Elle s’appelait Christine Renon, directrice d’école à Pantin. À bout, elle s'est donné la mort sur son lieu de travail. Sa lettre d'adieu, poignante, est à l'origine de ce documentaire de Julie Chauvin.
Ils s’appellent Lucie, Manon, Laurence, Anthony et Emilie. Ils sont ou ont été professeurs des écoles, victimes d’une crise professionnelle passée sous silence.
En première ligne et sans soutien, ils souffrent jusqu’à la rupture des conditions de travail de ce métier qu’ils n’ont pourtant pas cessé d’aimer.
Dans son documentaire, Julie Chauvin pousse les volets qui claquent et laissent une fenêtre ouverte aux enseignants. Une mise en lumière de leurs difficultés qui trouvent enfin un espace pour se laisser dire. Un poids, qu'elle côtoie par ricochet quotidiennement puisque son mari exerce aussi ce métier, censé être le plus beau du monde.
"Je suis Christine"
La lettre et le geste de Christine Renon sont des électrochocs. Combien d'enseignants se reconnaissent en cette femme de 58 ans, directrice d'école à Pantin, si fatiguée de tirer jour après jour sur la corde et qui a mis fin à ses jours dans son école en 2019.
À bout de souffle et démunis, envahis par une mission, toujours plus vorace et un soutien qu'il devient inutile d'attendre. Abandonnés par les institutions et souvent dénigrés par l'opinion publique, les maîtres et maîtresses multitâches se heurtent à l'indifférence, à l'incompréhension et aux stéréotypes. Seuls au cœur d'un lot d'exigences et d'un agrégat de priorités, ils se souviennent souvent qu'ils ont des limites quand elles sont à leurs dépens, largement dépassées. Mais quand bien même, plus à l'écoute d'eux-mêmes seraient-ils plus à même d'appuyer sur le bouton d'alerte en se retirant du jeu sans se blesser.
"Je voyais mon métier comme une mission. Ma mission, c'était de sauver tous mes élèves parce que c'étaient des enfants et je ne pouvais pas en laisser sur le côté."
Manon
Toujours plus mais jamais assez
Comment faire bien quand il faut tout faire. La multiplication des tâches et la polyvalence à l'excès nuisent au cœur de métier.
Une insuffisance des moyens et une charge mentale trop importante. Des dégradations des conditions de travail et une pression constante qui mènent au découragement et à la perte de sens. Un métier choisi par vocation, par engagement auprès des enfants, que ces enseignants désabusés se sentent empêchés d'aider.
"Nos petits gamins, en difficultés sociales, économiques, scolaires, ne vont pas en ressortir gagnants de cette histoire-là, et ça, je trouve ça très dur."
Laurence
Liste d'attente
Une opportunité de changement de classe pour sortir d'une routine. Un petit coup de pouce pour changer de contexte. Un téléphone qui sonne pour donner une réponse tant attendue, et quitter sa cape d'invisibilité. Des alertes sociales prises au sérieux et non pas renvoyées en boomerang à celui qui n'a pas les moyens de changer les choses. Un budget pour ne pas avoir à jouer les Géo Touvetout pour confectionner le matériel scolaire. Un personnel qualifié pour l'école inclusive. Des remplaçants pour pallier les absences, surtout lorsqu'elles sont prévues. Une concertation des enseignants et un frein à la succession des réformes. Moins de solutions échafaudées à la hâte pour faire face à l'urgence quand les solutions pérennes sont trop rarement envisagées faute de budget et de choix politiques...
La liste est longue et non exhaustive puisque tout manque !
Aujourd'hui, Lucie travaille dans un magasin atelier d'accordéons dans la région de Montpelllier. Ses yeux brillent encore quand elle parle de son enthousiasme débordant des débuts et s'assombrissent quand elle évoque l'abandon des institutions qui n'ont rien fait pour lui donner les moyens de rester. Anthony continue de s'occuper d'enfants "J'ai démissionné pour continuer à faire ce que je voulais faire. J’ai juste changé de train. Je fais la même chose en tant qu'enseignant psychopédagogue en dehors de l'éducation nationale. Aujourd'hui, j'ai un gros regret, c'est que si, je le faisais dans l'éducation nationale, c'était pour l'offrir à tout le monde et gratuitement."
Émilie a démissionné elle aussi et compte les heures pour sortir du tunnel.
durée de la vidéo : 00h02mn14s
Emilie
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©France télévisions
Après la classe
Non, les enseignants ne sont pas des robots que l'on remonte ou que l'on recharge avec des piles neuves quand rien ne va plus. Ils craquent, tombent malades, démissionnent.
Oui, les enseignants ont des passions, des amis et parfois même une famille !
"Mes filles avaient le droit de jouer à la maison, de faire du bruit. Mais je ne l'autorisais plus. Là je me suis dit mince, il y a un problème"
Anthony
Non, tourner la page n'est pas si facile, ils gardent des failles, des cassures, des blessures.
Oui, ils éprouvent des sentiments et peuvent même laisser échapper quelques larmes face caméra
Non, le malaise ne vient pas d'eux et n'est pas une question de personnalité, mais des conditions de travail qui se délitent au fil du temps.
Filmés dans leur solitude de classe quand les enfants s'en vont, ou dans leur sphère intime, Emilie, Lucie, Manon, Laurence et Anthony libèrent une parole qui s'adresse aux autres enseignants. Des témoignages pour leur dire qu'ils ne sont pas seuls.
Le documentaire de Julie Chauvin est rare et pourrait bien changer notre regard sur ces hommes et femmes qui sont davantage que leur profession.
En quelques chiffres
3163 postes de professeurs non pourvus au concours 2023. 1315 postes resteront libres dans le premier degré (en maternelle et cours élémentaire) et 1848 dans le second degré (Chiffres du ministère de l'Education nationale).
Dans l'éducation nationale, il y a seulement 1 médecin du travail pour 16 000 agents*
93 % des enseignants estiment que leur charge de travail s'intensifie*
73 % que leur travail a dégradé leur santé ces derniers mois.*
Depuis 2012, le nombre d'enseignants démissionnaires dans le premier degré a triplé*
(Enquête menée en 2019 par le SNES- FSU)
Un enseignant sur deux déclare "un sentiment d'épuisement professionnel élevé". (Source : Education nationale 2022)
"L'école est finie", un documentaire de Julie Chauvin à retrouver sur France 3 Centre-Val de Loire ce jeudi 07 septembre à 23h et à revoir en replay sur france.tv.