La forêt, la rivière Ill, mais aussi les rues et les monuments, racontent l'histoire d'Ostwald. Un groupe de passionnés, historiens amateurs, en a fait un livre.
Nichée entre les méandres de la rivière Ill, et des forêts de type rhénan, Ostwald n'a jamais attiré de grandes industries. D'abord lieu de pèlerinage pour cause de source miraculeuse, puis village né à côté d'un château, la commune était jusqu'au milieu du 20e siècle un lieu de villégiature très prisé des Strasbourgeois.
Elle s'est largement développée ces dernières décennies – avec près de 12.000 habitants aujourd'hui, contre 3.000 avant-guerre. Par cette évolution, la mémoire de la commune d'autrefois s'estompe. C'est pourquoi quelques historiens amateurs, membres du groupe "Ostwald d'antan", tentent de la préserver, par le texte et par l'image.
Un groupe de passionnés
Ils sont une vingtaine de retraités, tous Ostwaldois de souche ou de cœur. Chacun possède quelques documents sur sa rue, sa famille, ou l'histoire de son quartier, et a plein de souvenirs à raconter. Ils se retrouvent donc régulièrement pour mettre leurs archives et leurs connaissances en commun. "On se rencontre depuis cinq ans" raconte Denis Ritzenthaler, journaliste retraité et membre du groupe. "Et on discute. Chacun parle de son vécu, et on note tout."
Fruits de leurs rencontres : plusieurs livrets thématiques (sur l'école d'Ostwald, sur la généalogie), et cinq petites expositions. Mais cette fois, ils sont allés plus loin. "On s'est montré nos documents, on a partagé nos souvenirs. Et tout ce qu'on s'est raconté, on a fini par le rassembler pour en faire un livre" résume Denis Ritzenthaler qui s'est chargé de centraliser les données, et de réaliser la mise en page.
Véritable condensé sur l'histoire de la commune, l'ouvrage, intitulé "Les rues et monuments racontent l'histoire d'Ostwald" propose une plongée dans la commune d'antan. Impossible de tout résumer en quelques lignes. Mais en guise d'amuse-bouche, voici quelques coups de projecteur sur des lieux et rues emblématiques.
Saint-Oswald et la source miraculeuse
Le nom de la commune vient de celui d'un saint, Oswald, auquel était consacrée une source aux vertus guérisseuses. Aujourd'hui disparue, elle coulait, paraît-il, du côté de l'actuel cimetière. En réalité, il devait s'agir d'une résurgence de la nappe phréatique. Dès le 10e siècle, "des pèlerins venaient de près comme de loin avec leurs enfants pour les guérir" raconte Stéphane Huck, membre du groupe Ostwald d'antan. Mais à l'époque, il n'y avait pas encore d'habitations aux alentours.
Au cœur du cimetière se dresse une chapelle, dont l'un des vitraux propose une représentation de Saint-Oswald. Ses dimensions sont surprenantes, et sa hauteur hors-normes, car il s'agit en réalité du chœur d'une ancienne église dont la nef a disparu à la Révolution.
Le premier village s'appelait Illwickersheim
Les premières maisons de la commune sont apparues au 13e siècle, au bord de l'Ill, le long de l'actuel quai Heydt, qui s'appelait d'abord "Vornen auf die Ill" (devant, près de l'Ill) puis "Wassergasse" (rue de l'eau). Ce village originel est né en lien avec un château-forteresse, édifié vers 1220 par l'empereur Frédéric II, petit-fils de Barberousse, pour protéger Strasbourg depuis le Sud. Côté Nord, la défense était assurée par les ponts couverts, toujours visibles dans la capitale alsacienne.
"Ce premier château (…) devait protéger les entrées de Strasbourg, ville commerçante, avec le vin, les céréales et les draps de Flandre" précise Christian Kauffmann, autre membre du groupe Ostwald d'antan. Il a été édifié sur une toute petite île de la rivière Ill. Et les familles des constructeurs se sont installées juste en face.
Ce noyau originel de la commune actuelle a pris le même nom que la forteresse, Illwickersheim. Le toponyme relie le nom des chevaliers de Wickersheim, gestionnaires du château, à celui de la rivière Ill, afin de le distinguer d'un autre Wickersheim, situé près de la Bruche : Breuschwickersheim. C'est seulement après la Révolution que la commune prend son nom actuel d'Ostwald (Oschwàld), débarrassé de toute connotation liée à la noblesse ou à la religion.
De la forteresse médiévale, il ne reste rien. A son emplacement s'élève aujourd'hui une magnifique bâtisse de la fin du 19e siècle, le "château de l'île" (Inselburg), devenu un hôtel-restaurant de prestige. Mais dans le parc, une étrange petite tour, vraisemblablement pseudo-moyennageuse, est liée à une belle histoire : "les parents racontaient à leurs enfants que la cigogne venait déposer le bébé dans cette tour, où ils pouvaient venir le récupérer" s'amuse Denis Ritzenthaler.
Un village d'agriculteurs
Les premières maisons du 13e siècle ont également disparu. Mais le long du quai Heydt s'élèvent encore d'anciennes fermes vieilles de plusieurs siècles, toutes construites selon le même schéma : "La maison d'habitation se situe toujours à droite" précise Christian Kauffmann. "Et au fond de la cour, il y a la grange, l'étable et l'écurie."
