"Menaces de mort et violences verbales", les infirmiers en première ligne face à l'augmentation des agressions

Le conseil interdépartemental de l'ordre des infirmiers des Ardennes et de la Marne est à l'origine du mouvement "Osons en parler". Il dénonce l'augmentation des violences dont sont victimes les soignants en milieu hospitalier. Des insultes, aux menaces de mort, depuis la fin de l'épidémie de Covid 19, le phénomène ne fait que croître.

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Souvenez-vous. Nous étions, vous étiez, à vos fenêtres chaque soir de la pandémie de Covid pour faire du bruit et rendre hommage aux soignants en première ligne.

Aujourd'hui que reste-t-il de cette période ? Difficile constat dressé par l'ordre des infirmiers des Ardennes et de la Marne et avec lui les hôpitaux : les violences faites aux soignants explosent et ils veulent que cela se sache.

"Le phénomène de violence à l'hôpital s'amplifie, explique Thomas Talec, directeur de l'hôpital Nord-Ardennes. Nous avons, au sein de l'hôpital, un système de déclaration, ce que l'on appelle les fiches d'évènements indésirables, Avant Covid, ce phénomène de violence existait mais était plutôt circonscrit. Aujourd'hui, on a atteint 130 fiches de déclarations en 2023, 120 en 2024, mais ce qui est important, c'est que par rapport à la période avant Covid, ce chiffre a triplé.". 

Trois fois plus de violences déclarées, un chiffre qui semble même en dessous de la réalité. "Il y a un phénomène de lassitude des agents, explique encore le directeur de l'hôpital Nord-Ardennes. Cela nous inquiète car il faut savoir que des agents sont victimes de violences verbales, dégradations, menaces de mort. Il peut y avoir des coups et blessures, cela va jusque-là. Il y a des soignants qui mènent une mission de service publique qui sont victimes d'attaque".

A l'hôpital Nord-Ardennes de Charleville-Mézières, le directeur dénonce trois fois plus de violences envers les infirmiers qu'avant la pandémie de Covid 19. © France 3 Champagne-Ardenne / D.Samulczyk

Peur de venir travailler

"Au moment de la pandémie de Covid, nous avons montré que nous étions capables de gérer, explique Déborah Dikant, responsable du personnel CGT à l'hôpital Manchester de Charleville-Mézières. Les gens pensent qu'aujourd'hui c'est pareil et ils ne comprennent pas pourquoi nous ne pouvons répondre à leur demande tout de suite".

"Il faut que la population comprenne qu'au moment du Covid, de nombreux services étaient fermés, précise Cédric Renard, secrétaire général FO au CHU de Reims et secrétaire départemental Marne des services de santé. Les opérations étaient repoussées et presque l'ensemble du personnel se consacrait à cette situation. Je peux comprendre une famille qui s'impatiente du délai de prise en charge du patient. Mais ce qu'elle ne voit pas, c'est qu'il manque parfois quatre à cinq agents de santé dans le service".

Tous les services de l'hôpital sont touchés et le deuxième le plus touché, c'est la maternité.

Thomas Talec, directeur de l'hôpital Nord-Ardennes

La pandémie, le confinement, le nombre de morts, seraient-ils à l'origine, ou auraient-ils accentué la peur de la maladie, au point de générer ces violences ? Difficile de répondre à cette question et d'analyser véritablement l'origine de l'augmentation de ce phénomène.

"Depuis la fin de la crise Covid, il y a une absence de gestion de la frustration, reprend Thomas Talec, directeur de l'hôpital Nord-Ardennes. Nous sommes dans un système de soins sous tension avec beaucoup plus de passages aux urgences et une partie de la population n'arrive plus à comprendre qu'il y a des délais d'attente. Cela génère de la frustration que certaines personnes n'arrivent pas à gérer. On a, au quotidien, des phénomènes d'agressivité. Il y a aussi une autre inquiétude. Avant, cette violence était concentrée au service des urgences, ce qui est déjà gravissime. Maintenant, tous les services de l'hôpital sont touchés et ce qui est incroyable c'est que le deuxième service le plus touché, c'est la maternité. C'est le seul endroit, à l'hôpital, où l'on vient avec le sourire, et bien malgré tout, c'est l'un des services où il y a le plus d'agressivité, d'insultes et de menaces". 

Si nous avions du personnel en conséquence, des lits, on n’en serait sûrement pas là, cela se passerait mieux.

Cédric Renard, secrétaire général FO au CHU de Reims

"Les agressions se font de jour comme de nuit, reprend Déborah Dikant, responsable du personnel CGT à l'hôpital Manchester de Charleville-Mézières. Les agents ne travaillent pas dans la sérénité. Nous avons constaté de plus en plus d'intrusions avec des personnes qui n'ont rien à faire dans nos services. L'ambiance est anxiogène. Quand les collègues sortent de leur journée à 21h, qu'ils se sont fait agresser, voire menacer, difficile de ne pas avoir peur."

