Bac en contrôle continu : comment les lycéens alsaciens resteront motivés (ou pas) jusqu'à la fin de l'année?

Vendredi 3 avril, le ministre de l'Education nationale a mis fin aux doutes des lycéens, de leurs parents et des enseignants : le baccalauréat 2020 sera délivré en fonction des résultats de l'année, en contrôle continu. Acquis tôt dans l'année, ce bac inédit ne doit pas démobiliser les élèves.

 

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Ce vendredi 3 avril 2020 restera un jour à part dans la vie de Naoelle : cette lycéenne a fêté ce jour-là, en famille, avec ses deux frères et sa soeur, ses 18 ans... et l'obtention de son baccalauréat! Un "bac d'avril", qui n'aura pas tout à fait la même saveur que celui attendu dans le stress au mois de juillet, mais qui lui donne tout de même le sourire. "J'aurais bien aimé le passer en vrai, parce que c'est le premier examen important, mais ça m'arrange quand même de l'avoir déjà maintenant", avoue la jeune fille. Soulagement partagé par la majorité de ses camarades de classe. "La plupart sont contents, il y en a même qui ont pleuré de joie, relate celle qui est déléguée de sa classe de terminale économiques et sociales, dans un lycée strasbourgeois. Il n'y a que ceux qui n'ont pas assez travaillé depuis le début de l'année qui regrettent et se sentent un peu floués..."
 



Car pour ceux qui n'ont pas la moyenne, il faudra en passer, comme de coutume, par un oral de rattrapage. En juillet, si le confinement est levé, pour les élèves ayant une moyenne entre 8 et 10 sur l'ensemble de leur année de terminale. Et en septembre, c'est la nouveauté, pour ceux qui n'atteignent pas 8 de moyenne, comme une dernière chance de se rattraper, alors que d'ordinaire, cette session de rentrée est réservée à ceux qui ont été empêchés de passer les épreuves de juin, pour raisons médicales notamment.
 

Démobilisation des élèves en difficultés?

Dans la classe de Naoelle, aucun élève n'est concerné. Mais ceux qui n'ont pas 10 de moyenne générale s'inquiètent encore plus que d'habitude." Moi, je misais tout sur ce bac, explique Line, dont la moyenne stagne à 9,4. Ça fait longtemps que je l'attends, mon parcours scolaire est chaotique, j'ai eu des problèmes familiaux en plus cette année, et c'était mon objectif de l'avoir. Je suis du genre à tout donner au dernier moment. Evidemment, si j'avais su, je me serais mise au travail bien plus tôt dans l'année. Je regrette, je m'en veux beaucoup, je dors mal depuis vendredi."
 

Elle avoue avoir pris un gros coup au moral et dénonce un système de contrôle continu "injuste. Bien sûr, c'est mon avis, parce que je n'ai pas la moyenne, mais même de bonnes élèves parmi mes copines, trouvent que c'est injuste. Il y a des profs qui notent sévèrement pendant l'année, pour qu'on réussisse au bac. J'ai plein d'amies qui n'avaient pas la moyenne dans le bulletin, mais qui ont eu le bac l'an dernier."


Troisième trimestre en classe...ou pas?

La jeune Strasbourgeoise espère maintenant qu'un troisième trimestre aura lieu, en classe, pour "pouvoir montrer ce que je sais faire. Je vais me transformer, travailler comme jamais." Et sinon, elle ira à l'oral de rattrapage. "Ce n'est pas mon fort, l'oral, je suis timide... Mais je vais m'entraîner déjà!" Avec l'espoir que le jury sera clément. "Je pense qu'ils ne vont pas nous pénaliser, ils savent qu'on s'est pris un ouragan, là... et qu'on aurait mieux travaillé, si on avait su depuis le début que ce serait en contrôle continu... Déjà, on n'aura pas la joie d'avoir le bac comme tout le monde... Et puis, il y a la réforme du bac pour l'an prochain, c'est compliqué..." 

Et c'est pour les élèves comme Line que les enseignants s'inquiètent. "Passée l'annonce de vendredi, et quelques élèves qui m'ont envoyé un message pour savoir s'ils devaient toujours m'envoyer leur copie, comme prévu, ou s'ils pouvaient se considérer en vacances, on retombe sur nos pieds, estime leur professeur principal. Globalement, les bons élèves devraient, sans surprise, continuer à être sérieux... et pour les élèves en difficultés, qui pour certains sont dans des conditions de confinement pas évidentes, et qui pour d'autres ont déjà relâché leurs efforts depuis longtemps, c'est sûr que ces rattrapages s'annoncent compliqués... Ce n'est pas facile de les impliquer à distance". Cet enseignant en sciences économiques et sociales précise "qu'un tiers environ de ses élèves ne jouent pas le jeu et n'envoient pas les devoirs demandés."


Le contrôle continu avec un an d'avance

Et ajoute : "finalement, ce bac en contrôle continu, c'est un peu une répétition avant l'heure de ce qui est prévu par la réforme. On en parle depuis des mois, il arrive un peu soudainement, et sans prévenir, mais à l'avenir, les élèves devront produire des efforts tout au long de l'année pour valider certaines épreuves en contrôle continu."

