Raymond Bitsch, une vie dédiée à sa langue maternelle

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Raymond Bitsch d'Achenheim, a l'alsacien chevillé au corps
Sujet Rund Um en alsacien sous-titré ©France Télévisions

Il vient de fêter ses 80 ans. L'occasion, pour Raymond Bitsch d'Achenheim (Bas-Rhin), homme de théâtre, enseignant et co-auteur d'un dictionnaire, de faire le bilan de sa vie au service de la langue alsacienne.

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"J'aimerais que l'alsacien vive encore longtemps." Pour Raymond Bitsch, ce cri du cœur ne consiste pas en de simples mots. Car ce menuisier de formation, qui a ensuite poursuivi une carrière de technico-commercial, est avant tout un homme d'action. Pour lui, il a toujours fallu du concret, et il n'aime pas ceux qui palabrent sans agir.

Sa passion pour sa langue maternelle, qui a déterminé tout son temps libre durant des décennies, lui est venue peu à peu, pour ne plus le lâcher. "Ça a commencé avec le théâtre, raconte-t-il. J'ai commencé à 16 ans, dans ma commune d'Achenheim. J'aimais jouer."  

Après quelques années d'interruption, une troupe théâtrale est relancée dans le village en 1989. Il en fait immédiatement partie. "Je faisais de la mise en scène tout en jouant. Puis j'ai commencé à écrire moi-même des pièces, et je me suis toujours davantage plongé dans l'alsacien." Tout simplement par "effet boule de neige."

Une quinzaine de pièces

Ses pièces, une bonne quinzaine, d'abord destinées à sa troupe, sont souvent reprises par d'autres. Parmi ses plus beaux souvenirs figurent cinq voyages du théâtre d'Achenheim vers la capitale, à l'invitation de l'AGAL, l'association des Alsaciens et Lorrains de Paris.

En ces temps d'avant le TGV, c'est à chaque fois une grosse expédition, doublée d'un déménagement. "On voyageait en autobus, car il fallait emmener tous nos décors. On prenait même un marteau et des clous, il n'y avait rien sur place."

"On devait y être à temps pour tout installer. Et quand on avait fini de jouer, il fallait redémonter tout le décor, et le recharger dans le bus. C'est pourquoi on partait généralement pour deux ou trois jours. Un véritable événement pour la troupe."

Une Passion du Christ en alsacien

La majorité des pièces de Raymond Bitsch sont des comédies. Il écrit aussi plusieurs pièces de Noël, dont "De Wiehnàchtsengel" (l'ange de Noël), diffusé sur France 3 Alsace en 2005. Mais la plus marquante reste indubitablement "s'Pàssionsspiel", (le jeu de la Passion), créé en 2003 par plus d'une centaine de comédiens, "102 très précisément."

Quelques objets rappellent les représentations de la Passion © Christian Laemmel / France Télévisions

"Certains prétendaient que l'alsacien ne se prête qu'à des pièces légère, pour faire rire, déplore-t-il. Mais je n'étais pas d'accord, notre langue peut s'adapter à bien d'autres répertoires."

Au tournant du siècle, il s'attaque donc à un sujet de taille : les derniers jours de la vie du Christ, selon l'évangile de Saint Matthieu. Il s'inspire en cela de la Passion jouée à Masevaux, "en allemand", mais réécrit entièrement le livret, et le réadapte "à (sa) manière, en alsacien." En faisant fi des grincheux qui estiment que ce n'est pas une langue assez noble pour être mise dans la bouche du Christ.

En l'espace de cinq ans, la pièce est donnée une trentaine de fois. "En 2006, pour l'ouverture de la Semaine sainte, on l'a même jouée en la cathédrale de Strasbourg, devant 1200 spectateurs, rappelle-t-il, encore ému des paroles de l'archevêque d'alors, Monseigneur Joseph Doré : "C'est certainement la première fois qu'on a parlé aussi longtemps l'alsacien dans la cathédrale."

Un attachement viscéral à son village natal

Quand il est en panne d'inspiration, Raymond Bitsch part se promener. Souvent, ses pas le ramènent près de l'ancien lavoir d'Achenheim, au bord du canal. Un lieu riche de souvenirs d'enfance. "Chaque lundi, ma mère faisait bouillir le linge, puis le chargeait dans la carriole, raconte-t-il. Je l'accompagnais, et on venait jusqu'ici pour tout décharger."

L'ancien lavoir où il aidait sa mère à essorer la lessive. © Christian Laemmel / France Télévisions

"Ici, ma mère savonnait et brossait énergiquement toute sa lessive, avant de la rincer dans le canal. Je l'aidais à l'essorer, et on se remettait en route. Un bon kilomètre à pied, et cette fois il fallait monter la pente, et pousser la carriole."

Autre souvenir marquant : "L'hiver 1956, où durant trois semaines, il a fait moins vingt. Je vivais au bout du village, et il fallait marcher plus d'un kilomètre pour aller à l'école." En arrivant, le soir, il devait "même attendre près du poêle avant d'enlever le cache-nez, pour le laisser dégeler, sinon il se serait brisé."