Trouver un remède

En parler et sensibiliser la population. Mais aussi continuer à mobiliser les soignants pour que toutes les agressions soient dénoncées. C'est dans ce cadre qu'une table ronde a été organisée le 23 janvier dernier à Charleville-Mézières par l'ordre interdépartemental des infirmiers des Ardennes et de la Marne. Cet événement rassemblait tous les acteurs : infirmiers, directeurs d'hôpitaux, ARS mais aussi procureur de la République. Car certaines de ces violences occasionnent des dépôts de plainte.

"Nous avons des agents qui accomplissent une mission difficile et il faut que la population comprenne, évidemment, il s'agit d'une minorité, qu'en se comportant ainsi, on rend les conditions de travail de plus en plus difficiles et les métiers de moins en moins attractifs, précise encore Thomas Talec, directeur de l'hôpital Nord-Ardennes. On bénéficie d'un soutien des forces de l'ordre qui sont toujours très réactives. On va aussi signer très prochainement avec l'ARS, la préfecture des conventions sécurité police, justice, qui visent à encadrer le rôle de chacun pour justement endiguer ce phénomène. On bénéficie de subvention de l'ARS pour installer plus de caméras de surveillance pour mieux contrôler les accès".

"Tous les agents ne remontent pas les informations de leurs agressions dans cette fameuse liste d'éléments indésirables, dit encore Déborah Dikant. Peu vont porter plainte par peur, parce qu'elles n'osent pas ou se disent à quoi bon. Alors, mettre plus de personnels de sécurité, plus de caméras de surveillance... l'hôpital est une vraie passoire et tout le monde rentre comme il veut".

Embaucher, remettre de l'humain au cœur de cette situation pourrait-elle changer la donne ? "On finit par se demander si on continuera à parler d'humain et non de finances, reprend Déborah Dikant. Dans un lit, nous avons des humains et non des dollars". "Si nous avions du personnel en conséquence, des lits, on n’en serait sûrement pas là, cela se passerait mieux", insiste aussi Cédric Renard de FO.

Au CHU de Reims comme dans de nombreux établissements de santé, les violences à l'encontre des personnels soignants sont en forte hausse. © Raphaël Doumergue / France Télévisions

Une fatalité ?

Au CHU de Reims, comme sur le plan départemental, le constat est le même. "De plus en plus d'agents sont agressés mais ne déclarent pas cette violence, regrette Renard, secrétaire général FO au CHU de Reims et secrétaire départemental Marne des services de santé. Et en même temps, les infirmières, mais aussi les aides-soignantes, les brancardiers passeraient leur temps à faire cela. C'est du quotidien. Les agents se sont fait une raison et même s'ils déclaraient ces agressions, rien ne se passerait. Est-ce que la direction de l'hôpital à un quelconque pouvoir contre cela ? Et nous syndicats, mis à part être aux côtés des personnels lorsqu'ils en ont besoin, que peut-on faire ? Nous sommes impuissants."

Et pourtant, l'assassinat de Carène Mezino, infirmière, tuée en 2023 alors qu'elle exerçait son métier au CHU de Reims est encore dans tous les esprits. "Et depuis, nous n'avons pas vu de différence en termes de sécurité, précise encore Cédric Renard. Il y a juste une porte à code qui a été installée au niveau du service de médecine santé au travail. Mais cette violence, ce n'est pas qu'à l'hôpital, c'est le reflet d'une société. Aujourd'hui, tout est dû à tout le monde"

En mai 2023, l'Ordre National des Infirmiers présentait au gouvernement la synthèse des résultats d’une consultation inédite, à laquelle plus de 31 000 infirmiers avaient répondu. Elle montrait déjà que deux tiers de ces personnes avaient déjà été victimes de violences. L’Ordre avait également émis des propositions pour lutter contre le phénomène. Comme : "le renforcement des sanctions, la garantie de poursuites judiciaires rapides, une meilleure écoute des infirmiers victimes de violence de la part des autorités policières et judiciaires. Mais aussi une prise en charge des victimes tant au niveau psychologique que financier, par un investissement massif dans le secteur de la psychiatrie. Et par le traitement des causes structurelles des violences, qui ne se réduisent pas qu’à la responsabilité de leurs auteurs : manque de personnel, pressions sur les soignants, désorganisation entraînant tensions et surmenage".

En 2023, l'Ordre National des infirmiers affirmait que "ces violences ne sont pas une fatalité". Il demandait aux pouvoirs publics que "La concertation lancée par le Ministère doit permettre d’aboutir à des décisions fortes en ce sens et nous sommes certains que les résultats de notre consultation, ainsi que nos propositions, contribueront à cette réflexion".

Deux ans plus tard, le constat reste le même. Les agressions envers les personnels soignants ne font que croître. Les solutions pour enrayer le phénomène semblent difficiles à envisager et donc à mettre en place.

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