Et il est vrai que ce bac 2020 devait être le dernier dans cette formule. La réforme du bac, qui introduit le contrôle continu pour 40% de la note finale du baccalauréat, trouve en cette année d'épidémie comme une répétition générale... mais dans l'urgence. Le SNES-FSU, syndicat enseignant majoritaire dans le secondaire, par la voix de son co-secrétaire académique, Arnaud Sigrist, dit "comprendre cette décision. Il fallait en prendre une rapidement, pour donner une direction aux enseignants et aux élèves. Ce que nous regrettons, en revanche, c'est d'avoir annoncé, deux mois avant les épreuves écrites, qu'il n'y aurait aucune épreuve finale. On aurait pu se laisser la possibilité d'en maintenir une, pour que tous les élèves restent concernés."

Annoncer qu'une épreuve finale, au moins une, pouvait encore être organisée aurait permis de ne pas risquer de perdre les élèves, de les voir lever le pied déjà maintenant.
-Arnaud Sigrist, co-secrétaire académique du SNES-FSU


La réforme du bac toujours pointée du doigt

Le SNES-FSU a toujours montré son désaccord à la part donnée au contrôle continu dans la réforme du bac et espère désormais que ce bac 2020 en montrera toutes les limites. "Les écarts de notation vont être énormes, d'un établissement à l'autre. Il sera bon d'en tirer toutes les conclusions." Et Arnaud Sigrist d'avancer le problème des E3C, ces épreuves du bac anticipées, passées dès la classe de première, et qui ont, elles aussi, été très critiquées. "Les élèves de première, qui n'ont pas pu passer, à cause du confinement, leur épreuve finale, dans la matière principale qu'ils ne poursuivront pas en terminale, verront là aussi leur moyenne prise en compte. Si elle est mauvaise, ils n'auront aucun moyen de se rattraper, c'est injuste. Ce bac est vraiment un bac sacrifié, pour tous."
 
Pour ce qui est de ses propres élèves, au lycée Camille See de Colmar, Arnaud Sigrist, qui enseigne les sciences économiques et sociales, s'attend de toute façon à "une drôle de fin d'année. Il va falloir gérer des élèves aux attentes et aux attitudes très différentes : nous devrons préparer certains à l'oral de rattrapage, alors que d'autres seront déjà passés à autre chose, avec un bac obtenu dès avril... La motivation va être très inégale."


Objectif mention pour maintenir la motivation

Motivée, Naoelle, notre élève de terminale ES à Strasbourg, le reste : elle s'est fixée comme objectif d'atteindre une mention "assez bien", en maintenant la même discipline de travail, elle qui dispose d'un ordinateur, partagé avec sa soeur, et d'une tablette, pour suivre les cours virtuels proposés par certains de ses enseignants, et rendre les devoirs dans les temps. "J'ai calculé : pour l'instant, j'ai 11,53 de moyenne. C'est encore jouable d'atteindre 12, avec le troisième trimestre." Un troisième trimestre encore hypothétique, puisqu'aucune date de reprise d'un retour en présentiel n'a été fixée. Mais il permet de maintenir les élèves sous pression, car dès la reprise de l'école, les enseignants pourront à nouveau noter leurs élèves, et donc faire évoluer leurs moyennes.
 

"Moi aussi, même avec le bac acquis, je garde pour le moment le même rythme de travail", explique Mattéo, qui se met à son bureau tous les matins dès 9h. Lui pointe à une moyenne entre 14 et 15 et aura donc son bac avec mention Bien, s'il maintient le cap. "Je trouve que ça reflète mon niveau, mon travail. Je suis très content de cette formule en contrôle continu. Je suis un peu anxieux et ça évitera que je passe à côté de l'une ou l'autre épreuve, si j'avais dû les passer en juin."
 

Le travail en autonomie : une étape vers les études supérieures

Il a donc fêté l'obtention de son diplôme par un bon barbecue, dans le jardin familial de sa maison, à Lingolsheim. Tout en pensant à la suite. "J'ai postulé à une place en classe préparatoire, l'année prochaine. Finalement, je trouve que cette période nous habitue un peu aux études supérieures : travailler seul, s'organiser... Ça me motive à maintenir la pression, même si le bac est acquis."

Les études supérieures, qui se dessinent via Parcoursup. Le coronavirus n'a pour l'instant pas perturbé le système de voeux que les élèves ont eu à remplir avant le 2 avril, et qui décidera de leur avenir. "Le ministère nous indique que 658.039 élèves des filières générales et technologiques ont formulé au moins un voeu, nous explique-t-on au rectorat de l'académie de Strasbourg. C'est plus que l'an dernier, ce qui prouve que le confinement n'a pas empêché les élèves de se pencher sur leur avenir" 

Parcoursup rendra un premier verdict le 19 mai, comme prévu, avec un premier choix des universités et écoles. Le reste du processus devrait se dérouler normalement, avec "un dispositif particulier qui permettra aux bacheliers de la session de septembre de conserver le bénéfice de leur inscription dans l’enseignement supérieur, acquise dans le cadre de la procédure Parcoursup, jusqu’à la proclamation des résultats", précise le rectorat.

Une rentrée dans le supérieur qui permettra alors à ces bacheliers de tourner définitivement le dos à ce drôle de diplôme. Avec pour toujours la frustration de ne pas avoir attendu leurs résultats en juillet, devant les grilles de leur lycée. 
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