L'étiquetage géographique du lait a été imposé en France en 2016 par un décret gouvernemental. Mais le Conseil d'État, sur une requête du groupe Lactalis, vient d'annuler cette mesure, estimant qu'il n'y a pas de lien avéré entre l'origine du produit et ses propriétés. Une décision très contestée.
Un règlement du Parlement européen relatif à l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires précise que "les États membres ne peuvent introduire des mesures concernant l'indication obligatoire du pays d'origine ou du lieu de provenance des denrées alimentaires que s'il existe un lien avéré entre certaines propriétés de la denrée et son origine ou sa provenance."
C'est précisément ce texte qui a orienté la décision du Conseil d'État : la plus haute juridiction administrative française a estimé qu'il n'y a pas de propriété du lait qui puisse être reliée à son origine géographique. Le géant Lactalis est donc fondé à demander l'annulation du décret français pour "excès de pouvoir".
Des consommateurs de plus en plus vigilants sur l'origine
Le Conseil d'État reconnaît toutefois l'importance de l'origine des produits pour les consommateurs. Selon un sondage réalisé en 2020, 38% des consommateurs, en effet, déclarent faire attention à l'origine des produit alimentaires.
La décision du Conseil d'Etat semble ainsi aller à rebours des tendances actuelles valorisant les produits français, ou mieux, locaux. L'UFC-Que choisir dénonce ainsi "une décision regrettable, qui revient à cautionner l’opacité qui prévalait auparavant sur la provenance du lait et des viandes utilisés dans les aliments transformés, à rebours de la demande de transparence des consommateurs." Et conclut : "En attendant, ne reste que la bonne volonté des fabricants pour poursuivre, ou pas, cette politique de transparence sur la provenance de nos aliments."
La mention géographique reste en effet possible, c'est l'obligation sous peine de sanction qui est annulée. Ce qui ne calme guère les critiques, du côté, cette fois, des éleveurs et producteurs. Dans un communiqué commun, la Fédération Nationale des Producteurs de lait, Jeunes Agriculteurs et la FNSEA dénoncent un "retour en arrière inacceptable".
Les syndicats "regrettent profondément cette décision et dénoncent l’attitude irresponsable d’un acteur économique qui va à l’encontre de la reconnaissance du travail des éleveurs laitiers français. En donnant raison à Lactalis, le Conseil d’Etat empêche les consommateurs de connaître la provenance de leur alimentation, et de choisir librement les produits qu’ils consomment."
"Cette décision, poursuit le communiqué, mine les efforts de longue date, engagés par les agriculteurs français pour répondre aux attentes des citoyens, qui doivent permettre à la profession agricole de se rémunérer dignement."
Pour une rémunération "au juste prix" des producteurs de lait
Éleveur et producteur dans le Loiret, à Saint-Germain-des-Près, Nicolas Beets est aussi le président de la section lait de la FNSEA 45. Il peine également à comprendre la décision du Conseil d' État :
"C'est en contradiction avec la volonté des pouvoirs publics de défendre l'agriculture française. La profession se bat pour valoriser le travail des producteurs sur le territoire...Indiquer l'origine, c'est un argument de vente supplémentaire, ne plus l'indiquer, c'est incompréhensible!"
L'éleveur loirétain s'interroge sur les intentions réelles de Lactalis
"Je ne vois pas en quoi ça les dérange d'indiquer l'origine française sur leurs emballages. Nous, on est fiers de produire du lait français, s'ils ne le sont pas, c'est malheureux...Peut-être veulent-ils faire pression sur leurs fournisseurs de matière première, une façon de dire qu'ils pourront toujours trouver ailleurs. Lactalis se tire la bourre avec deux ou trois autres grands groupes pour payer le lait au "moins-disant".
Payer le lait comme ils le font, c'est indigne par rapport au travail qui est fourni! Nous, on se bat pour exister. Il faut que tous les maillons de la chaîne jouent le jeu, producteurs, transformateurs, distributeurs, pour qu'au final le consommateur ait un produit de qualité.
Reste que l'origine française, si elle est effectivement un argument de vente, n'est en rien un gage de qualité, ce que concède volontiers M. Beets. Elle ne dit rien, en effet, des conditions d'élevage et de production, ni de la rémunération des agriculteurs. Ce qui explique peut-être pourquoi certains professionnels du secteur ne s'inquiètent guère de cette fin de la mention géographique obligatoire.
Dans le Sud-Touraine, la coopérative Laiterie de Verneuil Touraine-Berry travaille uniquement avec des éleveurs de la Région (Indre, Indre-et-Loire, Loir-et-Cher) :
"Nous sommes très axés sur la Région Centre-Val de Loire, en production comme en distribution, explique le nouveau directeur, François Lécareux. Mais l'origine du lait importe peu, notre réputation, c'est notre marque. C'est Laiterie de Verneuil, notre emblème, qui est l'image du terroir."