Une cagnotte pour mettre fin au cauchemar d'éleveurs dans les Ardennes : "il est temps qu'on parte d'ici"

Le rêve de Nathalie et Thierry d'élever leurs chèvres dans les Ardennes tourne au cauchemar. Maisons insalubres, loyers confisqués, décharges à nettoyer, vols de fromages et de chèvres : ils n'en peuvent plus. Une cagnotte en ligne a été lancée pour leur permettre de reprendre pied, et quitter la région.

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À la Chèvrerie du Bonheur, il faut chercher un peu longtemps pour le trouver. L'humeur est plutôt morose. Les gérants, Nathalie et Thierry, rencontrent une quantité incommensurable d'ennuis. 

Entre les problèmes financiers, les habitats insalubres, les vols (voire abattages sauvages) de leurs chèvres, et les déboires administratifs, ils ne s'en sortent plus. Une de leurs bonnes amies, Alicia, a créé une cagnotte en ligne la plate-forme solidaire La Cagnotte des proches pour "ces gens adorables, qui restent toujours optimistes"

Depuis le mercredi 15 janvier 2025, le soutien est réel. Près de 1 300 euros ont été récoltés. Il en faut bien plus, mais les gens souhaitant venir en aide aux deux éleveurs caprins répondent présent.

Changement de vie, et débuts des ennuis

Jointe par France 3 Champagne-Ardenne, Nathalie déroule le fil d'une longue histoire qu'on peine à croire, tant elle ressemble à un drame de Charles Dickens, ou au film La Chèvre avec Pierre Richard... les rires en moins. Tout commence en région Centre. 

Nathalie est aide à la personne. Son mari travaille pour la mairie de Cepoy, une petite ville "où il fait bon vivre" (si on en croit son site Internet) près de Montargis (Loiret). À la suite d'un licenciement économique entre 2019 et 2020, "il a voulu suivre les traces de son papa, qui élevait des chèvres" (et bien d'autres animaux). 

Des chèvres complices et affectueuses. © Nathalie, La Chèvrerie du Bonheur

Mais pourquoi des chèvres ? Les leurs ne sont pas d'une race très commune, à l'origine. Il s'agit de chèvres dites de la race anglo-nubienne. "Elles ont de grandes oreilles, un comportement particulier." Elle loue les qualités de leur lait, qui font d'excellents fromages. "Ce sont des biquettes adorables." 

L'élevage élit domicile sur le vaste terrain d'une petite maison à Saint-Maurice-sur-Fessard (Loiret). "Pas loin" de là se trouve déjà un éleveur de chèvres. "On a fait ami-ami. On était parti pour une chèvre, mais il en avait une deuxième. Pour moi, elle était toute triste, malheureuse comme tout. Donc on a commencé avec deux chèvres." Le troupeau grandit, mais n'engrange pas de bénéfices : l'absence de laboratoire sur l'exploitation empêche de confectionner des fromages dans les règles de l'art (et donc de pouvoir les vendre officiellement). 

Les Ardennes, terre promise... 

Le propriétaire de la maison finit par mourir. Les enfants vendent la maison, et le couple doit partir avec sa douzaine de chèvres. Leur arrivée dans le département des Ardennes se fait en 2021. "Une chevrière nous a contactés un soir. Elle nous a dit qu'elle avait quelque chose pour nous : une maison, un peu de terrain, un labo opérationnel, un bâtiment pour les chèvres..." Sur le papier (et les photographies), c'est le rêve. 

Nathalie et Thierry signent le contrat de bail (prévoyant 500 euros de loyer par mois) à distance... sans avoir visité les lieux situés à Rocquigny (Ardennes), à 220 kilomètres de là. Il est alors compliqué de se rendre sur place juste pour signer les papiers, d'où cette solution peu recommandée par les professionnels. 

Ce n'est qu'une fois leur voiture réparée qu'ils peuvent se rendre sur place pour découvrir les lieux et récupérer les clés. "Et là, c'était la surprise." Une (très) mauvaise surprise. "Je pleurais : je n'ai pas voulu descendre de la voiture, au départ."

