Le gouvernement a fait connaître les modalités de sa réforme des retraites, après plusieurs années de tergiversations. Une réforme qui laisse dubitative l'opinion publique, et scandalise les syndicats, en Corse comme dans le reste du pays.
Ce matin, dans les cafés bastiais, ce n'est pas le match nul du Sporting Club de Bastia à Quevilly, mais la réforme des retraites qui anime les conversations au comptoir. La prise de parole d'Elisabeth Borne hier soir adonné un caractère brutalement concret à une réforme qui, jusque-là, restait floue. "Ca fait des mois qu'on en entend parler, mais là, on sait vraiment à quelle sauce on va être mangés". Ou presque.
"62, 63, 64..."
Le quinquagénaire, hier soir, a sorti sa calculatrice. Mais il ignore encore quelles seront les conséquences exactes de la réforme des retraites pour lui. Et quand le serveur, entre deux aller-retours en terrasse, lui dit qu'il n'a qu'à se connecter au site internet info-retraite pour connaître l'âge auquel il pourra partir, il balaie la remarque d'un revers de la main : "ma fille me l'a dit. J'ai essayé, mais j'ai rien compris. Ils me demandent tout un tas de trucs..."
Jean-François sourit aux limites numériques de son client. Lui, il a réussi à se connecter, mais plus par curiosité qu'autre chose. "Dans la limonade, et la restauration, c'est un peu particulier. Sur ce truc, y a pas toutes les saisons qu'on a faites au black, quand on était plus jeune. Et puis, de toute manière, je ne vais pas être serveur jusqu'à 64 ans. Ni même jusqu'à 50... Si les cheminots trouvent que leur boulot est pénible, ils devraient venir faire une saison sur la place Saint-Nicolas..."
Comme beaucoup de salariés d'une vingtaine ou d'une trentaine d'années, Jean-François sait très bien qu'il est lui aussi concerné par les débats qui animent la France en ce moment. Mais il se dit qu'il a encore le temps...
Même mes chefs, jusqu'à hier, ils ne savaient pas me dire l'âge auquel je pourrai partir à la retraite.
Marielle
Marielle, elle, est plus inquiète. Elle a 60 ans, travaille au service administratif d'une grande enseigne, et elle n'est pas sûre de pouvoir partir à la retraite dans deux ans, comme elle pensait pouvoir le faire. "62, 63, 64... Si j'ai bien compris, ça va être mis en place peu à peu, donc moi je devrais m'en tirer. Mais même mes chefs, jusqu'à hier, ils ne savaient pas me dire l'âge auquel je pourrai partir à la retraite. Maintenant qu'on connaît le contenu du projet, on devrait y voir plus clair. Je vais retourner voir la DRH demain matin".
Front commun des syndicats
Comme beaucoup de Français et de Françaises (54 % selon une étude Harris Interactive), Alain, Jean-François et Marielle ne sont pas favorables à la réforme. Même si Marielle reconnaît qu'il faut changer le système. "Il y a de plus en plus de personnes âgées, et donc de plus en plus de retraites à payer. Il faut trouver des sous. Mais je ne sais pas si c'est la bonne manière de faire, l'allongement de la durée de cotisation".
Sans surprise, du côté des syndicats, le nom à la réforme, "l'une des plus brutales de ces trente dernières années", selon la CFDT, est unanime. Elisabeth Borne n'avait pas encore quitté le pupitre de la conférence de presse que les partenaires sociaux annonçaient une journée de grèves et de manifestations le 19 janvier prochain, préalable à "une puissante mobilisation sur les retraites dans la durée".
En Corse, la tonalité est la même.
Le gouvernement a réussi à nous unir.
F.O.
"Je pense que ce gouvernement a réussi à nous unir, et ce sera la même chose pour les salariés", affirme Christophe Bertin, le secrétaire général de Force Ouvrière pour la Haute-Corse. "Il y a une prise de conscience de l'ensemble du monde du travail pour lutter contre cette réforme des retraites qui est aussi injuste qu'inutile. Pour nous, le report de l'âge à 64 ans, ce sera non, de toute façon".
Charles Casabianca, le secrétaire général CGT Haute-Corse, y voit une "régression sociale". "Il y a de quoi financer cette retraite à 60 ans. Aujourd'hui on vous parle de 12 milliards à échéance 2030. Mais ces 12 milliards, si vous les remettez dans la somme globale des retraites, ça représente 3 %. Il faut arrêter de faire croire aux gens que notre système est à bout de souffle. Non, il n'est pas à bout de souffle".
Ces derniers temps, les rassemblements dans la rue, à l'appel des syndicats, peinent à mobiliser les foules. Les syndicats insulaires espèrent que cette réforme des retraites provoquera un sursaut, et que les Corses répondront présents en masse à l'appel à manifester du 19 janvier prochain.