Avocate d'Alain Ferrandi, Maître Françoise Davideau livre son analyse sur l'avis de la commission locale qui s'est prononcée pour le maintien de son client sous le statut de détenu particulièrement signalé (DPS). Pour le conseil du prisonnier corse, "cet avis obéit aux ordres".
"Je ne suis pas dans la modération". Au lendemain de l’avis négatif de la commission locale de la centrale de Poissy concernant le statut de DPS de son client, Maître Françoise Davideau ne décolère pas. "C'est un message extrêmement méprisant et insultant et c’est aussi comme ça que le reçoit Alain Ferrandi".
Ce mardi, au sortir d’une entrevue avec son client à la centrale de Poissy, l'avocate inscrite au barreau de Paris est revenue sur cet avis, rendu selon elle, "sur commande directe de l’Exécutif". Entretien.
France 3 Corse ViaStella : Ce mardi matin, vous avez rendu visite à Alain Ferrandi à la centrale de Poissy (Yvelines). Comment a-t-il accueilli l’avis négatif de la commission locale ?
Françoise Davideau : Il s’estime otage de décisions et d’une vengeance d’État. Cet avis a été rendu sur commande directe de l’Exécutif et notamment de M. Strzoda (directeur de cabinet du président de la République, ndlr), ce que chacun sait sans jamais vouloir le dire. Tout ça évidemment avec l’assentiment du Premier ministre et de l’Exécutif en général. Par cet avis tout à fait inique, l’Exécutif nous dit clairement : "on emmerde (sic) la Constitution et la règle de droit. On insulte et on méprise la Corse et les Corses, la Convention européenne des droits de l’homme, la Collectivité de Corse, les élus, les municipalités". En bref, c’est une sorte de message extrêmement méprisant et insultant et c’est aussi comme ça que le reçoit Alain Ferrandi.
Dans cette commission, sept membres sur dix se sont prononcés en faveur du maintien du statut de DPS de votre client et de Pierre Alessandri. Quelles ont été les motivations avancées ?
Comme d’habitude, les faits, la personnalité de la victime et, surtout, les possibilités de tentative d’évasion. Ce qui à ce stade de nos demandes d’aménagement de peine frisent quand même le ridicule et le mépris le plus total, ne serait-ce qu’à l’intelligence. C’est l’avis le plus défavorable depuis les quatre dernières années. Comme si leur comportement en détention, car c’est bien de ça dont il s’agit, s’était aggravé alors que nous sommes en train de demander des aménagements de peine. Curieusement, cet avis obéit aux ordres, ce qu'a d’ailleurs eu du mal à nier la directrice de la centrale de Poissy qui a tourné casaque en huit jours. Elle était pour l’aménagement de la peine et là, elle se déclare favorable au maintien du DPS. Quand je dis que c’est sur ordre, ça l’est vraiment. Ça rappelle des périodes sombres de l'Histoire...
"Je me pose la question de savoir si le revirement de casaque de la directrice de la centrale de Poissy n’était pas lié à un renversement de majorité sur l’avis…"
Parmi les dix membres de cette commission, il y a des représentants de l’administration pénitentiaire, du parquet, de l’État. Qui a fait pencher la balance ?
Là, c’est du côté de l’arsenal administratif qu’il y a eu une opposition, car le judiciaire s’est prononcé pour la suppression du statut de DPS. D’ailleurs, je me pose la question de savoir si le revirement de casaque de la directrice de la centrale de Poissy n’était pas lié à un renversement de majorité sur l’avis…
Vous y voyez une quelconque empreinte ?
Je vois une empreinte qui se manifeste, en plus, avec énormément de morgue, sans aucune réserve. Ce qui me surprend, c’est comment peut-on le faire face à autant de soutiens institutionnels et représentatifs, qu’il s’agisse de la population, des politiques, corses ou pas. Récemment, il y a eu le déplacement à Poissy de plusieurs parlementaires qui venaient tant de Corse que du continent. C’est quand même des camouflets distribués à tous ces gens d’une façon qui se révèle de plus en plus arbitraire.
Vous êtes avocate au barreau de Paris. Avec votre vision extérieure, pensez-vous que les tensions actuelles entre la majorité territoriale nationaliste et les services de l’État puissent interférer dans l’avis de cette commission ?
Si c’est le cas, on n’est pas dans la bonne voie. Si effectivement on doit élargir ou déterminer un périmètre qui pourrait servir de base à une compréhension et à un rapprochement, il me semble que c’est en donnant des signes de part et d’autre ; or, là, les signes témoignent et démontrent un mépris total pour l’ensemble des élus corses. S’agissant des populations, je ne suis pas en Corse et je n’ai pas la perception quotidienne du climat. Néanmoins, si je m’en tiens simplement aux représentants désignés par la population, je dis que le message qu’on leur envoie n’est certainement pas très encourageant. Au contraire, pour moi, et je pèse mes mots, c’est un message insultant.
À la suite de cet avis, un débat contradictoire sera organisé à la centrale de Poissy le 3 mars prochain. Qu’en attendez-vous ?
C’est une sorte de mini audience en présence des représentants de la pénitentiaire où l’on entend la position de M. Ferrandi accompagné de son avocate. C’est un débat contradictoire qui est en réalité une sorte d’enregistrement de la position de M. Ferrandi qui sera ensuite transmise au ministre de la Justice. Là, en l’occurrence, au Premier ministre qui rendra la décision (Eric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, a été dessaisi de ce dossier "pour risque d’un conflit d’intérêts de nature à nuire à son intégrité ministérielle", ndlr.). C’est un débat où on nous laisse certes nous exprimer mais qui montre la limite du contradictoire. En revanche, le ministre peut très bien prendre une autre décision (que l’avis de la commission). Ces dernières années, malgré les avis favorables de la commission, il avait maintenu ce statut de DPS. Il pourrait faire l’inverse. Nos recours ne sont qu’administratifs. En revanche, théoriquement, on a le droit de demander la suppression de cette inscription aussi souvent qu’on le veut.
C’est ce que vous ferez ?
C’est possible…
"Il semble que le judiciaire manifeste une certaine indépendance et surtout un certain respect de la règle de droit."
Le 20 janvier dernier, le tribunal d’application des peines de Paris a examiné la demande d’aménagement de peine d’Alain Ferrandi. Le jugement doit être rendu ce jeudi. Cet avis de la commission locale peut-il influer sur cette décision de justice à venir ?
Pas forcément. Lors des demandes précédentes d’aménagement de peine d’Alain Ferrandi et de Pierre Alessandri, ils ont toujours comparu alors qu’ils étaient sous le statut de DPS. Néanmoins, il semble que le judiciaire manifeste une certaine indépendance et surtout un certain respect de la règle de droit. En effet, à deux occasions déjà, M. Alessandri a bénéficié de cet aménagement de peine de la part du tribunal de l’application des peines (la décision avait été ensuite rejetée en appel, ndlr). On espère que M. Ferrandi, malgré le contexte et malgré cette inscription, pourra bénéficier de cette décision d'aménagement. Car elle entraîne automatiquement la suppression du DPS. C’est donc à la fois lié et pas lié à l'avis de la commission locale. Dans le climat actuel assez moyen, il existe quand même, heureusement, la séparation des pouvoirs et je ne confonds pas l’administration et le judiciaire.
Vous gardez donc un espoir quant à la décision rendue ce jeudi ?
Évidemment, l’espoir est mesuré mais on serait fier, ne serait-ce que pour nos institutions, au-delà même de la décision rendue, que soient reconnues et appliquées les règles qui doivent l’être. Ce qui serait tout à l’honneur de notre pays.