Franck, victime dès l’âge de 10 ans d’un professeur de français dans un collège prestigieux, raconte face caméra la vérité après un long travail sur lui-même. Avec le plus de pudeur possible, mais sans rien occulter, il dévoile l’emprise, les mensonges et les conséquences que ce prédateur a eues sur sa vie.
Dans le documentaire La vie que tu m'as volée, co-réalisé par Christine Ravier et Johan Touleron, Franck Gayet livre sans filtre les rouages et les impacts de l'emprise qu'il a subie jusqu'à l'âge adulte. Il raconte ses souffrances, tout en mettant en lumière la complexité des mécanismes de pouvoir et de manipulation.
Tout a commencé alors qu'il n'était qu'un enfant, sous l'autorité de ce professeur de français qui a violé son innocence en toute impunité.
J'ai 10 ans
Franck Gayet n’a que dix ans lorsqu’il rencontre celui qui, sans scrupule, va piétiner violemment son chemin de vie. Ce petit garçon, fils unique, habite avec ses parents dans les quartiers nord d'Albi, dans le Tarn. Bon élève, déterminé et ambitieux, il est fier d'intégrer le collège prestigieux du centre-ville. Ses parents, employés de bureau, n’ont pas eu l'opportunité de poursuivre des études. Il veut être leur revanche et exceller dans son parcours scolaire, non seulement pour eux, mais aussi pour lui-même.
Il entre en sixième et son professeur de lettres, qui est aussi professeur principal, l’encourage et le félicite. Franck se sent valorisé par cet homme, qui incarne une référence, une autorité et un modèle de réussite. Les bonnes notes récompensent ses efforts, et l'attention particulière de son professeur lui donne le sentiment d’être spécial. Ce dernier s'approche de lui, toujours plus près. Le jeune garçon perçoit ses gestes inappropriés comme des marques d'attention, mais cette proximité, bien que flatteuse, le met aussi mal à l'aise.
Le prédateur a choisi sa proie. Le pire reste à venir.
Les changements brusques d'humeur de leur professeur perturbent la classe, et plus particulièrement Franck, qui tente d’échapper à son regard intrusif et déstabilisant, soufflant le chaud et le froid. Dans ce jeu de manipulation, le jeune garçon n'est qu'une marionnette, à la merci d’un adulte mal intentionné qui tire toutes les ficelles.
Le loup entre dans la bergerie
Lorsque Franck entre en 5e, cet homme reste, pour cette année encore, son professeur de lettres et son professeur principal. Dans une démarche qui se veut apparemment bienveillante et pédagogique, il profite d'une période où son élève est malade pour s’introduire au domicile du petit garçon. Sous prétexte de lui prêter des livres et de le soutenir dans ses études, il franchit une étape supplémentaire, adaptant stratégiquement ses visites en fonction de l'emploi du temps des parents de Franck.
Son père, un homme très pudique et peu communicatif, est l'exact opposé de cet enseignant, qui, profitant de cet espace libre, s'impose et s'intègre naturellement, sans que personne n'y trouve à redire. Avec un naturel déconcertant, il salue les parents de Franck alors que, quelques minutes avant, il lui faisait une fellation.
Ces visites de plus en plus régulières, chaque mercredi matin, vont crescendo dans la perversité :
Il me disait : T'es sûr que tu as envie, ça te fait plaisir ? Il me faisait passer son désir pour mon désir. C'est ça la perversité, ça explique aussi ce silence.
Franck Gayet
Un silence amer, empreint de culpabilité pour cette petite victime, impliquée malgré elle dans cette histoire sordide.
Double jeu et emprise
"Marié, père de trois filles, bien noté et pilier du lycée, et à côté, il fait la collection des petits garçons dans la cour de récréation."
Personne n'a rien dit ! Franck est persuadé que quelqu'un savait. Comment aurait-il pu en être autrement ? Il aurait suffi qu'une seule personne prenne la parole pour que tout s'arrête, mais aucun n'a eu ce courage, ou bien personne n'a voulu prendre cette information en considération, par crainte de ternir la réputation de cet établissement prestigieux.
Franck a treize ans, l'âge des premières expériences amoureuses, des papillons dans le cœur et des mots doux chuchotés à l'oreille. Cette fraîcheur de l'adolescence lui a été volée, elle aussi. Brutalement, irrémédiablement.
Cette relation, qu'il vit comme un inceste avec cet homme qui aurait pu être son père, relève de la profanation. Ce corps d'âge mûr le répugne et lui fait mal. L'homme du mercredi, en grand stratège, accompagne son geste ultime d'une grande douceur, se lave et disparaît comme un voleur, comme si de rien n'était.

