Le parc naturel et patrimonial de la plaine orientale est devenu, en dix ans, un point de rendez-vous incontournable pour tous les amateurs de sciences, au sens le plus large du terme. Retour sur une succès à nul autre pareil, avec son directeur, Fabrice Fenouillère.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. 70.000 visiteurs par an, et ses séances complètes des mois à l'avance. En dix ans, le parc Galea est devenu lieu culturel le plus couru de Corse. Comment ce parc, né il y a dix ans d'une rencontre entre le conférencier Fabrice Fenouillère et la famille Semidei, propriétaire d'un terrain à Taglio-Isolaccio, peut-il séduire autant de monde ?
Un pont entre les mondes
Ce n'était pas gagné, raconte Fabrice Fenouillère : "avec Paul et Pierre-François Semidei, nous voulions, à l'origine, construire un endroit qui raconterait la Corse, à notre manière, à travers des musées et des jardins. On aimait l'idée que les visiteurs, les touristes, puissent s'arrêter et, en deux heures de temps, mieux connaître l'île. On était très insulaires dans notre discours, on voulait offrir un grand résumé du patrimoine naturel et culturel de notre île, c'était un peu La Corse pour les Nuls, quoi ! Le genre de choses que j'aurais aimé trouver en débarquant en Martinique, une petite île à laquelle je ne connaissais rien. Un endroit qui me proposerait un résumé, pour mieux comprendre le territoire derrière".
Mais dans ce parc de neuf hectares, où peu à peu, les premiers musées apparaissent, ses créateurs trouvent qu'il manque quelque chose. Alors, durant les premières années, Galea s'aventure sur le terrain des conférences et des rencontres. Très prudemment. Une ou deux par an, consacrées au patrimoine insulaire. Une trentaine de curieux se déplacent, et Fabrice Fenouillère, en 2014, se demande s'il ne faut pas repenser la formule : "on a décidé de changer de braquet. On a arrêté de se cantonner aux thématiques insulaires, pour s'emparer d'autres sujets qui dépassaient les contours de la Corse, tels que la géopolitique, la philosophie, ou l'ethnologie. En espérant que le public accrocherait à des rencontres autour de Cléopâtre, les Mayas ou la planète Mars..."
La réponse ne se fait pas attendre. C'est désormais plus de cent personnes qui se déplacent jusqu'à Taglio Isolaccio. "Ca nous a complètement dépassés. Cet endroit, qui était pensé pour raconter l'île aux visiteurs, racontait désormais le bout du monde aux gens de chez nous".
Le parc Galea revoit ses ambitions à la hausse. Avec une inconscience rafraîchissante, qui va porter ses fruits, au-delà de tous les espoirs. "On s'est dits qu'on n'allait plus faire des conférences de temps en temps, mais tous les dimanches, à 15 heures, durant huit mois de l'année !" Pour Fabrice Fenouillère, c'est le moment où les choses ont vraiment basculé. "Si j'avais un conseil à donner, à quelqu'un qui se lance dans ce genre d'aventures, c'est d'instaurer un truc très régulier. Un vrai rendez-vous pour les gens, peu importe l'affiche. Le côté métronomique, c'est très important".
Avec la famille Semidei, ce dont on est le plus fiers, c'est d'avoir réussi à attirer vers le savoir partagé des gens qui, a priori, se sentaient étrangers à ce type de rendez-vous.
Fabrice Fenouillère
Désormais, c'est entre 800 et 1.000 personnes qui, en fin de semaine, effectuent ce qui est devenu pour certains d'entre eux un véritable pèlerinage. "Il y avait énormément de gens qui n'étaient jamais allés dans des conférences avant, qui n'avaient pas les codes, qui n'avaient pas un bagage universitaire très important, mais qui se sont pris au jeu. Et qui maintenant, font 20 à 30 conférences par an ! Je ne sais pas pourquoi, peut-être parce qu'il a des chaises en plastique, parce qu'il n'y a pas de pression particulière, ils sont rentrés dans la salle, ils s'y sont sentis bien, et aujourd'hui, ils sont au premier rang".
démocratiser le savoir
Ce ne sont pas que les chaises en plastique, on s'en doute, qui ont fait la différence. La formule du parc Galea est imparable. Un parc de neuf hectares, véritable oasis de nature et de sérénité, où les cactus et les arbres à thé côtoient les espèces endémiques et les plantes aromatiques. Des musées immersifs, aussi ludiques que pédagogiques, couvrant une cinquantaine de thématiques différentes, de l'histoire de la Corse au biomimétisme en passant par les étrusques ou l'intelligence des plantes. Des ateliers pour les enfants, des parcours nature, pour les petits et les grands.
L'idée, c'est de proposer des choses pour tous les âges, et tous les profils. Et même celles et ceux qui se promènent sous les oliviers finissent toujours un jour par passer la tête dans l'espace de conférence. Et s'ils s'assoient, souvent, c'est gagné.
Pour autant, il n'a jamais été question de chercher à battre des records d'affluence au détriment de la qualité des interventions, qui, pour être pointues, n'en oublient pas d'être passionnantes. Et pour cause : ce sont les plus grands pontes dans leur domaine, Yves Coppens, Axel Kahn, Boris Cyrulnik, Barbara Cassin, Daniel Tammet, François Durpaire, pascal Boniface, qui les donnent, devant des salles combles. Un vrai tour de force.
Là encore, c'est la formule, audacieuse, qui a fait la différence.
"Notre philosophie, c'est de ne jamais payer les conférenciers, alors que toutes et tous, habituellement, demandent une rétribution pour leur prestation. Et vivent, en partie, de ça. Mais notre idée, c'était plus de leur proposer un joli package : la Corse, une maison au bord de l'eau, 4 ou 5 jours sur place, une voiture de location, et une invitation pour leur compagne ou leur compagnon. C'est ainsi que l'on a tissé des liens, en mangeant ensemble, en leur faisant découvrir l'île, sans qu'il n'y ait rien de mercantile".
On va aller vers plus de stages, plus de masterclasses.
Fabrice Fenouillère
Dix ans, c'est un anniversaire à célébrer, pour Galea. Mais c'est également une étape importante, et l'occasion de se projeter vers l'avenir. "On a senti, chez les gens qui viennent, une volonté d'approfondir plus encore les questions abordées. Et j'aimerais aller vers plus de stages, de master-classes. Durant, peut-être, des week-ends, voire des semaines entières. On invitera un expert, une sommité internationale, qui prendra le temps de proposer tout un cycle de cours, en repartant de la base, afin d'offrir les outils pour mieux cerner les enjeux actuels".
Une fois de plus, Fabrice Fenouillère n'a aucun doute sur le potentiel : "cette année, on a mis en place un petit cycle avec un astrophysicien, trois heures tous les mois, le dimanche matin, à 9 heures, à Taglio ! Et il y avait deux cents personnes, à chaque fois, avec un carnet en main et un ordinateur sur les genoux, c'est encourageant..."
Et on peut lui faire confiance. Jusque-là, le directeur du parc Galea s'est rarement trompé.