Ils sont en grève de la faim depuis le 11 octobre, en soutien des migrants de Calais. Anaïs Vogel et Ludovic Holbein sont tous deux originaires de Mulhouse, ils réclament la fin des expulsions dans les "jungles".
Leur séjour devait durer deux nuits, ils se sont fait "prendre dans le vortex calaisien". Anaïs Vogel et Ludovic Holbein sont à Calais (Pas-de-Calais) depuis le 14 février, et désormais en grève de la faim pour les droits des personnes exilées. Ces Mulhousiens d'origine, de 35 et 38 ans, ont renoncé à se nourrir il y a un mois pour tenter de faire réagir les autorités. Avant une nouvelle mobilisation samedi 13 novembre à Calais, Ludovic répond aux questions de France 3 Alsace.
Quelles sont les conditions de vie des personnes migrantes pour lesquelles vous vous battez ?
"Il y a toujours quatre ou cinq "jungles" à Calais qui sont des lieux de vie où vivent les personnes exilées. Ce sont généralement des terrains vagues, avec des buissons sous lesquels des personnes dorment, parfois avec une tente, parfois juste une bâche plastique ou des cartons. Cet été, plus de 2.000 personnes étaient dans ces zones, désormais on estime qu'elles sont entre 1.200 et 1.400.
En ce moment, elles sont expulsées tous les trois jours. Il y a peu, c'était quotidien. Les forces de l'ordre arrivent avec des bennes et demandent aux personnes d'évacuer. Aucun journaliste ni aucune association ne peut franchir le périmètre de sécurité. Les équipes de nettoyage ramassent tout ce qui traîne pour les jeter : les tentes, les sacs à dos, les sacs de couchage... Ça dure une vingtaine de minutes, ils partent, et les personnes exilées peuvent revenir."
Sans faire de généralité, car ça n'arrive pas à chaque fois, on sait que dans ces moments-là, si une personne insiste par exemple pour avoir le temps de démonter sa tente, elle va subir des violences policières. Il y a régulièrement des gazages et des violences. Les personnes n'ont pas le temps de prendre leurs affaires, parfois elles les récupèrent, mais on leur interdit de les prendre. On considère que dans ce cas-là, c'est du vol."
Quelles sont vos revendications ?
"Ce qu'on dénonce, c'est le traitement inhumain et dégradant envers les personnes exilées qui survivent autour de Calais. Nous avons trois revendications : que les expulsions s'arrêtent pendant la trêve hivernale, et qu'on arrête de voler les affaires de ces personnes.
La troisième, c'est l'ouverture d'un dialogue, sachant que cette dernière est dépendante de l'application des deux premières. Un échange avec l'ensemble des personnes concernées : les associations, mais surtout les personnes exilées."
Le gouvernement a pourtant voulu établir un contact, en envoyant Didier Leschi, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration et médiateur du gouvernement. Lui parle d'un dialogue "positif et constructif", vous évoquez une discussion et non une médiation ?
'Il continue à faire ce qu'il a fait tout au long des trois réunions : mentir. Ce n'est pas un médiateur, c'est quelqu'un qui est sous l'autorité du ministère de l'Intérieur, donc il ne peut pas être neutre. Depuis le premier échange fin octobre, Didier Leschi est dans la manipulation avec nous et la presse puisqu'il dit des choses en réunion, puis son contraire avec les médias.
Il est venu avec des propositions, ça montre bien que ce n'est pas un dialogue. On lui dit "ça, ça ne va pas, faites remonter ces informations", et il revient plusieurs fois à la charge avec ses propositions initiales. Nous, on est en grève de la faim, on ne peut pas jouer à ce jeu-là pendant un mois supplémentaire."
C'est cette frustration qui vous avez poussé à interpeller Emmanuel Macron dans une lettre ouverte le 4 novembre ?
"Rien n'a changé malgré les annonces. On aimerait vraiment revenir à la notion d'humain, et qu'on se dise "effectivement, on ne peut laisser des gens dans cette situation-là". Et c'est ce qu'on a tenté d'expliquer à Didier Leschi. Quelles que soient ses propositions, il y aura toujours des personnes, des enfants, des mineurs isolés qui dormiront dehors. Des migrants à qui on viendra prendre leur tente, alors qu'il va faire très froid.
Ces personnes sont en détresse, au point de prendre des risques insensés, comme le montrent les derniers décès à Calais. On demande juste une pause, une trêve d'inhumanité. C'est ce message qu'on veut faire passer à Emmanuel Macron, le ramener à sa capacité d'homme : de ne plus penser à ses électeurs, mais plutôt de se dire que ce n'est plus possible de laisser passer ces situations en France en 2021."
Vous êtes en grève de la faim depuis presque un mois. Comment vous sentez-vous ?
"On tient le coup. On fatigue, mais c'est normal. Nous sommes suivis par des médecins quotidiennement. Ils nous préviennent quand même qu'on est porté par notre cause et nos soutiens, et que le cerveau peut avoir tendance à cacher ce qui se passe dans le corps.
Honnêtement, vu nos revendications, je ne pensais pas que notre grève durerait aussi longtemps. Personnellement, je suis prêt à ne pas lâcher, parce que je trouve inadmissible ce qui se passe, je suis prêt à faire un mois de plus s'il le faut. On vit vraiment au jour le jour niveau santé, mais on reste très motivés avec Anaïs."