"Verdun, les gens vous le diront, c’est une ville maudite pour nous. C’est ce qu’on dit entre nous, mais on n’arrive pas à partir." Le documentaire d'Alain Morvan : "Héroïne : la défaite de Verdun", ouvre la boîte de Pandore des trafiquants avides de profit et des addicts asservis par la dépendance.
Depuis 20 ans, la Meuse s'enfonce dans l'héroïne. Dans ce département rural, la drogue dure s'est diffusée partout, des petits villages aux villes moyennes. À Verdun, la ville paisible, célèbre pour son tourisme et son histoire liée à la Grande Guerre, les dealers prospèrent sur le dos de centaines de toxicomanes.
Dans la Meuse, le nombre de consommateurs d'héroïne est bien plus élevé que dans le reste de la France. Cette drogue représente en moyenne 35 % des saisies de stupéfiants, contre moins de 5 % dans les autres départements. C'est ce qui attire aujourd'hui les bandes des grandes villes comme Metz, Nancy, Brest et Paris. Un marché très lucratif et un produit qui se vend facilement grâce à des prix en chute libre.
La descente aux enfers des consommateurs d'héroïne
La plupart des habitants côtoient des toxicomanes sans même en avoir conscience. Dans cette ville, la drogue est présente de manière insidieuse, et de nombreuses personnes, sans le savoir, croisent ceux qui vivent dans l'ombre de la dépendance.
"Dans la rue, il y a des gens qui font la manche devant les commerces. Tu crois qu'ils font la manche pourquoi ? On ne les voit pas avec des bouteilles d'alcool dans les mains. "
"Tu te réveilles le matin, tu n'as rien. Tu sais déjà la veille que tu n'auras rien le matin parce que tu as consommé le peu que tu avais. Tu t'en fous d'avoir une femme, pas de libido, rien du tout. Si tu n'as pas d'argent, tu cherches de l'argent pour payer ta conso. Une fois que tu as ta conso, là tu vas commencer à penser à dormir si tu n'as pas dormi et à manger. C'est la journée type, tu cherches ta drogue, tu la consommes, tu recherches la drogue, tu la consommes, c'est que ça. Et tu cherches l'argent, surtout."
L’héroïne : Ce qu'il faut savoir sur cette drogue interdite et dévastatrice
L'héroïne est un opiacé synthétisé à partir de la morphine extraite du pavot. Elle se présente généralement sous forme de poudre blanche, rose, brune ou beige. L’héroïne blanche est très fine et légère. L’héroïne brune, aussi appelée brown sugar, se présente sous forme d’une substance granuleuse brune ou grise. Une troisième sorte d’héroïne peut être collante comme du goudron liquide ou dure comme du charbon. Sa couleur peut varier du brun foncé au noir. Appellations : héro, came, meca, rabla, poudre, blanche, smack, brown sugar, black tar (Sources Drogues-info-service.fr)
Extrêmement addictive, l'héroïne entraîne une descente aux enfers, une escalade inexorable dans la dépendance.
"Des heures à faire la manche et en deux secondes, je n'ai plus rien. C'était avec des amis, de la famille, à une fête. Quelle connerie j'ai faite. On croit qu'on peut tout faire, on est surboosté, gonflé à bloc, mais ce n'est qu'une illusion. Il n'y a plus de vie, il n'y a plus rien qui compte après. Ça te détruit la vie."
Pris dans le même mauvais film de l’héroïne, homme et femme jouent le même rôle tragique, celui de la perte et de la désillusion.
"J'ai tout perdu : mon travail, la garde de mes enfants, mon appartement. Aujourd'hui, je vis dans un foyer. Ça a aussi détruit mon couple. Oui, j'ai tout perdu."
Points de deals et bendos
Avec le développement des points de deals, l'accès à la drogue est devenu plus facile. Cette proximité permet de capturer plus facilement les consommateurs, qui reviendront sans cesse, accros et pris au piège dans un cercle vicieux où chaque retour nourrit un peu plus leur dépendance.
