Des passionnés s'investissent pour la restauration d'un orgue muet depuis 40 ans, "on rêve de l'entendre à nouveau"

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Les membres de l'association devant l'orgue qu'ils veulent sauver
Sujet Rund Um en alsacien sous-titré. ©France Télévisions

Un orgue réduit au silence depuis près de quarante ans, faute d'entretien, pourrait bientôt retrouver sa voix, grâce à l'engagement d'une petite association qui a relancé son projet de restauration.

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Le destin de l'orgue de l'église catholique Saint-Martin de Barr (Bas-Rhin) est particulier. Muet depuis plus de quatre décennies, il pourrait bientôt connaître une seconde jeunesse. Face à ses aînées, les prestigieuses orgues Silbermann du 18e siècle, tant prisées en Alsace, c'est un jeunot. Il a vu le jour en 1826, dans l'atelier Stiehr-Mockers de Seltz (Bas-Rhin), pour être installé dans la toute nouvelle église catholique de Barr, aménagée dans une ancienne caserne militaire.

A ses débuts, c'est un instrument modeste, quoique de belle facture, avec un pédalier et un unique clavier.  Mais un siècle plus tard, en 1932, il est modifié en profondeur par le facteur d'orgues Kriess de Molsheim. Qui en fait un orgue post-symphonique, en le dotant d'un clavier supplémentaire et de tous les timbres d'un orchestre, tout en conservant l'ancien buffet et une partie de la tuyauterie.

Cependant, sa période glorieuse est de courte durée, car il n'est pas entretenu comme il le mérite. Peu à peu, en à peine un demi-siècle, il perd son souffle, avant d'être entièrement réduit au silence depuis 1986.

Une organiste se souvient

Michèle Tschudy, organiste de la paroisse, en garde encore un souvenir ému. "Toute petite, je montais sur la tribune avec mon grand-père, raconte-t-elle. J'admirais son buffet et ses grands tuyaux, et pour moi, il faisait beaucoup de bruit, comme je l'attendais d'un orgue. Et je rêvais d'en jouer. C'est lui qui m'a donné le courage d'apprendre."

Malheureusement, quand elle a l'âge de s'y mettre, l'orgue est déjà malade. "J'ai eu l'occasion d'y jouer, mais pas très longtemps, regrette-t-elle. Quand on appuyait sur les touches, plus rien ne sortait, ou alors le son se prolongeait." Et bientôt, elle doit prendre ses cours de musique à Heiligenstein, car "il n'était plus du tout possible d'y jouer."

Pour les messes, le conseil de fabrique décide alors d'acheter un orgue électrique, installé dans le chœur. Un haut-parleur installé sur la tribune donne l'illusion que le son provient d'en-haut. Mais depuis près de quarante ans, pour les organistes comme pour bon nombre de paroissiens, cette situation reste très insatisfaisante.

"J'ai appris à jouer sur de beaux instruments, s'exclame Anne Schultz, l'autre organiste de la paroisse. Mais ici, ça n'a rien à voir. Les sons ne sont pas les mêmes, et je n'ai aucun plaisir à jouer. J'aimerais vraiment entendre le véritable orgue, et retrouver le plaisir du jeu."

Un inventaire le remet en lumière

Longtemps, l'orgue muet n'émeut personne. En 1995, il est pourtant classé au titre des monument historique, en tant qu'orgue Stiehr-Mockers du 19e siècle. Mais son propriétaire, la municipalité, qui vient de payer la réfection de l'orgue de l'église protestante, n'a pas les moyens de financer sa restauration.

Il doit donc attendre 2020 pour voir les projecteurs redirigés sur lui. Cette année-là, Eric Eisenberg et Martin Foisset, deux spécialistes qui font l'inventaire des orgues d'Alsace, viennent l'examiner. Et font savoir qu'il vaut le coup d'être sauvé, non pas en tant qu'orgue Stiehr-Mockers, mais du fait de ses particularités héritées de sa transformation au 20e siècle.

"C'est l'un des rares instruments Kriess de Molsheim qui nous soit parvenu, explique Martin Foisset. Qui le décrit, dans l'inventaire, comme présentant "un très grand intérêt, car il est doté de caractéristiques aujourd'hui fort rares."

"Ils nous ont fait comprendre qu'on a là un bel orgue, qu'il faut absolument relever et rénover" confirme Jean-Pierre Philippi, président du conseil de fabrique, et vice-président de l'association des Amis de l'orgue de l'église catholique Saint-Martin de Barr, qui s'est créée suite à cette prise de conscience. Et sous l'impulsion de l'association, la mairie a mandaté un organologue pour faire un état des lieux.

Un organologue à son chevet

Ce dernier, Christian Lutz, a aussi récemment œuvré sur l'orgue de Notre-Dame de Paris. Et il confirme l'intérêt patrimonial de l'instrument, dans sa version de 1932. "C'est vraiment un témoin de la facture d'orgue alsacienne, et de l'esthétique musicale, de l'entre-deux-guerres, estime-t-il. Une sorte de mélange entre des aspects allemand et français, qu'on ne trouve pas dans le reste de la France." Et un témoin d'autant plus précieux, car "resté dans son jus" alors que bon nombre de ses contemporains "ont été démolis ou modifiés."

