Prix Goncourt 2022 : Jean-Michel Maulpoix, la poésie au coin de la rue des Fleurs

Son nom ne vous dira certainement pas grand chose. Jean-Michel Maulpoix. L'homme est poète, un art qui se perd. Un art en friches. Lui, creuse son sillon et sème sa prose depuis plus de quarante ans. En juin dernier, le jury Goncourt vient de lui décerner son prix de la poésie. Rencontre avec celui qui habite rue des Fleurs à Bischheim (Bas-Rhin) et qui fait éclore les mots.

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Je contacte Jean-Michel Maulpoix via Facebook. Le poète y a une page personnelle. Comme si le Goncourt 2022, à 70 ans, suivait à la lettre l'injonction d'un de ses maîtres à écrire, Rimbaud, "d'être absolument moderne". Je n'y crois pas trop tout de même. Le temps de la création et celui du journalisme sont difficilement compatibles. Erreur. L'homme me rappelle dans la foulée. Rendez-vous est pris au café le lendemain matin. Miracle dominical. Que le verbe soit.

En chemin, je tente maladroitement d'imaginer à quoi ressemble un poète. Contemporain je veux dire. On en voit si peu. Jean-Michel Maulpoix met vite fin à ma rêverie frivole de barbes blanches et de foulards décadents. Il m'attend déjà. Chemisette bleu infini, cheveux rebelles et silhouette chatouillant les cimes. Il commande un café noir. Les choses sérieuses commencent.

Rue des Fleurs ... à Bischheim 

Jean-Michel Maulpoix est venu accompagné. Sous le bras, son dernier ouvrage "Rue des Fleurs" qui est une somme d'anciens poèmes, parfois vieux de trente ans, qu'il a retravaillés, réveillés, parfois entièrement réécrits. "Ca a été une réelle expérience. Certains textes poétiques livrent leur sens des années plus tard." Comme une renaissance. Un printemps en pleine saison froide. "J'ai perdu mes deux parents ces dernières années, j'étais bloqué dans ma tristesse, ma mélancolie. De cette douleur j'ai fait deux livres sur le deuil, là, il fallait que je résiste à cette tendance par un joli bouquet de poésie. Une éclosion des sens. Un poème est un organisme vivant. Il pousse sur le papier. Il anime le langage et ranime la curiosité. Il sort les mots de leur torpeur, il les réveille, il les fête. C'est ça la rue des fleurs."

" Ne me parlez pas du langage des fleurs

Car leur vertu première fut de rester muettes

Là sous nos yeux c'est tout ne vous y trompez pas

Ce serait n'y rien voir que d'en faire des bavardes 

Pourquoi tant de beauté sans raison sans pourquoi 

Très droites, sur la pointe de leurs petits pieds

Elles ont su se tenir là pour très peu de temps" 

Rue des Fleurs. La poésie au coin de la rue. De sa rue. "Je n'ai pas eu à chercher bien loin pour le titre de ce recueil, c'est mon adresse à Bischheim. Une rue d'intellos, anciennement populaire, celle de contremaîtres, derrière les ateliers SNCF, fleurie forcément." Les mots de Jean-Michel Maulpoix ne sont pas fleuris eux. Au contraire, la beauté de ses textes vient de l'épure. La simplicité se fait fracassante quand elle est bien ordonnée. Qu'elle a un sens. "La poésie est un chemin, un cheminement où rien n'est gratuit. Elle n'est pas là pour faire beau.

"C'est une très petite rue

Qui va de la chambre à la ville

En traversant de longs couloirs

Où s'empilent cahiers et livres

Elle a pour nom la rue des fleurs

C'est par là qu'ont plié bagage

Les mots échappés de mes pages." 

"C'est un livre petit et pas cher. Il a toutes les qualités pour le public. Il est facile. Peut-être de quoi renouer avec la poésie ? On dit souvent que le poésie est intransigeante et oui elle l'est. Ce qui ne veut pas dire qu'elle est forcément obscure, difficile ou hermétique. J'ai voulu en faire la démonstration avec ce livre qui est un chemin de pensée."

40 ans de carrière 

Le prix Goncourt de la poésie lui a été décerné en juin dernier suite à la parution de ce recueil. Pour Jean-Michel Maulpoix ce n'est pas un hasard, même heureux. "Ils ont attendu pour me l'attribuer que je fasse, enfin, des poèmes en vers et plus de la poésie en prose comme j'en ai l'habitude" s'amuse-t-il.