L'héroïne consommée provient principalement d'Afghanistan, mais c'est aux Pays-Bas, carrefour stratégique des trafiquants européens, que la drogue est redistribuée. Grâce à la situation géographique de la Meuse, proche des Pays-Bas et de la Belgique, l'approvisionnement devient simple et rapide, facilitant ainsi l'accès à la drogue à des prix compétitifs.
Au départ, les trafics se concentraient à la périphérie de la ville, dans les cités HLM de Verdun, mais les programmes de rénovation urbaine et les interventions policières ont poussé les dealers à se déplacer vers le centre-ville.
Avant, il fallait chercher, maintenant, tout le monde sait où aller. C'est comme un supermarché.
Consommateur d'héroïne
Pour se ravitailler, les toxicomanes sont dépendants des "bendos", des squats ou des immeubles contrôlés par des marchands de sommeil, où les dealers ont installé leur commerce. Les "bendos" sont des maisons abandonnées, souvent dans les villes américaines, transformées en points de deal pour les junkies. À Verdun, on en compte entre cinq et dix ouverts en permanence, où plus de 80 consommateurs défilent pour acheter leur dose.
Des personnes vulnérables, sous tutelle ou curatelle, se font squatter leurs logements sous contrainte et par peur, parfois pendant quelques jours, parfois pendant plusieurs semaines. Leur appartement devient alors un lieu de vente de stupéfiants. Il y a aussi ceux qui acceptent ce deal parce qu'ils sont contents d'obtenir leurs doses en échange, sans prendre conscience des risques encourus.
Violence et règlements de compte
La police et la justice tentent de s'adapter à cette nouvelle donne du trafic. Verdun, ville calme en apparence, bascule peu à peu dans la violence. Derrière les murs des "bendos", les bandes rivales, armées pour se protéger de la convoitise des autres, se livrent une lutte féroce. Chaque dealer génère un chiffre d'affaires atteignant des milliers d'euros par jour. Cette concurrence a déjà provoqué plusieurs règlements de comptes. Début 2022, les voisins d'un "bendo" ont échappé de peu à des balles perdues.
Yves Le Clair, procureur de la République à Cayenne en Guyane, a été en poste dans la Meuse de 2004 à 2014. Il a constaté la diffusion progressive de l'héroïne dans tout le département et témoigne que cette violence, ainsi que les règlements de comptes, n'était alors pas d'actualité.
À l'époque, on avait alors affaire à des consommateurs acheteurs. La consommation d'héroïne était souvent vécue comme un rite d'initiation, un moyen de s'intégrer au groupe, de suivre les autres et de ne pas être mis à l'écart.
Au tribunal judiciaire de Verdun, le nombre d'affaires de drogue a explosé ces dernières années. Les stupéfiants représentent désormais un tiers des dossiers.
Verdun est apparu dans les milieux comme l'eldorado du stup, parce qu'il y avait de la demande.
Sophie Partouche, procureure de la République
"Des trafiquants qui sont venus avec leurs moyens, donc les petits locaux se sont poussés." Sur chaque point de deal démantelé, il y a des armes, y compris des armes automatiques qui sont rangées dans la catégorie armes de guerres."
Démantèlement par les forces de l'ordre
Début 2021, la justice décide de réunir la police, la gendarmerie et la douane afin de coordonner leurs actions contre le trafic de drogue.
Sophie Partouche, procureure de la République, décide de créer un GLTD Stupéfiants à Verdun. Le GLTD (groupement local de lutte contre la délinquance) est un dispositif mis à la disposition des procureurs pour rassembler divers acteurs autour d’une thématique spécifique, afin de concentrer les efforts sur un phénomène délinquantiel nécessitant une attention particulière.
La mutualisation des moyens est essentielle dans cette stratégie, qui repose sur une approche de harcèlement ciblé. L'objectif étant d’attaquer les points de deal visibles, partie émergée du trafic, à travers des opérations policières régulières, suivies de mesures pour empêcher leur réinstallation. Cette démarche vise à mettre les trafiquants en difficulté, à les affaiblir et à perturber leur activité, un travail qui nécessite du temps pour remonter les filières.
