Au terme de quatre jours d'audience, le verdict du procès en appel de Michel Jegat devant la cour d'assises de Haute-Corse est attendu dans la journée de ce 16 janvier. En première instance, l'homme avait été condamné à 12 ans de réclusion criminelle. L'avocate générale a requis une peine plus sévère.
"Le dossier de Michel Jegat est celui d’un homme pervers, de la déviance". Debout à la tribune du ministère public, le ton acerbe à l’égard de l’accusé, Dominique Sauves déroule les différents chefs d’accusation qui lui sont imputés.
Un viol sur sa fille, en lui imposant des pénétrations digitales et une fellation. Des violences, aussi. Elle avait 14 ans. Un viol sur une amie de sa fille, avec laquelle il affirmait entretenir une relation sentimentale, ce que réfute cette dernière. Elle avait 16 ans. D’avoir fait fumer du cannabis aux deux adolescentes, favorisant leur corruption. Des agressions sexuelles, enfin, sur celle qui fût sa belle-fille, en exigeant qu’elle le masturbe, notamment. Elle avait 10 ans.
Certes, Michel Jegat, depuis le premier dépôt de plainte, en 2017, nie tout, à l’exception de la consommation de stupéfiants avec les deux jeunes filles. Mais l’avocate générale n’en croit rien. Et s'appuie pour ce fait sur les déclarations des plaignantes, "cohérentes" et crédibilisées par divers rapports d'experts.
"Il n'est même pas capable de reconnaître sa propre déviance"
Assis dans le box des accusés, Michel Jegat écoute, tantôt immobile, tantôt prostré sur lui-même, la main lui masquant le visage, et tantôt roulant des yeux ou secouant la tête pour signifier son désaccord. "Ce dossier, poursuit l’avocate générale, c’est celui d’un crime, en l’espèce plusieurs crimes. Celui d’un viol par un père dont le statut est censé imposer respect et autorité, quand lui incarne tout l’inverse, tranche la représentante du ministère public. Il n’est pas capable de reconnaître sa propre déviance, dont il n’a même pas conscience."
Au quatrième jour d’un procès éprouvant pour les jurés, contraints de rester jusqu’à tard, chaque soir, pour assister aux débats, "vous allez devoir faire un choix", leur rappelle Dominique Sauves.
Un choix qui représentera celui de la société, et un choix qui devra prendre en compte les victimes : trois jeunes femmes, toutes mineures au moment des faits. Pour elles, argue la représentante du ministère public, une absence de condamnation ou une peine "insuffisante" ne permettrait pas "de réparer leurs blessures", ni de "restaurer leur confiance en la société".
"Pour lui, 12 ans, c'est trop. Pour le parquet que je représente, ce n'est pas assez"
En première instance, la cour criminelle de Corse-du-Sud l’avait condamné à 12 ans de réclusion criminelle. "Michel Jegat a fait appel. C’est son droit. Pour lui, 12 ans, c’est trop. Pour le parquet que je représente, ce n’est pas assez."
Dans ce cadre, l'avocate générale requiert une peine "qui ne soit pas inférieure à 15 années" de prison, dont 10 ans incompressibles.
"Les choses qu'on vous a expliquées ne sont pas forcément la vérité de ce dossier"
Tout au long du procès, durant lequel les passes d'arme ont été nombreuses entre la défense et la représentante du ministère public, Me Jean-François Casalta a travaillé à faire valoir une autre image de son client que celle présentée par les plaignantes, leurs conseils, et l'avocate générale. "Moi, j'ai une petite flamme qui me permet de vous dire que les choses qu’on vous a expliquées ne sont pas forcément la vérité de ce dossier", entame-t-il.
Depuis le début de l’audience, "il y a deux choses qu’on ne vous a jamais dites, et qui sont pourtant des principes fondamentaux, reproche l’avocat. La première, c’est que la charge de la preuve pèse sur les épaules du ministère public. C’est-à-dire que c’est à l’avocate générale de la preuve de la culpabilité de l’accusé. Est-ce que vous l’avez déjà entendu le faire dans cette audience ? Jamais."
Le second principe : celui du doute, qui doit profiter à l’accusé, insiste Me Jean-François Casalta. "Cela veut dire que si vous avez un doute, le bénéficiaire dans la décision que vous allez prendre, ce sera Michel Jegat et personne d’autre."
"On ne juge pas la morale, on juge le droit"
Michel Jegat conteste avoir violé sa fille et agressé son ex-belle-fille. Parle d’une relation sentimentale avec l’amie de sa fille, et donc de relations sexuelles consenties. L’idée d’un homme de 48 ans en couple avec une adolescente de 16 ans perturbe sans doute la majorité. Mais dans ce procès, "on ne juge pas la morale, on juge le droit", rappelle l’avocat. Et cette différence d’âge, aussi dérangeante puisse-t-elle être, n’est pas pénalement condamnable.
Pour Me Jean-François Casalta, les discours et les présentations qui ont été faites des plaignantes ne tiennent pas. Ou du moins pas entièrement. L’emprise qu’aurait eu Michel Jegat sur la fille de son amie, avec qui il se disait en couple ? Pourquoi, alors, questionne-t-il, n’a-t-elle pas fui, trouvé refuge chez elle, auprès de ses parents ? Pourquoi avoir accepté de partir en vacances dans les Antilles avec lui ? "Elle n'a jamais été violée, soutient-il. Jamais. C'est un mensonge."
Difficile de croire, aussi, l'ensemble des déclarations de la fille de Michel Jegat, estime-t-il, notamment au vu de l'attitude qui pouvait sembler par moments décontractée de l'adolescente, lors de ses dépositions.
L’incitation par Michel Jegat à prendre des stupéfiants pour favoriser des actes sexuels avec les adolescentes ? Pour l’avocat, l’état d’inconscience et de flottement total dans lequel se décrivent les deux jeunes femmes, et qui aurait permis à l’homme de les violer, ne correspond pas aux effets du cannabis sur l’immense majorité des consommateurs.
Le verdict attendu en fin de journée
"Moi, je ne sais pas ce qui s’est passé. Mais le discours de ces jeunes filles me semble bien contradictoire", continue l’avocat. Le doute réside également dans les déclarations et l'identité de l'auteur des agressions sexuelles que dénonce l'ancienne belle-fille de son client, poursuit-il. En insistant : des erreurs peuvent arriver en justice, des injustices.
Invité à prendre la parole en dernier, Michel Jegat le répète, la voix étreinte par l'émotion : "Cela fait cinq ans que je clame mon innocence. Et cela fait trois jours que j'ai l'impression de ne pas avoir été écouté. J'ai fait des erreurs, oui, je suis condamnable pour ça, je l'admets. Mais en aucun cas, je ne suis un violeur. Mon seul souhait, c'est de pouvoir retrouver mes fils et ma compagne. On me dit que ces jeunes filles sont démolies, mais moi, ça fait cinq ans que je suis démoli, et personne ne m'écoute."
La cour s’est désormais retirée pour délibérer. Le verdict est attendu en fin de journée. La peine maximale qui peut être prononcée pour un viol aggravé est de 20 ans de réclusion criminelle.