"J'ai dit que ce n'était pas possible. Que ce n'était pas ça, sur les photos." Elle pense s'être fait avoir. Le mari de la propriétaire (qui n'a pas pu se déplacer), présent pour lui remettre les clés, lui certifie que tout va être remis en état. On part de loin : Nathalie évoque "des poubelles plein la cuisine, des rats morts sous l'évier, des carrosseries sur le terrain, des milliers de bouteilles de verre éclatées et des bouteilles dans le bâtiment"... 

Quand mon mari a touché le mur, la moitié du mur lui est tombée dessus.

Nathalie, éleveuse et co-gérante de la Chèvrerie du Bonheur

Le fameux laboratoire "n'est absolument pas opérationnel. Quand mon mari a touché le mur, la moitié du mur lui est tombée dessus. Il y avait des crottes de chien - et d'humain - partout. C'était une vraie déchetterie." Trois locataires auraient précédé les éleveurs caprins, mais n'auraient pas voulu signer un document attestant de leur passage. Elles seraient "parties car les propriétaires ne voulaient pas faire de travaux dans cette maison". D'où leur départ...

... devenue terre maudite

Ce serait ces derniers locataires qui auraient mis les lieux dans cet état. La promesse du mari de la propriétaire reste un voeu pieux : rien n'est arrangé pour la deuxième venue de Nathalie et Thierry. Il n'est même pas là pour les accueillir alors qu'ils ont cinq heures de route dans les pattes. En le contactant, ils apprennent que "les clés étaient cachées dans un trou du mur près de l'entrée".

Les clés récupérées, ils découvrent qu'absolument "rien n'a été fait. C'était vraiment une cata'." En plus, les chèvres faisaient partie de ce deuxième voyage, acheminées par un transporteur. "On a dû tout nettoyer. La chèvrerie a été notre priorité." Cela a pu se faire relativement rapidement : un problème réglé.

Des chèvres bien abritées. © Nathalie, La Chèvrerie du Bonheur

 "Pour le laboratoire, tout était à refaire." Toutes leurs économies y passent, soit 9 000 euros (la somme concerne également les travaux de la chèvrerie et de la maison). "On a dû faire un prêt auprès d'un ami. Il nous a prêté 2 200 euros." Elle explique avoir pu le rembourser, petit à petit, au fil des mois suivants. 

Les choses auraient pu en rester là, mais comme l'a si bien dit feu le président Chirac, "les emmerdes volent toujours en escadrille". Ainsi, aux premières pluies, le couple fait une très fâcheuse découverte. "Il pleuvait dans la salle à manger, dans la cuisine... L'eau passait entre les baguettes d'électricité et les ampoules. En fait, il n'y avait d'isolation et il fallait tout refaire." Faut-il préciser qu'il n'y avait pas non plus de chauffage ? (voir l'emplacement sur la carte ci-dessous)

Un expert est mandaté pour relever tous ces éléments, nourrissant une inquiétude croissante. "Le maire a fait un constat." L'agence départementale pour l'information sur le logement (Adil) est aussi sollicitée : il s'agit d'un interlocuteur-clé pour tout locataire rencontrant des soucis avec son propriétaire. L'agence régionale de santé (ARS) se retrouve aussi mêlée à l'affaire. In fine, la préfecture déclare les lieux insalubres : ils ne peuvent plus être loués. Les éleveurs y auront vécu et travaillé une année entière. "Ce n'est pas comme si on avait le choix..."

Mais tout cela est loin d'être fini. Nous sommes en janvier 2025, et les tribunaux, engorgés, n'ont toujours pas pu régler ce dossier. "On ne connait toujours pas la date du procès." Alors Nathalie et Thierry, à défaut de se faire justice eux-mêmes (un phénomène inquiétant en augmentation), doivent attendre; leur avocate Sylvie Riou également. Et en attendant, peuvent faire une croix sur les loyers versés aux propriétaires indélicats : ils ont été payés rubis sur l'ongle jusqu'à ce que la préfecture prenne son avis d'insalubrité.  

