Ajaccio : son père est mort du coronavirus, un avocat porte plainte pour remonter la "chaîne de responsabilités"

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Avocat à Ajaccio, Saveriu Felli espère, par ses plaintes, mettre au jour la "chaîne de responsabilités" qui ont abouti au décès de son père, Lucien Felli. D’autres familles ajacciennes se sont tournées vers lui, espérant que par leur nombre, elles pourraient convaincre la justice d’agir.

Saveriu Felli est avocat, comme l’était son père, Lucien, décédé le 23 mars dernier à Paris du Covid-19. Depuis cette date, Saveriu souhaite, avec sa famille, remonter la "chaîne de causalités" qui ont menées à la mort de son père. "On considère qu’il y a eu une série d’imprudences et de négligences", dit-il.

Trois actions en justice

Il a décidé d’attaquer, par voie judiciaire : le 19 mai, il a porté une première plainte contre X auprès du tribunal judiciaire de Paris, pour homicide involontaire et abstention volontaire de prendre des mesures visant à combattre un sinistre. Il espère ainsi voir aboutir une enquête sur la responsabilité des "décideurs publics et de l’administration".



Saveriu Felli travaille également à un dépôt de plainte contre Agnès Buzyn, l’ancienne ministre de la Santé, auprès de la Cour de justice de la République (CJR), seule instance apte à juger les ministres dans l’exercice de leur fonction. La procédure est plus longue, plus compliquée, cela prendra plus de temps.



Enfin, avec d’autres avocats, Saveriu Felli va déposer un recours indemnitaire devant le tribunal administratif de Paris, pour faire reconnaître la "faute de l’État".

Nous considérons que nos chances sont relativement bonnes, dans la mesure où les juridictions administratives, en matière de santé publique, placent à un très haut niveau le degré d’attente et de vigilance attendus de l’État en ces matières

"Nous considérons que nos chances sont relativement bonnes, dans la mesure où les juridictions administratives, en matière de santé publique, placent à un très haut niveau le degré d’attente et de vigilance attendus de l’État en ces matières", précise Maître Jean-Baptiste Santini, avocat dans ce dernier dossier. "Pour dire ça, on se base sur les jurisprudences relatives au VIH ou à l’amiante."

Une "logique de pression"

Le but de ces plaintes, et en particulier celle devant la CJR ? "C’est une logique de pression contre le pouvoir judiciaire parce que quand on a déjà 71 plaintes et celles qui vont arriver, cela engendre une sorte d’effet boule de neige". Pour Saveriu Felli, on peut espérer aboutir à un grand procès, du genre de celui qu’on a vu pour l’affaire du sang contaminé. "Vu qu’il y a 28.000 morts minimum -tous n’ont pas été testés, on considère qu’il y a toute latitude pour ouvrir un chapitre de l’histoire judiciaire française important."

La campagne des municipales en question

Lucien Felli, le père de Saveriu Felli, travaillait entre la Corse et Paris. Le 8 mars, comme beaucoup d’autres, il fait ses courses dans un grand marché de plein air au Sud de Paris. "Il respectait les gestes barrière mais le climat global c’était une banalisation de ce qu’il se passait", relate son fils.



Au milieu d’une foule compacte, Lucien Felli croise un ami, député, qui fait campagne pour un candidat aux élections municipales. Son épouse est présente, elle le voit discuter à distance de son ami, une heure durant. "Forcément, avec la foule, dans un marché, il y a sans doute des rapprochements", explique Saveriu Felli. La semaine suivante, Lucien Felli tombe malade. Hospitalisé le 13 mars, il mourra 10 jours plus tard à l’âge de 78 ans.



Après sa mort, la famille Felli cherche à comprendre : où Lucien Felli a-t-il pu être contaminé ? Dans son immeuble, aucun des voisins interrogés n’a présenté des symptômes. Mais le député avec qui il a discuté a été infecté au Covid-19 au même moment. Lui, et son équipe de campagne. Pour Saveriu Felli, il ne fait pas de doute que c’est au marché, en discutant avec son ami, que son père est tombé malade.