Raymond Bitsch est né à Achenheim le 22 décembre 1944, dans une fratrie de cinq sœurs et un frère. "C'est un médecin américain qui a aidé ma mère à accoucher, et après ma naissance, des Américains revenaient pour voir comme je me portais, et apportaient des chewing-gums. Par la suite, mes sœurs m'ont reproché de ne pas être né plus tôt. Ça leur aurait permis de recevoir davantage de friandises", sourit-il.

Trente ans d'enseignement

Cette langue alsacienne pratiquée depuis sa plus tendre enfance, il décide, dès 1991, de la transmettre par l'enseignement. "Au départ, j'ai créé un cours d'alsacien parce qu'il nous fallait des comédiens qui le parlent bien", précise-t-il. Durant 29 ans, il l'enseigne ainsi dans son village d'Achenheim. Et durant quinze ans, en parallèle, dans la commune de Dorlisheim.

Rapidement, il constate qu'il y a un véritable besoin, bien au-delà de la sphère théâtrale. "D'autres élèves sont arrivés : des infirmières, des dentistes, des personnes travaillant auprès des aînés. La demande était là, de gens qui voulaient pouvoir mieux communiquer avec leurs patients, ou les personnes dont ils s'occupaient." Durant deux ans, il intervient donc également à l'hôpital de Bischwiller. Et crée même un cours d'alsacien spécifique pour des pharmaciens.

L'aventure du "Friehjohr"

Dès les débuts du festival A Friehjohr fer unseri Sproch (un printemps pour notre langue), grande manifestation annuelle pour la langue alsacienne initiée dès 2001 par Bernard Deck, directeur du journal l'Ami Hebdo, Raymond Bitsch est aussi de la partie.

Raymond Bitsch et Bernard Deck © Christian Laemmel / France Télévisions

"On a commencé par rencontrer tous ceux qui s'investissaient pour notre langue, se souvient Bernard Deck. Et à la fin de la réunion, le premier à venir me dire : 'Je participe !', c'était Raymond Bitsch. Ça a commencé comme ça, et depuis 25 ans, on est de bons amis."

"J'avais remarqué (lors d'une tournée théâtrale) que dans beaucoup de secteurs, on ne faisait plus grand-chose pour l'alsacien, explique Raymond Bitsch. Mais grâce à Friehjohr, avec Bernard, on a réussi à redonner un petit élan, à motiver les gens. Ça les a stimulés à se réinvestir pour notre langue."

Durant ses dix années en tant que président de l'association de Friehjohr, Bernard Deck est secondé par Raymond Bitsch, promu secrétaire général. Celui-ci prend ensuite la présidence jusqu'en 2016, avant de passer le relai à Justin Vogel.

"Au départ, Friehjohr se déroulait sur deux week-ends. Maintenant, il s'étale sur plusieurs mois, jusqu'en juin" se réjouit Raymond Bitsch. "Et il s'améliore d'année en année, avec toujours plus de gens qui participent" ajoute son comparse.

Un dictionnaire toujours en chantier

Mais Raymond Bitsch retourne régulièrement dans les locaux strasbourgeois de la rédaction de l'Ami Hebdo. Cette fois pour continuer à enregistrer les mots d'un dictionnaire mis en ligne sur le site du journal.

"Ce dictionnaire d'alsacien, on l'avait réalisé en 2004 avec Raymond Matzen (specialiste en dialectologie), rappelle-t-il. A l'origine il comportait 3333 mots que nous avions enregistrés sur un cédérom. C'était le premier dictionnaire alsacien de ce genre."

L'enregistrement de nouveaux mots dans les locaux de l'Ami Hebdo © Christian Laemmel / France Télévisions

Depuis la disparition de Raymond Matzen en 2014, Raymond Bitsch ne cesse de compléter cet ouvrage. En 2018, il en publie une version papier, enrichie "De elsässisch Dico". De son côté, l'Ami Hebdo reprend l'intégralité du cédérom, texte et version audio, sur son site. Et Raymond Bitsch continue d'y adjoindre de nouveaux mots, sous leur forme écrite comme orale. Aujourd'hui, il en compte "plus de 7000". Les ajouts les plus récents sont ceux liés à des professions artisanales, comme "Zimmermànn" (charpentier), "Gejeböijer" (luthier), "Autoschlosser" (mécanicien) ou "Wurstler" (charcutier). "Et il y a encore plein d'autres termes à ajouter, qui n'y figurent pas. On n'a jamais fini", avoue-t-il.

Toujours au service de l'alsacien

Le 22 décembre dernier, Raymond Bitsch a soufflé ses 80 bougies. Ses activités théâtrales ont pris fin avec l'arrêt de la troupe d'Achenheim, en 2020. Depuis quelques années, il a aussi cessé de donner ses cours.

Mais il remet inlassablement son dictionnaire sur le métier, et continue ses activités de secrétaire au Conseil culturel d'Alsace. "J'ai déjà fait beaucoup pour l'alsacien, reconnaît-il. Mais j'aimerais encore faire davantage, pour qu'il perdure. S'il n'est plus parlé dans notre région, il y aura un grand vide. Il faut faire tout notre possible pour que notre langue survive."

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