Composé par un jésuite à la fin du XVIIème siècle, et désigné comme hymne national de Corse en 1735, le Dio vi salvi Regina reste aujourd'hui particulièrement populaire sur l'île. Ecrit à la gloire de la Vierge Marie, il est désormais chanté bien au-delà du cadre des messes, et sera entendu par le pape François lors de sa visite à Ajaccio, ce 15 décembre.
Pour Julien, la trentaine, c'est le chant qui accompagne tous les grands événements de sa vie. "À mon mariage, on l'a chanté. Au baptême de mon fils, aussi, comme à l'enterrement de mon père. Pourtant, je ne suis pas très pratiquant, et je me rends rarement à la messe. Mais ça a toujours été comme ça, depuis que je suis tout petit."
À l’instar de toute sa famille, et de la très grande majorité de ses amis, Julien connaît le Dio vi salvi Regina par sur le bout des doigts, "comme certains connaissent mot pour mot la Marseillaise", glisse-t-il dans un sourire. C'est, après tout, rajoute-t-il, "notre hymne national".
Il faut dire que le Dio vi salvi Regina a traversé les siècles. Certaines légendes voulaient, un temps, qu'il ait été écrit en 1720 par un berger du Niolu... Mais c'est plutôt à la fin du XVIIIe siècle, vers 1675, que ce chant à la gloire de la Vierge Marie a été rédigé. Composé par un jésuite italien, Saint François de Geronimo, ce texte est en réalité directement inspiré du "Salve Regina", hymne religieux parmi les plus populaires du Moyen-Âge, et encore aujourd'hui chanté dans des monastères.
Dès 1681, les paroles du chant sont imprimées dans la Dottrina cristiana spiegata in versi, puis en 1704 dans le Sommario della Dottrina cristiana, rédigé par l'alors archevêque de Gênes, Monseigneur Giambattista Spinola.
Le Dio vi salvi Regina se diffuse rapidement dans toute l'Italie, avant de tomber dans l'oubli. À l’exception de la Corse, où il reste particulièrement populaire. En janvier 1735, il devient même le chant de ralliement des insurgés, alors qu'une consulte tenue à Corte voit les chefs nationaux proclamer la rupture avec Gênes et la souveraineté de l'île. La Corse indépendante choisit pour reine protectrice la Vierge Marie, et comme hymne national, le Dio vi salvi Regina.
Hymne populaire et identité corse
Chanté dans toutes les églises corses, la popularité de l'hymne perdure... Et au fil des siècles, finit même par sortir du cadre clérical, désormais entonné dans les soirées, réunions privées, ou même dans de plus gros événements publics ou des manifestations politiques. Plus qu'un chant, le Diu vi salvi Regina s'est imposé comme un pilier intellectuel et culturel de la société corse.
Le 12 novembre 1976, le chanteur corse Tino Rossi le reprend par exemple dans les rues d'Ajaccio, entouré d'un large public, dans le cadre de l'émission Midi Première, alors diffusée sur TF1.
Au stade de Furiani - comme notamment lors des commémorations de la catastrophe du 5 mai 1992 -, il n'est pas rare de l'entendre résonner avant que ne siffle le coup d'envoi de la rencontre. Et l'hymne ne s'arrête pas aux tribunes d'Armand Cesari : la Squadra Corsa le reprend régulièrement avant ses matchs.
Rien d'étonnant selon l'abbé Georges Nicoli : "Nous avons en Corse une forte identification, aussi bien culturelle que religieuse. Et il est vrai qu'il s'est passé toute une partie de l'histoire de l'île où les deux étaient intimement liés, estime le prêtre Bastiais. Quand Pascal Paoli déclare l'Immaculée conception comme Reine de la Corse, il place véritablement le religieux et le politique ensemble."
La laïcité "à la corse"
Au fil de l'histoire, et en tenant en compte l'application et la perception particulière de comment se caractérise et doit s'observer la laïcité sur l'île - une laïcité, somme toute, "à la corse" -, le Diu vi salvi Regina "a pris une autre ampleur, une autre place, et a dépassé les murs de nos paroisses et de nos églises, reprend l'abbé Georges Nicoli. Il se chante dans les stades, dans les concerts... Un peu de partout, là ou les Corses se rassemblent, sont heureux d'être ensemble. Ou parfois dans des moments plus difficiles, comme la catastrophe de Furiani."
Quitte à mettre de côté le principe de la laïcité ? "La notion de la laïcité n'est pas vécue de la même manière en Corse que sur le continent", rappelle l'abbé. La reprise du Diu hors du cadre des églises, poursuit-il, ne dépend finalement "ni des instances politiques, ni des instances religieuses, dans le sens où ce chant a été assimilé par le peuple lui-même."
En Corse, constate le père Nicoli, la laïcité est "plus paisible, plus diplomatique, elle se fait écoute entre les deux instances et permet de pouvoir chanter le Diu assez facilement. Et quand bien même, tranche-t-il, un régime politique ou même clérical voudrait interdire l'utilisation de ce chant, il est tellement ancré dans les gênes du peuple corse qu'il sera difficile de modifier quoi que ce soit."
Un message d'espérance
Car pour le prêtre, si le Diu vi salvi Regina conserve, encore aujourd'hui, sa popularité, c'est parce qu'il porte "un message d'espérance, qui nous tourne vers le ciel. Avec la Vierge Marie, nous avons l'impression que notre vie chrétienne prend un sens beaucoup plus concret, chanté en polyphonie à la manière d'ici, à travers les us et coutumes d'ici, et cela lui donne un cachet beaucoup plus local, plus personnalisé. Sur les 8000 km2 que représentent cette île, nous avons la grâce d'avoir ce chant qui rassemble tous les âges, toutes les régions, toutes les micro régions."
Et qui devrait continuer de les rassembler pour encore de nombreuses générations.