Jeudi 23 janvier, l'Assemblée nationale a approuvé une proposition de loi visant à donner accès à des repas à un euro pour tous les étudiants. En 2022, le Crous de Corse avait été encore plus loin en testant la gratuité pour tous pendant un an. Marc-Paul Luciani, son directeur général, revient sur cette expérience et décrypte les conséquences possibles d'une nouvelle législation en la matière.
L'Assemblée nationale a adopté une proposition de loi du Parti socialiste visant à donner accès à des repas à un euro pour tous les étudiants, jeudi 23 janvier.
Une mesure qui vise à répondre à la précarité grandissante dans les universités dans un contexte où "36% des étudiants déclarent avoir déjà sauté souvent ou de temps en temps des repas par manque d'argent", selon une enquête de l'Ifop d'octobre 2024.
En Corse, le Crous sert, en moyenne, 800 à 850 repas chaque jour, soit 121 000 par an. Des chiffres "en progression constante", selon Marc-Paul Luciani, son directeur général, tout comme le recours aux résidences étudiantes et aux aides financières. "Plus les étudiants sont en difficulté, plus ils se tournent vers les services sociaux", résume-t-il.
Ainsi, la proposition votée par l'Assemblée nationale entraînerait "un fort accroissement de l'activité" de l'organisme, avec les difficultés techniques qui en découlent.
Marc-Paul Luciani décrypte, pour France 3 Corse ViaStella, les conséquences possibles d'une nouvelle tarification des repas étudiants et revient sur l'expérimentation faite en 2022 par le Crous de Corse, qui avait instauré la gratuité des repas.
France 3 Corse ViaStella : L’Assemblée nationale vient de voter en faveur de la mise en place de repas à 1 euro pour tous les étudiants. En tant que directeur du Crous de Corse, quelle est votre réaction à cette annonce ?
Marc-Paul Luciani : C’est une réaction mesurée, puisqu’il ne s’agit que d’une première lecture. Il y a encore un passage au Sénat, donc rien n'est définitif, surtout dans le contexte actuel marqué par l'instabilité politique. D’ailleurs, rien ne nous a encore été notifié. Mais bien sûr, si cela venait à être adopté, en tant que fonctionnaires, nous respecterons la loi et nous l’appliquerons.
Concrètement, quel impact cette mesure pourrait-elle avoir à l'Université de Corse ?
À l'Université de Corse comme dans tout le réseau, cela générera sûrement un afflux massif d'usagers qui viendront fréquenter nos restos U. Il faudra anticiper, prévoir des services plus longs, des équipes renforcées, des stocks plus importants... Cela va provoquer un fort accroissement de l'activité.
Le Crous de Corse avait été plus loin encore que les repas à 1 euro, en expérimentant la gratuité pour tous les étudiants en 2022. Mais le dispositif n'avait pas été reconduit pour l’année suivante. Pour quelle raison ?
Après la période de la pandémie de Covid-19, lorsque nous avons rouvert nos restos U, le Crous avait demandé à la Collectivité de Corse (CdC) de prendre en charge 1 euro par repas consommé par les étudiants, ce qui avait le mérite de provoquer la gratuité pour les boursiers et de faire tomber le ticket non boursier à 2,30 euros.
Pour l’année scolaire 2022-2023, de concert avec la CdC, nous avons expérimenté la gratuité totale pendant un an. Donc nous pouvons en parler d’expérience, il s'est produit ce que je vous ai décrit précédemment, c'est-à-dire un fort accroissement de l’activité, qui a presque doublé.
Le reportage réalisé par Pierrick Nannini en 2022, lors de la mise en place de la gratuité des repas pour tous les étudiants de l'Université de Corse :

Et cela a donc engendré des difficultés ?
La gratuité a reçu un accueil mitigé parmi les étudiants, les organisations syndicales et la communauté universitaire. Car, outre l’allongement des files d’attente, cela pouvait constituer une rupture d'équité. Ainsi, certains syndicats étudiants ont prêché pour un retour à l’équité, c’est-à-dire 1 euro pour les boursiers et 3,30 euros pour les non-boursiers. En 2023, grâce à l'aide de la CdC, qui a maintenu son soutien pour les boursiers et les étudiants précaires, ces derniers ne s'acquittent plus du repas et les non-boursiers sont revenus à 2,30 euros.
Cette gratuité pour les boursiers et les étudiants précaires existe-t-elle ailleurs sur le territoire national ?
Nous sommes la seule région qui pratique la gratuité de facto pour une partie, très précaire, de ses étudiants. Nous sommes le seul Crous sur les 26. Et c’est une mesure qui est bien accueillie, parce que considérée comme équitable : ceux qui sont en situation de précarité ne payent pas et ceux qui ne sont pas boursiers payent 2,30 euros. Ce tarif nous permet de répondre à une certaine précarité, même pour les non-boursiers.
Au regard de cette expérience, le passage à 1 euro pour l'ensemble des étudiants tel que voté par l'Assemblée nationale ne serait donc pas forcément une bonne nouvelle pour vous ?
Si l’on passe à 1 euro au niveau national, et que l’on retire les 1 euro de la CdC, cela reviendrait à la gratuité totale en Corse. Ce qui, je l'évoquais, n’avait pas été très bien accueilli, notamment par les organisations syndicales. Et dans les faits, c'est vrai qu’il y a de nombreuses conséquences pratiques. Mais nous sommes là pour donner une prestation sociale à tous les étudiants, donc nous ferons face, comme nous l'avons fait en 2022.