L'originalité de l'orgue de Barr, c'est sa technologie de traction pneumatique, un système inventé à la fin du 19e siècle, et développé dans les pays germaniques. L'instrument est activé par un grand soufflet de cuir, aménagé à l'arrière, sous le clocher, ainsi que par plusieurs soufflets secondaires posés sous le buffet.

"Quand l'organiste appuie sur une touche de clavier, de l'air sous pression doit passer par un tube en plomb, un par note, puis par un petit soufflet-relai qui, en se levant, soulève une soupape, détaille Christian Lutz. Et l'air sous pression va arriver dans le tuyau, et le faire sonner au bon moment."

Mais sur l'orgue de Barr, la peau de mouton des soufflets "est tellement cuite qu'elle n'est plus du tout étanche et fuit de partout. On a beau s'escrimer dessus, il ne va rien se passer" explique l'organologue. De la même manière, les petits soufflets-relai, dont certains affichent d'anciennes traces de "rafistolage", sont tous "percés".

Rien d'inéluctable, cependant. Christian Lutz estime que l'orgue est "totalement réparable et ne demande qu'à repartir (...) D'une part, il est très sale, il faudra entièrement le démonter pour tout dépoussiérer. Et toutes les pièces usées devront être remplacées en copie stricte de l'origine. Il y a aussi quelques tuyaux abîmés, ou courbés, mais ça se restaure facilement."

Un système pneumatique rare

Selon lui, cette restauration en vaut vraiment la peine, même si ce système pneumatique a beaucoup été critiqué dans les années 1960 et 1970. "On le prétendait trop lent, et pas assez sensible. On disait qu'il fallait jouer le samedi soir pour l'entendre le dimanche matin. Mais en réalité, si l'instrument est bien construit et réglé, on a un fonctionnement précis, tout à fait satisfaisant pour l'organiste."

En outre, ce type d'instrument relativement récent intéresse davantage les spécialistes actuels que leurs prédécesseurs. "L'histoire nous rattrape, estime l'organologue. Aujourd'hui, certaines orgues du 20e siècle sont considérées comme de véritables témoins du passé, d'une certaine esthétique sonore et d'un certain fonctionnement, et ils méritent d'être sauvegardés, et remis en état de jeu."

Car contrairement à la période de son classement de 1995, on comprend dorénavant "qu'il est plus intéressant de le garder dans son état de 1932 que de reconstruire un hypothétique état de 1826. Il vaut mieux avoir un vrai orgue Kriess qui a du caractère, plutôt qu'un faux orgue Stiehr-Mockers reconstitué, comme on l'a fait parfois par le passé."

Le financement reste à trouver

L'étude réalisée par Christian Lutz a été présentée à la municipalité. Le budget prévu pour la restauration risque de dépasser les 200 000 euros, et des dossiers de demandes sont en cours auprès de divers organismes publics. "Maintenant, ça avance, se réjouit Anne Schultz. Il nous a fallu trois ans pour monter l'association, mais là, on est sur les rails."

"C'est lancé, confirme Benoît Thomann, le jeune président de l'association. On a déjà fait des réunions avec la Fondation du patrimoine, et la DRAC." Mais il reste à trouver les fonds, "le nerf de la guerre."

Mi-décembre 2024, les membres de l'association ont déjà réussi à collecter plus d'un millier d'euros en organisant un concert, et en tenant un stand au marché de Noël de Barr. Ils y proposaient du jus de pommes chaud, agrémenté d'épices. "Des pommes offertes par mon voisin Guy, précise Etienne Wittig, l'un des bénévoles. On les a cueillies fin septembre, tout est bio. On a aussi vendu des pains d'épices, l'entreprise Fortwenger de Gertwiller nous en a offert un millier."

"On commence petit, reconnaît Michèle Tschudy, mais on a déjà d'autres idées." L'association prévoit aussi de solliciter des entreprises privées. "Beaucoup de gens vont collaborer, et nous aider pour mener à bien ce projet, c'est très chouette" résume Benoît Thomann.

Objectif : le bicentenaire de l'église

Leur voeu serait que les travaux de restauration soient achevés pour 2026. "L'église a été construite en 1826. L'an prochain, ce sera donc son bicentenaire, rappelle Jean-Pierre Philippi. On organisera une grande fête, et on voudrait bien que l'orgue joue à cette occasion."

"Ce serait un rêve, car on ne sait même plus quel est son timbre, lance Michèle Tschudy. Peu de gens l'ont encore entendu au meilleur de sa forme. On est tellement impatients de l'entendre à nouveau."

Comme c'est un instrument adapté à un répertoire très large, beaucoup de personnes pourront en profiter, en plus des paroissiens. Les membres de l'association prévoient déjà d'organiser de beaux concerts dans l'église. Et, surtout, d'y accueillir de nombreux élèves organistes et leurs professeurs.    

 

 

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