Du colloque sur la piété populaire le matin à la messe en plein air dans l'après-midi au Casone, le pape a plaidé pour un concept de laïcité qui ne soit pas "statique et figé". Un message fort sur une île que le souverain pontife a citée en exemple.
"Vous ne pouvez pas imaginer la fierté de vous recevoir ici."
C'est ainsi que le cardinal Bustilo a introduit l'allocution du pape François lors du colloque organisé au Palais des congrès sur la piété populaire en Méditerranée.
"Lorsque la piété populaire réussit à communiquer la foi chrétienne et les valeurs culturelles d’un peuple, unissant les cœurs et fusionnant une communauté, un fruit important naît qui rejaillit sur l’ensemble de la société comme sur les relations entre les institutions civiles et politiques et l’Église", a déclaré le Saint-Père dans la matinée de ce dimanche 15 décembre lors de cette conférence qu'il est venu conclure.
Présenté comme la principale motivation de ce voyage papal, ce colloque lui a donné l'occasion de s'adresser aux fidèles et aux citoyens insulaires, vivant sur une terre où l'on évoque souvent le concept de "laïcité à la corse".
"La piété populaire, très profondément enracinée ici en Corse, fait émerger les valeurs de la foi et exprime en même temps le visage, l’histoire et la culture des peuples, a affirmé François devant des élus, dont beaucoup de maires, des confrères, des religieux et des théologiens. C’est dans cet entrelacement, sans confusions, que se noue le constant dialogue entre le monde religieux et le monde laïc, entre l’Église et les institutions civiles et politiques. Sur ce sujet, vous êtes en route depuis longtemps et vous êtes un exemple vertueux en Europe. Continuez sur cette voie !"
Dans ce discours d'une vingtaine de minutes, le jésuite argentin de 87 ans s'est également adressé aux jeunes générations "voulant les encourager à s’engager encore plus activement dans la vie socioculturelle et politique, sous l’impulsion des idéaux les plus sains et de la passion pour le bien commun". Et le Saint-père d'ajouter, devant plusieurs responsables politiques insulaires, dont le président de l'exécutif Gilles Simeoni : "De même, j’exhorte les pasteurs et les fidèles, les hommes politiques et ceux qui exercent des responsabilités publiques à rester toujours proches des peuples, en écoutant les besoins, en comprenant les souffrances, en interprétant les espoirs, parce que toute autorité ne grandit que dans la proximité."
Il y a un risque, en effet, que les manifestations de la piété populaire se limitent à des aspects extérieurs ou folkloriques sans conduire à la rencontre avec le Christ.
Pape François
Plaidant pour un "concept de laïcité qui ne soit pas statique et figé mais évolutif et dynamique", le pape a déclaré que "les croyants peuvent se retrouver sur un chemin commun avec les institutions laïques, civiles et politiques, pour travailler ensemble à la croissance humaine intégrale et à la sauvegarde de cette Île de beauté."
François a ainsi appelé à une "laïcité capable de s'adapter à des situations différentes ou imprévues". Pour lui, il y a une "nécessité de promouvoir une coopération constante entre les autorités civiles et ecclésiastiques pour le bien de l'ensemble de la communauté, chacune restant dans les limites de ses compétences et de son espace."
Sa prise de parole a également été l'occasion de faire une mise en garde, pointant certains risques, notamment celui "que les manifestations de la piété populaire se limitent à des aspects extérieurs ou folkloriques sans conduire à la rencontre avec le Christ [...] et que la piété populaire soit utilisée, instrumentalisée par des groupes qui entendent renforcer leur identité de manière polémique, en alimentant des particularismes, des oppositions, des attitudes d’exclusion."
Et d'assener : "Tout cela ne répond pas à l’esprit chrétien de la piété populaire et appelle chacun, en particulier les pasteurs, à la vigilance, au discernement et à la promotion d’une attention constante aux formes populaires de la vie religieuse."
Le reportage de Maïa Graziani, Guillaume Leonetti et Mattea Luccioni :
En guise de conclusion, le souverain pontife a "souhaité que ce colloque sur la piété populaire aide à redécouvrir les racines de [la] foi et incite à un engagement renouvelé dans l’Église et dans la société civile, au service de l’Évangile et du bien commun de tous les citoyens".
"Continuez sur cette voie"
De piété populaire, il en a aussi été question lors de la messe du Casone, point d’orgue du déplacement du souverain pontife.
Dans son homélie prononcée en milieu d’après-midi devant près de 10 000 personnes, le pape François a évoqué le colloque ajaccien durant lequel "il a été souligné combien il est important de cultiver sa foi en appréciant le rôle de la piété populaire".
Le souverain pontife a notamment insisté sur le rôle des confrères, qui étaient près de 1 000 à l'écouter sur la place d'Austerlitz. "Pensons aussi aux confréries qui peuvent nous éduquer au service gratuit du prochain, qu’il soit spirituel ou corporel. Ces associations de fidèles, si riches de leur histoire, participent activement à la liturgie et à la prière de l’Église qu’elles agrémentent de chants et de dévotions populaires."
Il a souligné l’importance de la piété populaire en tant qu’outil d’évangélisation.
"Puissent nos communautés grandir dans leur capacité d’accompagner tout le monde, en particulier les jeunes sur le chemin du baptême et des sacrements mais également les anciens, qui sont la sagesse d'un peuple [...]", a déclaré le jésuite argentin, déplorant que "tant de personnes abandonnent leurs parents dans des maisons de repos".
"Pensons aux jeunes, a repris le pape. En Corse, Dieu merci, ils sont nombreux ! Je n'ai jamais vu autant d'enfants qu'ici, seulement dans le Timor oriental (Ndlr : il s'y était rendu en septembre dernier). C'est une grâce de Dieu. C'est votre joie et votre gloire !"
Sous le chapiteau où le mot "A Pace" est inscrit en lettres dorées, le Saint-Père a fait référence aux "causes sérieuses de souffrance, nombreuses dans certains pays : la misère, les guerres, la corruption, la violence", demandant aux fidèles d'avoir une pensée pour "les enfants ukrainiens qui ne savent plus sourire". Une phrase faisant écho à son intervention du matin, lors du colloque, où il avait transmis un message de paix pour "tout le Moyen-Orient" ainsi que pour "le peuple ukrainien et le peuple russe".
Le reportage de Frédéric Danesi et Frédéric Guichard :
"Cependant, a-t-il ajouté, la parole de Dieu nous encourage toujours. Face aux désastres qui oppressent les peuples, l’Église proclame une espérance certaine qui ne déçoit pas puisque le Seigneur vient habiter au milieu de nous. Ainsi, notre engagement pour la paix et la justice trouve dans sa venue une force inépuisable", a proclamé le Saint-Père devant les milliers de spectateurs massés devant lui.
Qu'ils soient croyants ou non, ce message d'espérance, c'est certainement ce qu'ils étaient venus chercher lors de cette journée historique pour la Corse.