Peu importe. Ce prix décerné par l'académie Goncourt "composé d'écrivains et non pas de poètes, ce qui permet un peu d'élargir les perspectives", récompense un auteur pour l'ensemble de son œuvre (et non pas un ouvrage particulier comme le Goncourt classique). En l'occurrence 40 ans de carrière. 

"J'ai écrit mon premier poème en vers à l'âge de dix ans. J'avais reçu un établi de menuisier pour Noël. Je me souviens je le décrivais." L'artisan poète à l'œuvre. Déjà. De ce bricolage des mots, de ces "chercheries" pour reprendre Baudelaire, son autre grand maître, sont sortis une trentaine d'ouvrages. "En prose oui, les vers je les ai dans l'oreille, c'est mon unité secrète, mon diapason, pas besoin d'en rajouter."

En vers ou en prose, Jean-Michel Maulpoix n'a jamais fait d'infidélités à la poésie. "Je suis un explorateur du langage, un géographe. Je suis plus intéressé par les mots que par les histoires. Le texte poétique se suffit à lui-même tout en renvoyant à un imaginaire débridé. Comme un jeu de miroirs." 

Je suis un explorateur du langage, un géographe. Je suis plus intéressé par les mots que par les histoires.

Jean-Michel Maulpoix

Et d'ailleurs, professeur émérite à la Sorbonne, Jean-Michel Maulpoix est aussi critique reconnu. Essais sur Henri Michaux, Jacques Réda ou René Char. Là encore, une plongée en aux troubles. "La poésie est passionnante parce qu'elle traduit ce que nous sommes, nous les hommes : des êtres terrestres, matériels, portés par le langage, élevés. Dans une situation d'arrachement perpétuel."

Brouillon Bleu / Jean-Michel Maulpoix © JMM

La place du poète est là : entre deux. Une passerelle "entre le langage qui nous sépare de la réalité et le monde lui-même. C'est pourquoi aussi ma poésie claudique, boîte, entre l'irréel et le réel, le lointain et l'immédiat, l'idéal et le désenchantement …" Position inconfortable dans laquelle, ce dernier est plongé "jusqu'aux genoux, à la ceinture et aux oreilles." Et nous l'avons dit, l'homme est grand.

Une page se tourne 

Quand je l'interroge sur son Goncourt, le poète sourit. Sans plus. Jean-Michel Maulpoix a le succès modeste. La poésie est une muse introvertie. Il rejoint pourtant, excusez du peu, Yves Bonnefoy (1987), Jacques Réda (1999), Andrée Chédid (2002), Claude Vigée (2008) dans la liste des lauréats du Goncourt. De grands noms, pourtant peu connus du grand public. La poésie contemporaine française est riche mais ne rapporte ni gloire ni argent. Poètes maudits, toujours.

"Baudelaire disait des Français qu'ils n'aiment pas la poésie, c'est peut-être vrai". Le grand succès en librairie de Jean-Michel Maulpoix remonte à 1992 avec son "histoire de bleu". Ce prix Goncourt pourrait, un peu, changer la donne. "Rue des Fleurs a été édité à 3000 exemplaires là avec le Goncourt allez, on va pousser jusqu'à 10.000, un best-seller quoi. Je vais avoir 1000 euros d'argent de poche grâce au Goncourt puisque je touche 10% du prix de vente."

Jean-Michel Maulpoix, comme tous les poètes, n'a jamais vécu de sa plume. "C'est ma carrière de professeur qui m'a permis de vivre. En France, pourtant patrie des lettres, la poésie c'est petit public, petit tirage et petit éditeur."  Auréolé de ce prix prestigieux, le poète espère tout de même faire parler de lui et de son art. "Je suis déjà passé sur France Inter le mois dernier. C'est inespéré que quelqu'un qui écrit et publie des poèmes passe à une heure de grande écoute. Si cela permet de populariser la poésie alors tant mieux. Cela fait trop longtemps qu'elle est abandonnée." 

Je repars son livre coincé sous mon bras. 73 pages en terres inconnues et vivantes. A moi désormais de planter des petites graines dans les esprits pour qu'un jour renaisse le printemps des poètes.

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