Journal de bord d'une confinée à Ajaccio : cette vie, c'est le pied !

Le confinement généralisé est entré en vigueur en Corse, comme partout en France, mardi 17 mars, à midi. Une de nos journalistes raconte ses journées. Ce mardi, nous faisons la connaissance du pied de son voisin Nicolas. 

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Retrouvez le chapitre 20 :  

  • Chapitre 21 : Cette vie, c’est le pied !


Boris Johnson est en soins intensifs. Il est en soins intensifs et je m’en fous. Je n’allume plus la télé. L’actualité, je la vis autrement. A l’échelle de ma fenêtre.

La réalité d’en-face… Et il s’en passe des choses ! Côté cour, la voisine a désormais une coupe à la Robert Smith au meilleur de son coiffé-décoiffé, un peu aplati au réveil sur l’arrière (ah non, pas que… à midi, c’est toujours pareil !). Cette dame porte également une très belle robe de chambre bleue. Indispensable la robe de chambre en ce moment, les créateurs devraient penser à la revisiter parce que la tendance du 6h-7h se prolonge sensiblement en matinée, mais ensuite, c’est le problème, il faut sortir les poubelles (et le petit haut qui va bien avec)!

Au premier étage, cependant, on tombe le vêtement à la mi-journée pour profiter du soleil. Maillot de bain de rigueur derrière les cannisses, en vue plongeante, ils ne servent plus à rien (les cannisses). Par contre, pour bien séparer les moments, j’ai remarqué qu’on faisait la classe à droite du balcon vers 9h et bronzette sur la gauche juste après. Je parle de gauche et de droite mais c’est en fait droite-gauche dans le sens du voisin d’en face. Oui, la précision est importante, on réapprend le sens du détail quand on n’a rien d’autre à faire.

Mon voisin du dessous, par exemple (je parles bien là de Nicolas), s’est découvert une marque sur le haut du nez qui mériterait sans doute un petit geste esthétiquement chirurgical (ou chirurgicalement esthétique, on ne pinaillera pas sur la formulation). J’ai froncé les sourcils de mon mètre-vingt de distance pour tenter de localiser l’incroyable « Bing-Bang » de vaisseaux sanguins, puis mis un certain temps à faire la mise au point d’une vue que j’ai plutôt bonne de loin, avant de distinguer une rougeur foncée microscopique à l’endroit indiqué. Limite, je me suis demandée s’il ne s’agissait pas d’une ruse de sioux pour que je m’approche un peu ! En fait non. Il remarque juste les choses que les autres ne voient pas, propension dont je vous avais déjà parlé. Mais il y a une chose dont je ne vous ai pas encore parlé (du moins j’avais laissé planer le suspens) : ses pieds.
 

Mutation engagée…


On peut dire que, pour le coup, la nature a soigné le sens du détail. Vous vous rappelez, sans doute, mon voisin pratique l’apnée. Non, je ne parle pas de la respiration qu’il retient quand je l’exaspère parce que je ne l’exaspère pas encore - du moins je l’espère- je parle ici d’une vraie discipline sportive à laquelle il s’astreint, à sec (par défaut), en période de confinement.

L’autre jour, lors de notre pause sur les toits en haut desquels (duquel ?) il avait grimpé en chaussettes, il a donc retiré les dites chaussettes - de belles canadiennes rayées bien épaisses et trouées d’un côté - pour dévoiler son principe d’adaptation au milieu (aquatique) : des doigts de pieds palmés. Ou du moins, deux (x2) orteils amoureux, bien collés l’un à l’autre qu’il surnomme ses « jumeaux », héritage de sa chère maman (qui elle, renseignement pris, n’est pas attirée par les abysses). Pour que vous ne preniez pas mes écrits pour une affabulation après 21 jours de confinement, j’ai crû bon de photographier l’attribut droit, je vous laisse juger par vous même. Qui sait si, à la génération suivante, ne viendront pas les branchies !
 


Que serait mon quotidien sans Nicolas et mes voisins. Ce matin, à 8h, je discutais avec ma voisine de l’immeuble d’en face, coté rue. Elle me disait qu’elle en avait marre, qu’elle fumait trop et que ce n’était pas bon.

Son voisin du dessous, en étage décalé, jouait déjà de la guitare. Il en joue le matin au café et le soir à l’apéro. Je lui dis bonjour à lui aussi maintenant même si j’entends rien à sa musique. Le courant d’air emporte ses accords côté carrefour, je suis lésée.


Le quotidien sur grand écran…


L’autre jour Nicolas m’a dit, « s’il y avait l’espace d’un mur, je projetterais bien un film, comme ça tout le quartier pourrait en profiter ». On était là, sur le balcon à discuter en scrutant les façades. J’ai répondu, « quelqu’un le fait déjà dans une autre ville, je l’ai vu dans mes actualités (ndrl :Facebook ) ».

Alors, on a imaginé tendre un drap entre notre immeuble et celui d’en-face qui servirait d’écran. On y a réfléchi un moment, on y a crû, vraiment. A la fin je lui ai demandé, « tu as un projecteur chez toi ? ». Il a fait « non » de la tête. Des fois, on fomente de grands projets pour rien.
 


Mes voisins du dessus (appartement du milieu), leur voiture est tombée en panne. En plein confinement, c’est ballot.

Alors, pour qu’ils puissent faire leurs courses, je leur prête la mienne. Ils ont aménagé récemment, je ne les connaissais pas avant. Ils ont deux chiens. Quand ils sont passés me rendre les clés en revenant je leur ai dit, « vous avez une bonne excuse pour sortir, c’est cool, vous avez des chiens ». Sympas, ils ont répondu, « on te les prête si tu veux ». Echange de bons procédés. Je vais signaler à mon voisin du premier, que je connais depuis beaucoup plus longtemps, qu’il ne me l’a pas proposé, lui, son chien, pour ma promenade ! Je vais lui passer un coup de fil pour le faire rigoler.

Avant je ne connaissais pas la vie de mes voisins des immeubles alentours. Maintenant, je les observe. L’autre jour, en allant tirer le rideau que je laisse grand ouvert, comme toutes les fenêtres, en journée, j’ai aperçu l’un d’entre eux en pleine séance d’altères. Il faisait sa gym à 9h du soir. J’ai joué les voyeurs, traquant les détails de son intérieur éclairé par une lumière douce.

Je lui invente une vie, un métier, des envies. Je n’ai rien d’autre à faire passée une certaine heure. Pourtant, même si cela paraît futile, j’aime bien mon actualité (à la fenêtre). Je la préfère à celle de Boris Johnson.

Je traque le détail comme je ne le faisais pas avant, un peu comme Nicolas. Hier, ce dernier a monté une bouteille de vin (tiens, je n’ai pas compté le nombre de bouteilles de vins que nous avons partagées depuis le début). Tout à l’heure, j’ai tourné la tête en direction de cette bouteille. Un bourgogne 2013. J’ai souri en voyant le nom de la cuvée : Moulin à vent.

Oui, il a raison Nicolas, je dois brasser du vent (beaucoup) en ce moment…

(Hier, quand Nicolas est monté, il m’a dit, « tiens, tu t’es habillée en noir ». Aujourd’hui, pour aider la couleur, j’en ai mis dans mon papier)
 
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