Discussions avec Paris : les Corses partagés entre "réalisme", pessimisme et désintérêt à l'approche de la rencontre entre la délégation insulaire et Gérald Darmanin

Une rencontre entre les représentants insulaires et le ministre de l'Intérieur est prévue le 20 juillet à Paris. Un rendez-vous qui prend place quatre mois après la dernière visite de Gérald Darmanin sur l'île, et qui devrait engager un processus de négociation autour de l'avenir institutionnel de la Corse. À moins d'une semaine de l'ouverture de ces discussions, les insulaires se montrent mitigés quant à leur issue.

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La Corse se dirige-t-elle vers un statut d'autonomie, plébiscité notamment par la mouvance nationaliste ? Hier, mardi 13 juillet, une réunion entre le président du Conseil exécutif, la présidente de l’Assemblée de Corse et les représentants des quatre groupes politiques qui composent l'hémicycle du cours Grandval s'est tenue à Corte

Objectif de ce rendez-vous de plus de deux heures, organisé à hui clos : préparer celui, prévu le 20, avec le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, à Paris. Une rencontre qui devrait marquer l'ouverture du si attendu cycle de négociation entre l'Etat et les élus insulaires quant à l'avenir institutionnel de la Corse.

Attablée pour un café matinal, place Saint-Nicolas, à Bastia, Aline*, retraitée de la fonction publique, veut être optimiste. "Indépendantiste convaincue", elle avoue rêver d'une Corse "d'abord autonome, puis indépendante" à laisser "pour [ses] petits-enfants". "Je leur souhaite pour eux, puisque ce ne sera dans tous les cas par pour moi".

Contrairement à ce que laissent entendre certains de nos élus ici, on n'effectue pas de pareils changements du jour au lendemain.

Car si elle fait vœu de la mise en place, dès la semaine prochaine, d'un dialogue "efficace et effectif", la septuagénaire "n'est pas dupe" : si la question de l'autonomie est bien abordée, et que le gouvernement accepte rapidement de s'engager dans cette procédure, "il ne faudra pas compter la suite en mois, mais en années, voire en décennies", estime-t-elle. "Contrairement à ce que laissent entendre certains de nos élus ici, on n'effectue pas de pareils changements du jour au lendemain. C'est malheureux, mais c'est comme ça."

Elle fait la moue, puis poursuit : "Et ça, bien sûr, c'est en cas de scénario idéal, où tout se passerait bien et tout le monde discuterait à tête apaisée. Si ça s'enflamme, ou si nos élus trouvent une fin de non-recevoir, je crains bien qu'on en prenne pour encore cent ans, ou que recommencent toutes les manifestations. Peut-être les deux à la fois", soupire-t-elle.

Entre réalisme et pessimisme 

Un peu plus loin, sur la place du marché, Ghjuvan-Petru ne cultive lui que peu d'espoirs quant à la teneur des prochains débats. "On veut nous faire croire à l'ouverture d'un prochain chapitre pour la Corse, mais c'est du vent, c'est tout". La venue de Gérald Darmanin en Corse en mars dernier, "c'était juste pour apaiser les tensions. Il leur a fallu un mois entier de manifestation pour se dire qu'il était temps de faire quelque chose, il est venu, a fait son spectacle, est reparti plein de belles promesses. Et puis trois mois ont passés sans aucunes nouvelles."

Pour ce père de famille, éducateur spécialisé de profession, l'excuse d'un calendrier politique rendu chargé par les élections présidentielles et législatives, respectivement en avril et juin derniers, ne tient pas. "S'ils voulaient vraiment nous donner l'autonomie, et s'ils voulaient vraiment même discuter sérieusement de nos besoins et de comment arranger la vie ici, et comment faire en sorte de réparer les relations entre la France et la Corse, ils l'auraient fait. Tout est toujours possible quand on en a la volonté. [Emmanuel] Macron a eu le temps de faire trois fois le tour du monde depuis, et ne s'est toujours pas déplacé ici. Si vous pensez que la Corse fait partie des priorités gouvernementales, c'est que vous êtes au mieux bien naïf", peste-t-il.

