Le banquier suisse François Rouge a expliqué ce lundi 10 juin à Marseille comment il s'était retrouvé embarqué dans le "fiasco" du cercle de jeux parisien Concorde, aux côtés du principal prévenu Paul Lantieri.
Décrit dans le dossier comme "un homme de chiffres et de méthode", à la "psycho-rigidité calviniste" selon ses propres termes, M. Rouge a livré devant le tribunal correctionnel un récit méticuleux des complexes montages financiers et dessous de l'affaire.
Au moment des faits, il préside le conseil d'administration de la Banque de patrimoines privés (BPP) de Genève et a des intérêts dans une holding possédant six palaces en Suisse.
C'est dans le cadre de cette dernière activité que, début 2000, il fait plus ample connaissance avec Lantieri, "un garçon débrouille au vaste tissu relationnel", pour régler un litige.
Les deux hommes s'associent très vite au sein de la société Sextius, constituée "dans un seul objectif", avancent les juges d'instruction, "celui de placer et dissimuler des fonds d'origine criminelle".
Officiellement ils investissent dans la restauration. Ils rachètent "La Rotonde", à Aix-en-Provence, qui deviendra une brasserie courue, avant de jeter leur dévolu sur "Le Rich", attenant au cercle Concorde à Paris.
Fermé en 1988 sur les Champs-Elysées, ce cercle avait été relancé rue Cadet, entre 2004 et 2006, par des proches de Lantieri avec le concours du patriarche Edmond Raffali, son ancien directeur.
Harcèlement affectif
A chaque fois, Paul Lantieri, réapparu au premier jour du procès, le 27 mai, après six ans de cavale, se lance dans des travaux sans fin et "explose les budgets".
"C'est un très bon chef de chantier et à la fin, il vous livre un établissement luxueux, de très belle qualité, mais entre les deux, il y a un problème arithmétique", raconte l'élégant banquier de 52 ans, se souvenant par exemple d'une "cheminée faite à la feuille d'or blanc".
Inlassablement, François Rouge cède aux sollicitations de son ami.
"Vous êtes un banquier très compétent et rigoureux, et on vous retrouve dans un cercle de jeux sans aucune garantie et des projets qui partent dans tous les sens. On se demande pourquoi vous maintenez votre appui", lance la présidente Christine Mée, sceptique.
"Par affection réciproque. Je suis un homme très fidèle. J'avais beaucoup de mal à lui dire non, car c'était un emmerdeur de première catégorie, je faisais l'objet d'un harcèlement affectif", relate-t-il.
Il agit aussi par "cupidité", espérant "des profits de 300.000 euros par mois" pour le Cercle.
"Les chiffres ne se sont pas avérés tellement faux, les affaires marchaient bien", dit-il.
A part qu'un cercle, association loi 1901 censée "promouvoir l'idéal républicain" autour de tables de jeux, "ce n'est pas un casino", lui fait remarquer la présidente.
A côté de sa vie à Genève, consacrée à sa banque et ses hôtels de luxe, "La Rotonde et le Concorde c'étaient des plaisanteries", assure François Rouge, qui dit suivre de loin les activités de son associé.
Des plaisanteries qui se sont achevées par un "fiasco total" et la dispute des deux clans associés au départ dans le Cercle, regrette le banquier, convaincu que "personne ne serait ici devant le tribunal si Paul (Lantieri) avait respecté le budget des travaux".
Vingt prévenus sont jugés jusqu'au 21 juin dans cette affaire, notamment pour association de malfaiteurs, blanchiment et extorsion de fonds. Sur le banc des prévenus, figurent des membres présumés du milieu, dont Roland Cassone - perçu par le parquet comme un parrain mafieux, un "vieux monsieur" qui "fait penser à Marlon Brando dans Le Parrain" -, et l'ex-gendarme Paul Barril, ancien numéro 2 du Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), absent à l'audience.