À l’écoute des plus démunis
Dans la Meuse, les structures sanitaires et sociales peinent à endiguer l’épidémie d’héroïne qui touche l’ensemble du département. Près d’un millier de toxicomanes sont suivis dans des structures spécialisées par des travailleurs sociaux, des éducateurs et des médecins.
Alexandra et Amélie, membres d’une association d’entraide, tissent des liens au quotidien. Elles partent en maraude, rencontrent les personnes en difficulté, leur proposent un café, prennent des nouvelles, puis écoutent leurs besoins. Elles les orientent vers des démarches administratives, les dirigent vers des soins ou leur fournissent des vêtements et des kits d’hygiène. Ces personnes, souvent isolées et coupées de tout lien social ou familial, bénéficient ainsi d’un soutien pour renouer ces connexions essentielles.
Lorsque ces personnes choisissent de se faire aider, Alexandra et Amélie les accompagnent sans délai pour leur fournir l’assistance nécessaire.
Des mains tendues et des réseaux d'aide tels que L’A.M.I.E, (association Meusienne d'information et d'entraide) et le CSAPA Centr'aid site de Verdun, sont là pour les soutenir tout au long de leur parcours. Il est essentiel de saisir l’instant précis où une personne exprime le désir d’arrêter, en lui offrant rapidement un accès à des places d'hospitalisation spécialisées ou à des cures. Si cette opportunité est manquée, elle ne se représentera peut-être pas.
"Tout seul on n'en a plus rien à faire, on est fermés dans notre drogue et si personne ne nous aide à sortir de là, on ne le fera pas tout seul."
Le manque de lits en postcure constitue un obstacle majeur, car il faut attendre qu'une place se libère. Se sevrer du produit en attendant, entouré de personnes encore dépendantes, complique considérablement la situation et peut mettre en péril tout le travail accompli tant par le consommateur lui-même que par les professionnels qui l'accompagnent dans son chemin vers la guérison.
Une injonction de soin imposée par le tribunal est souvent inefficace si le consommateur n’a pas pris lui-même la décision d’arrêter. Sans cette démarche volontaire, il est fréquemment amené à recommencer.
Des ressources insuffisantes face à l'ampleur du phénomène
Atteindre la guérison est un chemin semé d'embûches, où chaque étape franchie nécessite un engagement personnel fort et un soutien constant, car la lutte contre la dépendance reste un défi complexe, parfois long, mais essentiel pour retrouver une vie digne et équilibrée.
Cependant, pour réussir ce parcours, il est crucial de disposer de moyens adéquats dans tous les secteurs : soins, accompagnement social, réinsertion, et justice. Les institutions judiciaires, confrontées à un trafic vaste manquent des ressources nécessaires pour répondre à l'ampleur du phénomène.
Le mot de la fin revient à Alain Morvan, réalisateur du documentaire "Héroïne : la défaite de Verdun", qui expose de manière poignante la réalité du trafic de drogue et de ses conséquences dans cette ville marquée par la lutte contre l'héroïne."
"La ville de Verdun n'est pas taillée pour faire face à cette explosion du trafic. Dans ce département oublié, qui paie son éloignement des centres de décision, les moyens manquent pour la santé et la justice, et l'avenir se dessine en pointillé.
La Meuse ne parvient pas à réduire la demande de stupéfiants sur son territoire et nourrit l'appétit insatiable des trafiquants, malgré quelques batailles gagnées. La résistance courageuse des travailleurs sociaux, des éducateurs et des médecins n'empêche pas Verdun de perdre, année après année, sa longue guerre contre la drogue."
"Héroïne : la défaite de Verdun", un documentaire d'Alain Morvan. Coproduction France 3 Grand Est / Nomades. À voir ce jeudi 5 décembre à 23 h 00 sur France 3 Centre-Val de Loire et à retrouver en replay sur france.tv.