Nouvelle ferme, nouvelle(s) galère(s)

"On a dû partir de cette maison. D'après la loi, la propriétaire aurait dû nous reloger avec nos chèvres. Mais elle n'a pas voulu." Au final, "on a trouvé la ferme où l'on se trouve actuellement." Elle est située Montmeillant (Ardennes). Et cette découverte se fait plus pour le pire que pour le meilleur, hélas. Pour l'anecdote, "il ne faut pas en rire", c'est "l'ex-femme du mari actuel de la propriétaire de la maison à Rocquigny : elle nous a dit que son père avait une ferme"

Nous sommes le 01 juillet 2022. Nathalie et Thierry pensent avoir enfin avoir trouvé un havre de paix pour leurs chèvres (réduites à dix). L'expression n'est pas galvaudée : "on nous a volé des chèvres, on nous en a même tuées." Elles ont parfois été volées alors qu'il s'agissait de bébés (et comme elles étaient trop jeunes pour être marquées, il est impossible de les retrouver).

"Quelqu'un a aussi cassé les carreaux du bâtiment des chèvres. Notre laboratoire a aussi été saccagé : on a fait venir les gendarmes pour ça." Le fameux laboratoire dont la réfection avait été chère payée... "Aucune plainte n'a abouti." 

On nous a volé des chèvres, on nous en a même tuées.

Nathalie, éleveuse et co-gérante de la Chèvrerie du Bonheur

Sur cette ferme vit (à l'origine) le propriétaire, assez âgé, ainsi que son fils. Et Nathalie a un air de déjà-vu. "Ça ressemblait à une déchetterie... D'ailleurs, ça y ressemble toujours." 

Un bail agricole de neuf ans est signé, avec comme clause obligatoire que le fils du propriétaire est hébergé à titre gratuit. Les six premiers mois, soit jusqu'au 01 février 2023, ils ne payent rien (puis 300 euros chaque mois). "C'était à titre gracieux, le temps qu'on nettoie le terrain. Maintenant, c'est propre. Parce que ça a été nettoyé par nos soins pour que nos chèvres puissent" en profiter. "Mais actuellement, il y a encore des poubelles. Ce sont des amis des propriétaires, qui viennent jeter des frigos, des pneus... Mais on ne sait pas qui exactement." 

"La Petite Maison dans la prairie", version horrifique

Les lieux ne sont "pas en bon état". S'ils ont l'air "mieux" qu'à Rocquigny, il ne s'agit que de la surface. "On a atterri dans un chalet en bois... on ne savait pas qu'il allait tomber." Ou presque. "On a failli passer à travers la douche. Ce n'était pas isolé du tout." 

Autre joyeuseté, la fosse septique - "jamais vidée" - est cassée... et déborde. Thierry a dû isoler la porte d'entrée avec du béton et des tôles pour éviter que ça ne coule à l'intérieur quand il pleut.

Quant à l'électricité, "tout est vétuste" et rien n'est aux normes. "Même le compteur Linky est raccordé grâce à une rallonge. Il n'y a pas de disjoncteur, ils ont installé ça eux-mêmes. Le monsieur de Groupama m'a dit de ne pas les appeler si tout prenait feu." C'est au propriétaire de financer les menus travaux dont cette ferme a besoin, "pas à nous"

Il ne faut pas non plus compter sur le chauffage. "On est obligé de rester debout toute la nuit ou se lever pour que le petit chauffage à bois qu'on nous a donné reste allumé. Si il s'éteint, on n'a plus aucune chaleur et on ne peut plus faire à manger." Puisqu'on parle de chauffage, quand ils vivaient encore avec eux (jusqu'au 20 décembre 2024), le fils du propriétaire a acheté un convecteur de 2 500 watts pour chauffer sa chambre, "ou plutôt sa poubelle, on doit tout désinfecter et on a dû la condamner". Leur fournisseur d'électricité leur réclame maintenant 426 euros par mois. Elle ne peut pas payer.

Les bébés chèvres de Nathalie et Thierry. © Nathalie, La Chèvrerie du Bonheur

Pire, les vols de chèvres ont continué. Le dernier s'est produit pas plus tard qu'en début d'année. "Deux chevreaux, deux purs races... Ils ne s'amusent pas à voler les croisés." Découragés, les éleveurs n'ont même pas porté plainte. L'année passée, leur laboratoire a été forcé, "et on m'a volé les 170 fromages qui me restaient"; la plainte n'avait rien donné.