"Si les élections municipales ne s’étaient pas tenues, si elles avaient été annulées à temps, il n’y aurait pas eu de campagne, explique-t-il. Ça m’intéresse parce qu’une élection, c’est également tout ce que ça implique en terme d’échanges, de sociabilité, vous croisez des gens, vous serrez des mains."

Des "négligences graves"

Aujourd’hui, Saveriu Felli s’indigne contre la communication de l’État, qu’il résume ainsi : "Circulez, il n’y a rien à voir."

Il aurait cherché à connaître la vérité

"Mon père était habitué aux combats, notamment en Corse, qui souvent mettaient en cause les autorités. On s’est demandés ce qu’il aurait fait dans cette situation. S’il avait été en charge de ce dossier pour une famille de victimes, il aurait cherché à connaître la vérité", déclare Saveriu Felli.



Saveriu Felli tient à le préciser : "On n’est pas dans une logique de de soulagement psychologique, on est dans une logique juridique, étayée, objective." Parmi les pièces jointe à sa plainte devant le tribunal judiciaire de Paris, on trouve de nombreux articles de journaux, accessibles à tous, depuis le début de l’épidémie.



Figure notamment cette interview d’Agnès Buzyn, le 17 mars dans le journal Le Monde : "Je pense que j’ai vu la première ce qui se passait en Chine : le 20 décembre, un blog anglophone détaillait des pneumopathies étranges. J’ai alerté le directeur général de la santé. Le 11 janvier, j’ai envoyé un message au président sur la situation. Le 30 janvier, j’ai averti Edouard Philippe que les élections ne pourraient sans doute pas se tenir. "



"On a listé ce qui nous semblait des négligences graves, précise Saveriu Felli, le fait de ne pas avoir pris les mesures nécessaires au bon moment."

Deux autres plaintes à Ajaccio, des centaines en France

A Ajaccio, le combat judiciaire de Saveriu Felli a inspiré d’autres familles.



Elles sont deux à l’avoir contacté, après avoir vécu le décès de l’un des leurs, des suites du Covid-19. Notamment en Ehpad. Mais pour l’avocat, il n’est pas question d’attaquer l’Ehpad directement : "Je pense pas que certains Ehpad aient commis de négligences particulières, je pense simplement qu’il avaient pas les moyens de protéger certains soignants et que ça a infecté une partie de leurs malades. "



Le 15 mai dernier, le parquet de Paris a déclaré avoir enregistré 47 plaintes de particuliers, d’associations ou de syndicats. Mercredi, il a annoncé l’ouverture de deux enquêtes au chef de "mise en danger de la vie d’autrui". Elles font suite à des plaintes mettant en cause la gestion de la crise sanitaire dans une résidence pour personnes âgées et un Ehpad. Pour Saveriu Felli, c’est une bonne nouvelle : "l’Ehpad peut aussi se défendre et on peut considérer qu’on va comme ça remonter un peu la chaîne de responsabilités."

L’Ehpad peut aussi se défendre et on peut considérer qu’on va comme ça remonter un peu la chaîne de responsabilités

La commission des requêtes de la Cour de justice de la République a enregistré 71 plaintes depuis le début du confinement, d’après Le Figaro. 29 de ces plaintes visent Agnès Buzyn et 29 autres son successeur au ministère de la Santé, Olivier Véran. L’ensemble des membres du gouvernement sont visés par au moins une plainte.



A ces plaintes s’ajoutera celle de Saveriu Felli : "J’ai bon espoir que les plaintes soient traitées, je pense qu’elles reposent sur des faits objectifs, tangibles, à partir de là la justice doit faire son travail. On sait que ça va être difficile mais on mène le combat."
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