a bien pu voler une statue dont le pénis imposant est réputé fournir, une fois gratté pour en récolter de la poussière de bois, une potion contre l'infertilité. Et qu'est-ce que les voleurs comptent en faire ? Cette question, espérons-le, trouvera sa réponse via la plainte déposée par la mairie de Gargilesse-Dampierre auprès de la gendarmerie.
Mais il y a une question beaucoup plus pressante pour celles et ceux à qui il n'aura pas échappé que les églises catholiques partagent assez rarement la même déco qu'un club libertin. Que faisait une figure aussi tendancieuse que ce saint Guerluchon (aussi appelé saint Greluchon) dans l'église de Gargilesse en premier lieu, et depuis quand était-il là ? Pour le savoir, il faut poser la question à Brigitte Lucas, ethnologue et autrice de Mon Berry sorcier. "La première fois que je suis allée à Gargilesse-Dampierre j'étais étudiante", se souvient-elle. "Une dame, qui était guide, m'a raconté l'histoire de Saint Greluchon."
Depuis fort longtemps, explique-t-elle, les femmes se rendaient dans cette crypte dédiée à Saint Guerluchon, et grattaient la dalle derrière laquelle étaient emmurée une statue du saint pour recueillir une poussière qui, mélangée à du lait, formait une potion contre l'infertilité. La statue volée fin mai 2021 avait, elle, été installée en 2012 par un artiste local à l'initiative de la mairie.
Une potion contre l'infertilité à base de poussière de saint
Sous d'autres noms, ce même hommage, consistant à confectionner une potion à base de poussière grattée sur l'appareil reproducteur imposant d'une statue, est rendu à saint Guerluchon à travers tout le Berry. Et même au-delà : on peut citer saint Phallien à Chabris, saint Génitour au Blanc ou encore saint Ludre à Déols. Une statue de saint Greluchon existe aussi à Montoire, dans le Loir-et-Cher. La même figure réapparaît également sous le nom de saint Guénolé en Bretagne ou de saint Foutin en Haute-Loire.
D'après l'ethnohistorien Daniel Schweitz, membre de la société archéologique de Touraine, "il est certain que,dès le XVIe siècle pour le moins, saint Greluchon a joui d’une très large renommée en tant que guérisseur de la stérilité des femmes, déjà sous le regard quelque peu narquois des esprits forts du temps", et surtout en n'étant "guère apprécié des clercs, même s’ils devaient s’accommoder de son culte localement". Selon lui, "La pratique du grattage" de ces statues "étant constante, le nom du saint pourrait bien être tiré du verbe 'grelicher', qui définit justement l’action de gratter, de chatouiller dans le patois du Gâtinais". Pour Brigitte Lucas, le nom de saint Greluchon pourrait plus prosaïquement venir du mot "grelot", en référence assez transparente à l'anatomie masculine.
A l'époque, les femmes grattaient directement une statue de saint Guerluchon pour confectionner la fameuse potion. A une période plus moderne, un curé excédé par ces élans païens (ou dépité par l'importante érosion du membre du saint) aurait semble-t-il "confisqué" le phallus interdit, poursuit Brigitte Lucas. Qu'à cela ne tienne, le culte s'est alors reporté sur le gisant du seigneur Guillaume de Naillac, datant du 13e siècle et attribué à tort à la figure priapique. Quitte à éroder une fois de plus "l'endroit précis" de la statue censé apporter la fertilité, obligeant alors les autorités à entourer le gisant d'un grillage "pour le protéger des attouchements". "Les couples envoient toujours des pièces de monnaie sur le gisant car ils n'ont plus accès à son corps."
Faut-il blâmer un collectionneur avide ou une dévôte en mal de progéniture pour le vol de la statue dans l'église de Gargilesse-Dampierre ? Seule l'enquête nous le dira. En attendant, explique Brigitte Lucas, il demeure possible de se rabattre sur un "phallus géant installé en pleine nature" à un jet de pierre de là, en forêt, voire pour les messieurs sur la "pierre à sexe" de Pouligny-Saint-Pierre. Les puristes de Saint-Guerluchon préféreront enfin une autre statue du saint, installée dans le village voisin de Saint-Plantaire. Haute de 2,50 mètres, cette fontaine très imagée ne risque pas, quant à elle, d'être dérobée.