Le secteur de l'hôtellerie-restauration a perdu près de 10 % de ses collaborateurs en France, entre février 2020 et février 2021. La crise sanitaire a mis en difficulté un secteur déjà sous tension. Certains établissements sont obligés de fermer temporairement leurs portes.
L'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (Umih) estime à environ 2.500 le nombre de postes à pourvoir dans le secteur, en Alsace. Les longues périodes de fermeture des établissements imposées par le gouvernement ont changé le rapport de nombreux collaborateurs à leur métier.
Pendant de longs mois, ils ont pu profiter de leur famille le soir et le week-end. Au moment de la réouverture, beaucoup s’étaient habitués à ce nouveau rythme : certains ne sont pas revenus, d’autres ont repris pour quelque temps, avant de quitter leurs fonctions.
Au restaurant La Fischhutte à Mollkirch, l’équipe est passée de 9 à 2 collaborateurs en quelques mois. Deux employés sont partis monter leur propre affaire, ils ont choisi de ne pas ouvrir le dimanche.
Des salariés retraités appelés à la rescousse
La famille Schahl, propriétaire et gérante, a été obligée de faire appel à d’anciens salariés. Trois retraités sont revenus prêter main forte et les anciens patrons, qui avaient passé le flambeau à leur fille, travaillent désormais à nouveau à temps plein. Geneviève en salle, Bernard en cuisine. À 73 ans, ce dernier s’active pour sauver le restaurant : « Sans les retraités, on aurait pu fermer boutique », affirme-t-il.
La Fischhutte cherche quatre, voire cinq collaborateurs depuis plusieurs mois. « Nous sommes à la campagne, dans un coin reculé, c’est encore plus compliqué qu’en ville parce que si vous n’habitez pas dans les parages, vous êtes obligés de faire de la route plusieurs fois par jour, poursuit Bernard Schahl. Vous ne profitez pas de la coupure entre les services du midi et du soir. »
À La Couronne, à Scherwiller, Didier Roeckel est face aux mêmes difficultés. Son restaurant est l’un des rares à la campagne à ouvrir sept jours sur sept, midi et soir. Mais pour cela, le patron a besoin d’une équipe étoffée, or depuis quelques mois, impossible d’être au complet. « Des employés sont partis faire de l’intérim et bossent à l’usine, d’autres préfèrent rester chez eux », déplore le patron, qui aimerait recruter quatre personnes en salle et une en cuisine.
Capacité réduite voire fermeture
« On parle beaucoup en ce moment de la contrainte du travail le dimanche, mais chez nous, elle est prise en compte depuis longtemps, insiste-t-il. En 2000, j’ai mis en place un roulement particulier : les employés travaillent trois jours, puis sont en repos deux jours et ainsi de suite. Ce qui fait qu’ils ont chacun au moins un samedi-dimanche de libre par mois ».
Rien n’y fait, la crise sanitaire a souvent servi de déclic et poussé les collaborateurs à changer de voie. En novembre, La Couronne a ainsi dû fermer ses portes, un jour par-ci, un jour par-là. Et en ce moment, elle n’accepte aucune réservation de groupes. Certaines salles ne sont pas ouvertes. L’adaptation est permanente : « À chaque service, je travaille en fonction du personnel opérationnel, plus en fonction des réservations », affirme encore Didier Roeckel.
Ce genre de situations est vécu dans de très nombreux établissements. Les patrons regrettent que « certains touchent trop d'aides en restant à la maison. Forcément, ça ne donne pas envie d'aller travailler ».
Le salaire, "un faux procès"
Mettre la faute sur le salaire est un faux procès selon eux. Ce serait plutôt « une question de volonté, de mentalité, d’ambition ». N’empêche que début janvier, patronat et syndicats ont signé un accord sur une hausse des salaires : il prévoit une rémunération minimum supérieure de 5 % au Smic et une augmentation moyenne de 16 % de l'ensemble de la grille actuelle des salaires.
« En Alsace, nous sommes déjà au-dessus dans une grande majorité des cas, assure Roger Sengel, président de l'Union des métiers et des Industries de l'Hôtellerie (Umih) du Bas-Rhin. Pour lui, mieux payer les collaborateurs est tout simplement impossible pour de nombreux restaurants.
« Les salaires représentent 30 à 45 %, parfois même 50 %, du chiffre d’affaires d’un restaurant, indique-t-il. Ajoutez à cela la marchandise à acheter, l’accueil des clients, les taxes à payer à l’Etat… C’est énorme. Il faut bien que quelqu’un paye tout cela. Et c’est le client qui est au bout de la chaîne. Vous imaginez le nombre de plats du jour à six, sept, huit, neuf euros qu’il faut vendre pour s’en sortir ? Je ne suis pas sûre que le client est prêt à payer plus ».
Il estime que l’une des pistes de réflexion est d’aider les patrons à mieux organiser la journée de travail de leurs salariés pour être plus attractifs : faire venir le pâtissier plus tard, par exemple. 80 % des établissements alsaciens fonctionneraient avec moins de dix collaborateurs. « Il n’y a pas de service RH, à l’Umih on essaye de les aider sur tout ça ».
Plus que jamais, le secteur doit se réinventer. Les patrons de restaurant veulent se défaire de l’image souvent négative qui leur colle à la peau et montrer que l’époque des chefs « gueulards » est révolue. Pour eux, l’avenir dépend de la formation : ils espèrent attirer des jeunes motivés et passionnés, encore trop souvent dissuadés de s’engager dans cette voie lorsqu’ils ont la capacité de faire des études alors que d’autres sont envoyés par défaut vers la restauration.