Ce 16 janvier, les AESH étaient en grève dans toute la France pour demander un meilleur statut et une revalorisation de leur salaire. Quatre de ces Accompagnantes d'élèves en situation de handicap expliquent pourquoi elles se sentent dévalorisées.
"Si on ne fait pas grève, c'est simplement parce qu'on ne peut pas se le permettre financièrement, mais on soutient nos collègues grévistes à 100%" expliquent quatre AESH (Accompagnantes d'élèves en situation de handicap) du Bas-Rhin qui travaillent dans un même collège. Mais, sollicitées par France 3 Alsace, elles ont "séché une heure de cours" pour donner une interview téléphonique collective. Car il leur semblait indispensable de mieux faire comprendre leur quotidien, et de transmettre leurs revendications.
Frédérique Sieja, Caroline Bernhardt, Anaïs Mertz et Sabine Idoux travaillent comme AESH dans un même collège. Les trois premières avec des élèves dont la situation de handicap a été reconnue par la MDPH (Maison départementale pour les personnes handicapées). La dernière pour treize élèves DYS (souffrant de dyslexie, de dyspraxie, de dysphasie), regroupés dans une classe Ulis.
Chacune à sa manière, elles répètent combien elles aiment leur métier, qu'elles font "avec cœur", et combien elles sont convaincues de son utilité. Sans elles, le principe d'inclusion serait un vain mot, et des adolescents et des enfants en situation de handicap ne pourraient tout simplement pas être scolarisés.
"On a toutes envie d'aider, on fait au mieux" résument-elles. Cependant, comme de très nombreux collègues, en Alsace et dans toute la France, elles ont aussi besoin d'exprimer leur "colère". Et se demandent "combien de temps" elles vont "encore tenir", faute de reconnaissance, et d'une rémunération décente.
Un travail multicasquette
Selon la définition du gouvernement, un AESH est chargé "de l'aide humaine individuelle" pour des élèves en situation de handicap "qui ont besoin d'une attention continue et soutenue." Son rôle est de "favoriser autant que possible l'autonomie de l'élève, sans faire les choses à sa place."
Concrètement, cette mission est multitâche, et d'autant plus que chaque AESH doit s'occuper de plusieurs élèves, qui n'ont pas les mêmes besoins, ni, souvent, le même niveau. Pour certains, "qui ne peuvent pas comprendre et écrire en même temps", il faut prendre des notes à leur place, afin de leur permettre de se concentrer sur ce que dit le prof. Pour d'autres, il faut "parfois retranscrire avec d'autres mots, d'autres paroles, pour qu'ils comprennent" explique Frédérique Sieja.
"On court d'une salle à l'autre, précise Anaïs Mertz. Un cours de français avec un élève de 6e, puis des maths avec des 3e, et après, on peut se retrouver avec trois élèves dans une classe, qui ont une évaluation."
L'AESH n'a pas de statut d'enseignant, "mais on doit connaître le programme de la 6e à la 3e dans toutes les matières, ajoute Caroline Bernhardt. Si on veut aider nos élèves pour faire les devoirs, il faut qu'on ait le niveau en anglais, en histoire, en maths, en SVT…"
Sabine Idoux suit individuellement ses treize élèves DYS "deux heures et demi par semaine." Certains d'entre eux ne savent pas lire ou écrire. Et selon leurs besoins spécifiques, elle répète les consignes de l'enseignant, réexplique, prépare des évaluations à la maison… "Et ça peut être très compliqué, reconnaît-elle. Car certains élèves vivent aussi des situations personnelles compliquées. "On joue un rôle de prof, mais parfois aussi de parent, pour des questions de propreté, d'hygiène. On a vraiment toutes les casquettes."
"On a souvent des élèves fragiles psychologiquement, avec des situations familiales difficiles, confirme Anaïs Mertz.
A cela s'ajoute, pour bon nombre d'AESH, des horaires éclatés, des pauses écourtées, et des déplacements entre plusieurs établissements. Ainsi, Frédérique Sieja et Caroline Bernhardt s'occupent-elles respectivement de quatre et six collégiens à Hochfelden, mais également, chacune, de deux élèves de l'école élémentaire de Wilwisheim.
Un salaire qui ne permet pas de vivre
Mais bien au-delà de la fatigue psychique et physique, ce qui mine les AESH, c'est le manque total de reconnaissance. "Une personne qui veut être AESH, on lui propose un contrat de 24 heures, pour moins de 900 euros de salaire mensuel, lance Frédérique Sieja. Heureusement que j'ai mon mari, pour pouvoir vivre correctement. Qui accepterait un tel poste ? On n'est absolument pas reconnus. On est comme des contractuels, sans plan de carrière" déplore-t-elle.
Pourtant, Sabine Idoux tient à souligner qu'elles ont "de la chance dans ce collège", où elles ont "réussi à se battre pour avoir plus d'heures." Elle-même a commencé avec 24 heures, "et là, j'en suis à 34, dont deux d'aide aux devoirs." – "Mais pour l'aide aux devoirs, les profs touchent 30 à 35 euros, retorque sa collègue. Et nous, entre 10 et 11 euros, alors qu'on fait exactement le même boulot."
Et Anaïs Mertz rappelle qu'elles ont des collègues qui "font des heures de ménage à côté. Des femmes seules avec enfants, elles y sont bien obligées."
Une demande de reconnaissance
Les principales revendications des quatre jeunes femmes rejoignent bien entendu celles exprimées par le mouvement de grève nationale des AESH en ce 16 janvier 2025 : un meilleur salaire et du respect.
"On souhaite la création d'un véritable statut des AESH au niveau de la fonction publique, et une augmentation de notre rémunération, résume Caroline Bernhardt. Si on avait un statut de fonctionnaire, ce serait différent. On se demande si AESH, c'est un vrai métier, car ce n'est pas du tout valorisé." – "Il n'y a rien, et c'est frustrant", confirme Anaïs Mertz.
Leur demande de reconnaissance concerne également les élèves dont elles ont la charge. Car pour garantir une inclusion réussie de tous les jeunes en situation de handicap, il faudrait davantage de moyens, et un recrutement à la hauteur des besoins. Ce qui est loin d'être le cas, et les élèves sont les premiers à en pâtir.
"On est dépitées, on voudrait faire tant de choses, mais on ne nous en donne pas les moyens" conclut Sabine Idoux. Qui, pourtant, se dit chanceuse de pouvoir travailler dans ce collège. Où elle "s'entend bien" avec la coordinatrice du groupe Ulis. Et où les AESH se serrent les coudes. "Ce qui nous sauve, c'est notre entente. On est soudées", martèlent-elles.
Il y a 130 000 AEHS en France, dont 1700, correspondant à 1100 ETP (équivalent temps plein) rien que dans le Bas-Rhin.