Le Grand prix de littérature policière 1997 signe un nouveau formidable roman noir, Le carré des indigents. Il est à Bastia aujourd'hui pour le présenter, en exclusivité, aux lectrices et lecteurs de Corse.
En littérature, les héros ne meurent jamais vraiment. En 1982, à la fin de La mort dans une voiture solitaire, son premier roman, Hugues Pagan tuait son protagoniste principal, l'inspecteur principal Schneider. "Une belle connerie", lance le septuagénaire, derrière ses Ray-ban noires.
Au fil d'une œuvre riche de 13 romans et recueils de nouvelles, Schneider a donc refait régulièrement des apparitions, par la grâce de retours dans le passé. C'est à nouveau le cas avec ce Carré des indigents d'excellente facture.
Nous sommes en 1973. La France s'apprête à élire Giscard quand Betty disparaît dans une petite ville de l'est du pays. La jeune fille, âgée d'une quinzaine d'années, n'est jamais rentré de la bibliothèque où elle s'était rendue sur son vélo. Peu après, on la retrouve, morte. Et quasiment décapité. Schneider est chargé de l'enquête.
Une tragédie d'une beauté glaçante
L'intrigue évoque, de prime abord, les polars usinés à la chaîne qu'on oublie aussi refermés. Mais c'est Hugues Pagan qui est à la manœuvre de ce Carré des indigents. Et l'ancien flic signe une nouvelle fois une tragédie d'une beauté glaçante, à la fois lyrique et intime, qui met au jour sans aucune pitié ce que l'âme humaine recèle de plus inavouable.
Nous l'avons interrogé, à quelques heures de sa venue en Corse, pour sa première rencontre avec ses lecteurs depuis la sortie du livre, le 5 janvier dernier. Un événement pour tous les amateurs de roman noir. Et de littérature en général.
Entretien
Vous êtes un écrivain avare de ses apparitions, et vous voilà deux fois en Corse en moins d'un an...
J'ai été invité à Luri en juin dernier, et ça a été un vrai coup de cœur. J'ai adoré l'ambiance, et j'ai trouvé le public attentif, et chaleureux. Alors j'ai fait savoir à mon éditeur, Rivages, que j'aimerais beaucoup que l'on fasse la sortie du Carré, auquel je tiens beaucoup, en Corse.
Ca ressemble à un lancement de livre à l'ancienne, non ?
Je suis un vieux monsieur, je vais fêter mes 75 ans cette année. Alors je peux me permettre le luxe du vintage, du désuet. Mais je vous fais remarquer qu'il y a des pinards ou des cognacs de 1947 qui sont absolument remarquables !
Pendant vingt ans, de 1997 à 2017, de vous avez délaissé la littérature pour...
Pas du tout.
Disons alors que les lecteurs de polar n'ont plus vraiment eu de vos nouvelles.
Je le reconnais, il y a eu une parenthèse "écriture de scénario". Mais ce n'est pas de ma faute ! D'abord, permettez-moi une remarque très vulgaire, un scénario ça paie bien plus qu'un livre... Et puis surtout, je suis tombé dans le piège en raison de mes amitiés. Un ami m'a demandé de faire une série, elle s'est faite, et tout s'est enchaîné. Et puis, un jour, j'en ai eu marre. Et je suis revenu aux romans. Mais durant cette période, j'ai écrit près d'un millier de pages, que j'ai gardé en stock. Voilà pourquoi je disais que je n'ai jamais délaissé la littérature.
Il y a même des malveillants qui disent que je suis un écrivain de gauche !
Hugues Pagan
Un que vous n'avez jamais vraiment délaissé non plus, c'est Claude Schneider.
Ah ça... On est très potes, avec Schneider. Il a été mon premier personnage, et quarante ans après, il est toujours là. Enfin, il est mort, mais, on en a la preuve avec Le carré des indigents, il est toujours là !
Depuis votre retour avec Profil perdu en 2017, vous enchaînez les livres. Le carré des indigents est le troisième. Ca vous a manqué ?
C'est une nécessité intérieure, l'écriture. Un besoin de parler. Je pense vraiment qu'il faut dire certaines choses.
Dans Le carré des indigents, l'un des flics, Bogart, dit à Schneider que "nous n'avons rien d'autre que les mots pour nous défendre". En écrivant vous vous défendez contre quoi ?
Je me défends contre rien, je suis inattaquable (sourire). Je parle pour ceux qui ne peuvent pas parler. Les gens d'en bas, ceux que certains appellent les sans-dents. Dans Le carré des indigents, j'ai choisi une nouvelle fois les gens d'en bas, et une histoire d'en bas. Avec, au beau milieu, Schneider. Un policier intègre. Si, si, ça existe.
On qualifie parfois vos romans de polars "littéraires". Vous en pensez quoi ?
Il y a même des malveillants qui me disent que je suis un écrivain de gauche ! (rires) On me dit littéraire, mais ceux qui parlent de polars littéraires n'ont jamais lu de polar. De vrai polar en tout cas. Les auteurs comme Dashiell Hammett, ou Faulkner, tiens ! Faulkner qui a signé un roman noir sublime, Pylône. L'un des plus beaux romans noirs que je connaisse, c'est Les raisins de la colère. Ca ne veut rien dire, polar. En France on adore ça, mettre les gens dans des boites. Et moi, comme en plus, j'ai été policier, c'est la double peine.
Aujourd'hui, les romans sont écrits de la main gauche, voire du pied gauche, par des auteurs présumés ou des comités éditoriaux
Votre style, en tout cas, est unique dans le genre. à la fois rugueux et poétique...
J'ai un style rugueux parce que je raconte rugueusement des choses rugueuses. Et puis c'est mon style, voilà tout. Quelqu'un m'a dit un jour que j'écrivais comme un écrivain du XIXème siècle. Je trouve que c'est un super compliment ! Aujourd'hui, les textes sont écrits de la main gauche, du pied gauche, par des auteurs présumés ou des comités éditoriaux. C'est sûr que le style, ce n'est pas leur priorité.
Vous diriez que vous êtes un styliste ?
Ca marche pas comme ça. Je vais vous dire un truc. Gide disait que la forme, c'est le fond qui remonte. Eh ben moi je suis d'accord avec ça. Je crois tout simplement que la forme, c'est en grande partie la manifestation du fond.
Hugues Pagan sera à la brasserie Malacella, rue Favalelli, à Bastia, samedi 15 janvier à 17h30 pour une rencontre et une séance de dédicaces.