Si vous pensez que la Corse fait partie des priorités gouvernementales, c'est que vous êtes au mieux bien naïf

Une dernière idée partagée dans l'ensemble par David*, vingt-six ans. Il appelle à se montrer "réaliste" : "La Corse, c'est 330.000 habitants, dont 200.000 électeurs. On dira qu'autour de 100.000 ont voté pour les nationalistes aux élections et veulent l'autonomie. À échelle de la France, avec ses plus de 67 millions d'habitants, ça représente quoi ? La Corse, c'est une goutte d'eau pour le gouvernement."

Désabusé, de façon générale, de la politique comme des élus politiques, cet habitant de Biguglia ne voit guère plus dans ce processus de discussion entre la Corse et le gouvernement qu'un effet d'annonce. "Je ne comprends même pas l'intérêt du gouvernement dans tout cela. Pour moi, c'est plus une perte de temps pour eux... Et ça ne mènera sans doute à rien."

Un timing jugé peu approprié

Plus que le contenu des discussions à venir, pour certains, comme Mathilde*, résidente de Sisco, c'est le timing choisi qui n'est pas approprié. "Quand on regarde la situation nationale comme internationale, on se dit qu'il serait temps de sortir un peu de ce nombrilisme, et de prendre à bras-le-corps des problématiques plus actuelles, comme le pouvoir d'achat, qui nous touchent tous, globalement. Parler d'autonomie, qu'on soit pour ou contre, il le faudra, mais est-ce-vraiment le moment ?"

Même avis pour ce groupe d'amis, la vingtaine : "Il y a la guerre en Ukraine, et l'actualité brûlante ce seraient les discussions avec la Corse ? Restons sérieux. Il y a un temps pour tout, et ce n'est pas le bon actuellement."

Des discussions en dehors des préoccupations

Parmi les personnes interrogées, dans les rues de Bastia et plus généralement au sein de l'agglomération bastiaise, ce jeudi 14 juillet, reste enfin une part considérable qui admet tout simplement ne porter que peu, voire même pas du tout d'intérêt, aux négociations qui devraient bientôt s'engager. 

Quartier Lupinu, Amir, la trentaine, n'attend "rien", ni de la part du gouvernement, ni des élus insulaires. "L'autonomie, la gestion des institutions en Corse, ça ne me concerne pas tout ça, dans tous les cas. Qu'ils l'aient ou qu'ils ne l'aient pas, ça ne changera rien à mon quotidien, ça ne permettra pas aux jeunes d'ici d'avoir un avenir meilleur, rien de tout ça. Ils font des préoccupations de quelques-uns celles de tous. Mais la vérité, c'est que ce n'est pas ça le plus important pour nous. Ça ne l'est même pas du tout. Mais pour ça, il faudrait venir nous consulter."

C'est comme [s'ils] se camouflaient tous derrière la question de l'autonomie pour ne pas avoir à se confronter à d'autres problèmes bien plus importants, et qui touchent beaucoup plus la vie des habitants au jour le jour

Cathy, 58 ans, prolonge cette idée, et a ses propres théories sur la question : "C'est comme si nos politiques insulaires, ou plutôt nos nationalistes en place, se camouflaient tous derrière la question de l'autonomie, encore et toujours de l'autonomie, pour ne pas avoir à se confronter à d'autres problèmes bien plus importants, et qui touchent beaucoup plus la vie des habitants au jour le jour", développe-t-elle, le ton moqueur. "C'est un peu facile. Taper sur le grand méchant Etat français pour masquer que rien n'a été fait depuis leur arrivée au pouvoir il y a huit ans, tout simplement."

Aussi sceptique qu'elle soit, la jeune retraitée promet pour autant de suivre "de loin" ce que donnera cette fameuse réunion, "par curiosité".

Avant de s'envoler pour Paris mercredi 20 juillet, une ultime réunion préparatoire est prévue ce lundi 18 juillet entre les membres de la délégation corse. L'occasion de fixer les dernières modalités organisationnelles, et faire en sorte, comme le soulignait hier Gilles Simeoni, "que la séquence politique qui va s’ouvrir ait une portée historique".

*les prénoms ont été modifiés

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