Dans son corps et dans sa vie, ce pervers a pris une place inqualifiable, entre dégoût et plaisir. Lorsqu'il ne le voit pas, Franck ressent un vide profond, une absence qu’il n’arrive pas à combler. Il attend son retour de vacances, patiente en lisant ses lettres. Sous emprise, il ne comprend ni comment, ni pourquoi, mais ressent, avec culpabilité, qu'il s’engage sur un mauvais chemin, où il continue d’avancer malgré tout.
Tout sauf ça !
Au lycée, la relation devient moins régulière, mais c'est le début du harcèlement. Le professeur poursuit sa carrière sans encombre, pourtant la rumeur se faufile dans les couloirs, jusqu'à atteindre Franck. Un camarade lui fait comprendre qu'il sait en mimant un geste explicite avec son stylo. Ce secret éventé prend une autre dimension qui le dépasse. Que les autres sachent, à l'époque, c'est ce qui lui apparaît le plus insupportable.
Je n'en suis pas encore au point de me dire qu'il est en train de me tuer. Il me tue, mais je ne le sais pas, sinon j'arrêterais.
Franck Gayet
Il en a assez que son professeur le colle, il l'évite, le fuit. Il ne supporte plus son comportement, qui inverse les responsabilités. Dans son rôle de victime, le prédateur le prend en otage, usant de chantage au suicide, jouant les martyrs, prétendant vouloir quitter femme et enfants pour partir avec lui, alors qu'il n'a que quatorze ans. La perversité de ces désirs devient de plus en plus abjecte et choque l'adolescent qui ne peut y répondre.
La relation se poursuit encore pendant plusieurs années, alors que Franck poursuit ses études à Toulouse. Pendant vingt-cinq ans, il a l'impression d'avoir vécu en dehors de lui-même, hors du temps, déconnecté du présent. Transformé en une sorte de "machine à sexe", il développe une addiction qui prolonge celle du mercredi matin, offrant son corps à des hommes sans nom ni visage.
L'homme du mercredi
En 2022, Franck Gayet écrit L'homme du mercredi aux éditions L'Harmattan. Si les années perdues ne se rattrapent pas, elles se racontent au fil des mots. L'écriture lui permet de partager son histoire et de dénoncer celui que son père avait vu comme un père spirituel, convaincu qu'il était le mieux placé pour orienter son fils vers la réussite.
Ce livre, c’est sa façon de dire aux victimes qu’elles ne sont coupables de rien, et de l’entendre, pour lui, en écho.
J'ai ouvert cet espace, celui de l'écriture, pour rétablir la vérité et pour mieux comprendre ce qui m'était arrivé.
Franck Gayet
Peu après sa parution, il est contacté par un ancien élève qui dépose plainte en mars 2023. La justice lance alors un appel à témoins pour recueillir d'autres informations et témoignages. Selon la loi, il y a prescription pour Franck (les faits doivent être signalés dans un délai de 30 ans, soit jusqu’à 48 ans pour les crimes sur mineurs). Il pourra néanmoins intervenir en tant que témoin pour soutenir la démarche judiciaire.
Ce professeur, surnommé 'Monsieur A' dans L'homme du mercredi, a échappé à la justice pendant toutes ces années. Franck veut qu'il rende des comptes, qu'il paye pour ses actes, qui ne doivent pas rester impunis.
La réparation
Franck n'oubliera jamais ce qu'il a vécu. Parfois, il se bat encore contre des idées noires. Mais il a accepté son histoire et cherche à en faire quelque chose. Partager son expérience en fait partie : prendre la parole, dire tout ce qui a été tu, et rétablir la vérité.
Il n'a plus peur que cela se sache. Il veut même que tout le monde sache, afin que la honte change de camp, pour informer, prévenir et démasquer les monstres qui volent et violent la vie des enfants en toute impunité.
Je crois qu'on ne doit pas oublier ceux qui ne se relèvent jamais.
Franck Gayet
Cela lui a demandé des années, mais aujourd'hui, il a retrouvé sa place en fondant sa famille avec sa compagne et en exerçant son métier de professeur de lettres à Montpellier. Cette écoute dont il a manqué, ce qui aurait dû être, il la construit avec bienveillance pour les adolescents qu'il instruit en classe. Acteur de sa nouvelle vie, il crée cet espace de confiance où il n'a pas eu la chance de s'épanouir lorsqu'il avait leur âge.

La réparation ne signifie pas qu'il est guéri définitivement. La blessure restera présente à vie, mais il avance désormais sur le bon chemin.
► Le documentaire "La vie que tu m'as volée", co-réalisé par Christine Ravier et Johan Touleron, produit par Les Films du Sud et France Télévision sera diffusé ce jeudi 17 janvier à 23h sur France 3 Centre-Val de Loire et disponible en replay sur france.tv. Il est déconseillé aux moins de 10 ans.