Les plus belles maisons à colombages jalonnent une autre rue, la "Büüregàss" (rue des Paysans), aujourd'hui rue de Normandie. Il s'agit d'anciennes fermes construites au 18e siècle. "Ostwald s'est agrandi, de nouveaux habitants sont arrivés, principalement des paysans qui se sont établis dans cette rue" précise Jean Matt, autre membre d'Ostwald d'antan. Lui-même, qui a dépassé les 90 ans, se souvient que dans sa jeunesse "il y avait encore des paysans au début de la rue (…) Mais aujourd'hui, tout cela a disparu."
Un lieu de détente pour les citadins
Jusqu'au milieu du 20e siècle, avec ses étangs propices à la baignade, le Gerig et le Bohrie, ses forêts et sa rivière, Ostwald jouait un rôle de poumon vert. Les citadins y venaient en tram, à vélo ou en bateau, prendre un bon bol d'air.
Le dimanche, ils appréciaient particulièrement la terrasse de l'auberge de la "Fischerinsel" (l'Ile des pêcheurs), nichée sur une île minuscule entre deux bras de l'Ill. On y accédait par un petit pont qui prolongeait la rue du même nom. Fréquenté par les pêcheurs dès 1840, le lieu a connu un véritable âge d'or entre 1890 et 1939.
"Les Strasbourgeois venaient directement depuis les ponts couverts, dans un petit bateau à vapeur, le Lällekeni (le "Roi qui bégaie" – ou "Roi qui tire la langue"), qui remontait et descendant l'Ill deux fois par jour" raconte Francis Ernst, photographe du groupe Ostwald d'antan. "Les gens venaient aussi de Graffenstaden, par la ligne 16 de l'ancien tram, et également de Lingolsheim."
"Le propriétaire de l'auberge faisait traverser ceux de Graffenstaden en barque", à condition qu'ils viennent pour consommer. "Au menu, il y avait du Bàckfisch (poisson pané) et des Mischtkrätzerle (coquelets – littéralement "petits gratteurs de fumier"). Et pour les enfants, il y avait des balançoires et quelques animaux à caresser."
Jean Matt, doyen du groupe, a encore de beaux souvenirs de l'endroit : "Vers 1936, quand j'avais 5-6 ans, on venait régulièrement à la Fischerinsel le dimanche. Mon père, né à Strasbourg dans le quartier du Finkwiller, connaissait aussi le capitaine du Lällekeni. Donc, un beau jour, mes parents m'ont installé sur le bateau. Eux sont restés à l'auberge, et moi j'ai pu faire du bateau jusqu'aux ponts couverts et retour."
"Mais en revenant ici, j'ai vomi. Tous les gens ont dit : 'le pauvre, il a dû avoir le mal de mer.' En réalité, je crois que c'était juste le trop plein de glace, de bretzels et de limonade que je m'étais enfilés à l'auberge, avant le départ."
Les poètes alsaciens, les frères jumeaux Albert et Adolf Matthis, qui vivaient à Strasbourg, étaient des clients fidèles de l'auberge. Ils lui ont même dédié un poème.
Uff d'r Ill bi Oschwald d'hinte / Steht a Hiesel ohne Stock, / Jeder findt's, brüchsch kaam ze zuende, / Grad wie d'Gais as ihre Bock.
(Sur l'Ill, à Ostwald, là-bas, / il y a une maisonnette sans étage. / Chacun la trouve, inutile d'éclairer, / tout comme la chèvre trouve son bouc.)
Singe hoersch sie im Finkwiller, / S'Bungewehr bloost's uff'm Bass, / D'Vendée brielts mit volle Miller, / D'Kneckes pfiffes uff de Gass : / "Uff de Ill bi Oschwald d'hinte, / Muess m'r d'Fischerinsel finde" (…)
(On l'entend chanter au Finkwiller, / on le joue au basson aux ponts couverts, / la Vendée le crie à pleins poumons, / les gamins le sifflent dans la rue : / "Sur l'Ill, à Ostwald, là-bas, / il faut aller trouver l'Ile des pêcheurs" (…)
Drum ihr Burjer, nüss zuem Staedtl, / Steche sott's eych wie a Guff, / Wer kaan Schiff het huckt uff's Brettel / un dhââlt mit 'm Doobe nuff (…)
(Bourgeois, sortez donc de la ville, / excités comme par une piqûre d'épingle. / Qui n'a pas de bateau s'installe sur une planche / et rame avec les mains (…)
Hoersch de Muensterzipfel briele, / D'Wasserveijel, d'Widebaam : / "Uff d'r Ill bi Oschwald d'hinte, / Muess m'r d'Fischerinsel finde."
(Entends le clocher de la cathédrale crier, / les oiseaux aquatiques et les saules : / "Sur l'Ill, à Ostwald, là-bas, / il faut aller trouver l'île des pêcheurs.")
A la fermeture de l'auberge dans les années 1960, l'île a été rachetée par la commune. Mais aujourd'hui, l'accès du site en ruine est interdit au public.
Les chapitres du livre "Les rues et monuments racontent l'histoire d'Ostwald" sont classés par thèmes et par toponymes : rues qui "portent les noms de lieux-dits", "se souviennent des activités des Ostwaldois", "portent le nom de personnes qui ont marqué la commune", "rappellent les conflits et la Libération", ou "notent la présence de communautés religieuses". La CSF (Confédération syndicale des familles) a financé l'impression de l'ouvrage, qui peut être commandé par mail au prix de 15 euros.