Une Caf kafkaïenne

"En fait, rien ne va", résume Nathalie. Mais elle n'est pas au bout de ses peines. Les aides personnelles au logement (APL), versées par la Caisse des allocations familiales (Caf), ont mis "six mois à arriver", donc à partir d'août 2023. Puis, à partir d'octobre 2024, de nouveaux ennuis surgissent à l'horizon. "On ne touche plus ni d'APL, ni de RSA [revenu de solidarité active; ndlr], ni quoi que ce soit."

"Avant ça, pendant un an, on ne touchait plus que 25 euros par mois, car on nous disait sans cesse qu'il fallait rembourser des trop-perçus. Aujourd'hui on s'en sort, c'est parce que des amis à nous font des dons, des virements, pour qu'on puisse nourrir nos bêtes."  

"Les APL étaient versées au fils du propriétaire. Ils étaient en GFA sur cette ferme", c'est-à-dire en groupement foncier agricole. Initialement, le père et le fils vivaient là, puis seulement le fils après le placement de son paternel en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (ehpad). "Le fils gérait tout, c'est à lui qu'on donnait l'argent. Le problème, c'est qu'il dépensait tout ce qu'on lui donnait dans l'alcool", affirme-t-elle en expliquant avoir toutes ses quittances de loyer. 

"Il y a eu un nouveau contrôle de Caf avant le mois d'octobre 2024. On a donné tous les papiers : le bail, les justificatifs de loyer, etc. Mais la contrôleuse n'a pris aucun des papiers du fils du propriétaire. Nous, elle nous a épluchés pendant une heure et demie."

"Je leur ai dit que je n'avais pas de fils à ce nom-là."

Nathalie, éleveuse et co-gérante de la Chèvrerie du Bonheur

"Mais lui, ça a duré deux minutes. Il a dit qu'il n'avait ni ses papiers d'impôts, ni ses papiers de RSA, alors qu'il touche les aides et les loyers. Et nous, on nous a tout supprimé car on l'héberge à titre gratuit." D'après l'administration, cet individu est à la charge de Nathalie et Thierry, un peu comme s'il était leur enfant. "Je leur ai dit que je n'avais pas de fils à ce nom-là, c'était écrit sur le papier de la Caf..." 

Pire, l'institution lui réclame d'abord "7 232 euros, et maintenant près de 5 000 euros", qu'elle ne voit absolument pas comment payer. On a aussi transféré son dossier à la Mutualité sociale agricole (MSA), une institution régulièrement critiquée par le secteur. "On a demandé une aide d'urgence en octobre." Autant dire qu'elle l'attend toujours. L'éleveuse doit (enfin) rencontrer une assistante sociale de la MSA le lundi 03 février 2025. 

Devant tous ces nouveaux soucis, un nouveau recours auprès de l'Adil parait justifié. "Mais le problème, c'est qu'ils ne bougent plus. Le maire est au courant, il a fait des constats", mais rien ne semble avancer. "On attend." 

Des envies d'ailleurs

 Aujourd'hui, Nathalie et Thierry détiennent 36 chèvres (et deux boucs). Leur recette de bûche de chèvre au coeur de figure a remporté la médaille d'or à l'édition 2024 du concours des produits du terroir et des vins de Champagne.

Les bûches de chèvre fourrées à la figue ont permis à la ferme de remporter une médaille d'or. © Nathalie, La Chèvrerie du Bonheur

Mais le coeur n'y est plus. La motivation flanche. "Heureusement que nos amis nous aident, car mon mari était à deux doigts de se passer la corde au cou." Mais elle refuse d'abandonner. "On finira bien par nous entendre." Même si elle craint que la médiatisation de leur affaire ne leur attire encore plus de représailles. Tous deux espèrent prendre le large, s'établir dans le sud, au soleil, là où leurs chèvres (et surtout eux) se sentiront plus à l'aise. "Il est temps qu'on parte d'ici."

Il leur faudrait plus de 30 000 euros pour régler toutes les dépenses ardennaises en souffrance, et pouvoir enfin repartir du bon pied ailleurs, "en ne devant rien". Cette cagnotte est l'une de leurs dernières cartouches. 

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