Dans le cadre du festival Craft Beer consacré aux bières artisanales indépendantes, j'ai pu rencontrer le sommelier et biérologue français de renom Cyril Hubert. A une seule condition : participer à l'atelier dégustation qu'il anime. Il faut parfois mouiller sa chemise et son gosier.
Quand on part en reportage, on ne sait jamais trop à quoi s'attendre. Moi qui pensais faire une interview somme toute classique du sommelier sur un coin de nappe, stylo, carnet, photo et ciao good bye, me voilà servie. Au sens propre. A table.
La première gorgée de bière
Cyril m'explique que le meilleur moyen de comprendre ce qu'il fait c'est encore d'y participer. Un atelier d'initiation à la dégustation de bières. Je proteste un peu quand même. L'alcool au travail c'est quand même moyen moyen. Mais une interview vaut bien quelques gorgées de bière non ? Je suis bien trop professionnelle pour refuser le marché.
Me voilà donc assise avec 15 autres convives, 5 verres différents devant moi. Ballons, flûtes à Champagne ... car oui messieurs dames, chaque bière a besoin d'un flacon adapté pour dégager ses arômes. Le cours commence. Un cours où pendant 1h30 tous les sens sont en alerte.
On écoute crépiter la mousse, observe les levures doucement décanter dans la bouteille, les couleurs qui ondulent dans la lumière, respire les effluves de café ou parfois même de Cognac pour laisser enfin le sucre et l'amertume déborder le palais et picoter la langue. On n'en sort pas indemne je vous jure. Et le degré d'alcool n'a absolument rien à voir avec cela. "J’aime la dégustation, l’analyse" m'explique Cyril Hubert. "Apprendre aux gens comment déguster la bière, au même titre que le bon vin, c'est très important. On fait tellement de bonnes choses, des bières hallucinantes aujourd'hui qu'il faut apprendre à les savourer, à prendre du plaisir."
Si je l'avoue, toutes les bières ne me plaisent pas, je ressors de ce cours avec la tête qui tourne. Non pas parce que je suis un brin pompette mais bien parce que cette dégustation a touché son but. Comprendre que la bière a droit à ses lettres de noblesse, au même titre que le vin. Et ça c'est un sacré chamboulement intellectuel.
Tout ça c'est la faute de Jésus
Oui parce que avouons-le, quand on dit bière, on pense souvent plus aux matchs de foot du samedi soir qu'aux dîners mondains. Mais les choses sont en train de changer. " Vous savez, les oenologues me détestent parce que la bière, ça va avec tout. Avec le chocolat, le fromage, le gibier, tout tout. Il existe près de 1250 arômes et saveurs pour les bières contre disons 400 pour le vin. La bière est bien plus complexe."
La bière est bien plus complexe que le vin
-Cyril Hubert, biérologue-
Mais pourquoi autant de mépris pour la bière alors ? A cause de Jésus. " La bière est la plus ancienne boisson de l'humanité et remonterait à 7000 ans avant JC, en Mésopotamie. Elle a traversé les siècles. Ce sont les femmes qui brassaient la bière à la maison avec les mêmes aliments que pour leur pain. Les gréco-romains qui portaient aux nues le vin ont ensuite dégradé son image. Dès lors, la bière a été la boisson populaire par excellence et le vin celle de l'aristocratie. Et puis, Jésus a transformé l'eau en vin, pas en bière." Un coup de pub divin ça aide c'est sûr.
Cyril Hubert, le messie de la bière
Qu'importe, la bière a trouvé son messie en la personne de Cyril Hubert. Lui, parcourt le monde pour prêcher la bonne parole et la bonne bière. C'est en 2014 que Cyril trouve sa voie. Chef de rang dans un grand restaurant de Montreux, où il propose évidemment de grands crus, il participe un jour avec un ami à une dégustation de bières proposée par un grossiste en boissons de St Léger. Et là c'est la révélation.
Il repart avec plus de 200 francs suisse de bouteilles de bières dans le coffre. " J'ai rencontré les bonnes personnes au bon moment. Je me suis dit mais comment j'ai pu raté ça ? Passer à côté de ça ? Jamais plus je ne boirai de la bière industrielle dans une chope." Désormais ce sera la flûte de Champagne et de grandes brassées.
Du coup, ni une ni deux, il jette son tablier. " J'ai cherché une formation. J'ai vu qu’il existait à Pully une formation de sommelier de la bière, donnée par GastroSuisse. Je l’ai suivie: à 32 ans, un univers nouveau, inconnu s’ouvrait à moi." Depuis, Cyril a la barbe nomade. Il parcourt le monde ( il était dernièrement au Chili) pour proposer des dégustations chez les particuliers, les entreprises. Il forme aussi des cavistes, des restaurateurs et des brasseurs. Il est également juré international dans les concours de bières.
Un monde en pleine ébullition
Il faut dire que depuis une dizaine d'années, on assiste peut-être pas à un miracle mais en tous cas à un retour en grâce de la bière. " C'est fini, l'image des gars de chantiers qui boivent de la bière. Depuis 10 ans, le monde de la bière a énormément évolué, le nombre de brasseries artisanales a explosé. En France, on doit être aux environs de 1300 brasseurs aujourd'hui. Et regardez ce qu'on fait : des bières vieillies en fût d'Armagnac, on fait des choses vraiment géniales. Après, toutes les micro-brasseries ne font pas toujours de la qualité mais il y a une émulation et une montée en qualité incontestables."Jusqu'à détrôner le vin sur nos tables et celles des étoilés ? " Non ça c'est impossible mais les grands restaurateurs commencent à s'y mettre doucement." Cyril Hubert a d'ailleurs déjà travaillé avec le chef Mathieu Bruno du restaurant Là Haut (16/20 au GaultMillau) à la confection d'un menu entièrement accompagné de bière. Démonstration.
Cyril Hubert travaille dans cette même optique depuis un an et demi avec Sylvain Fazan, auteur l’an dernier d’un guide des brasseries et bières artisanales de Suisse romande, sur l'écriture d'un livre sur les accords mets/bière. Un petit aperçu ici.
Si ça continue, Cyril mettra Paris en bouteille et le vin en bière.
Les coups de coeur du biérologue
- La Rauch Bier : parfaite pour accompagner la choucroute.- La Imperial Baltic Porter de la brasserie Pohjala. " Une brasserie estonienne qui fait des bières incroyables. Moi je suis littéralement tombé amoureux de celle-ci. Aux arômes de pruneaux torréfiés. Elle est un peu chère. 11 euros les 33 cl mais ça vaut le coup."
- Pour les Alsaciennes : la Brasserie Bendorf et son Imperial Stout. Conseillée avec du ... roquefort.