Témoignages. Devenus sourds, ils doivent apprendre à lire sur les lèvres, "les malentendants sont mal entendus"

Qu'elles perdent l'audition progressivement ou d'un coup, les personnes qui deviennent malentendantes doivent s'adapter au monde dans lequel elles ont toujours vécu. Pour cela, elles apprennent à lire sur les lèvres. Notre équipe de reportage a rencontré plusieurs malentendants lors d'un stage de lecture labiale à Strasbourg.

En France, six millions de personnes sont considérées comme malentendantes. Nombreuses sont celles qui sont atteintes de surdité acquise, de manière progressive ou parfois brutale. Elles doivent ainsi apprendre à lire sur les lèvres. C'est ce qu'on appelle la lecture labiale.

Reconnaître la prononciation d'un "P", d'un "T", d'un "gant", du "goût" ou du "coût". Voici en quoi consiste cette lecture. Une nouvelle manière de communiquer à laquelle doivent se former ces personnes qui sont devenues sourdes au cours de leur vie.

"Quand on parle des sourds en général, on parle de ceux qui ont perdu l'audition à la naissance et qui utilise le langage des signes ou aux personnes âgées. On ne pense pas aux gens qui perdent l'audition du fait d'accident ou de maladie", dénonce Anne Boitelle, membre de l'ARDDS, l'association de réadaptation et de défense des devenus-sourds.

Ces personnes parlent et vivent dans un monde d'entendants. "Mais elles n'ont pas de raison d'apprendre la langue des signes puisque leur entourage ne la connaît pas. La seule solution, c'est la lecture labiale. Hélas, ce n'est pas assez répandue. Les malentendants sont mal entendus."

Et de continuer : " Les malentendants passent après les sourds. C'est un handicap invisible. Et ça a des conséquences dans le milieu professionnel. Si vous avez un contact avec du public et que vous dites que vous êtes malentendant, vous allez être mis au placard. Alors certains ne parlent pas de leur handicap."

Dominique Gardon était assistante sociale. "Par respect, je le disais aux personnes que j'avais en face de moi de parler plus fort. Mais vous imaginez si je le disais à mon employeur ? Si j'avais dit ça, on m'aurait mis dans un secrétariat quelconque, chose dont je ne voulais pas. Alors, je l'ai caché à mon employeur, toujours."

Mais il est venu un moment où Dominique a dû arrêter de travailler. "Je n'allais pas demander aux gens de hurler ! Mais je n'ai découvert la lecture labiale qu'après. Je ne savais pas qu'on pouvait améliorer sa compréhension avec ces stages. Les médecins généralistes et les ORL ne pensent pas souvent à les proposer..."

Des stages pas assez connus

Jean-Pierre Buisson-Guichard a 62 ans. En 2019, il a perdu l'audition de son oreille gauche après une opération. "L'oreille droite a mon âge, donc elle est un petit peu fatiguée...", sourit-il. Un handicap avec lequel il doit composer au travail, lui qui est enseignant. "Faire des cours avec des apprentis, leur donner des directives et les écouter que d'une oreille, ce n'est pas évident tous les jours. J'ai dû faire souvent répéter. J'ai été cash avec eux en leur disant 'Les questions intelligentes c'est pour cette oreille, les moins intelligentes pour l'autre'."

Faire répéter sans cesse, c'est fatigant pour tout le monde.

Jean-Pierre Buisson-Guichard

Participant au stage

Tout au long de l'année, l'ARDDS propose des stages à Paris ainsi que deux en régions au mois d'août. En 2023, l'association a posé ses valises à Strasbourg et a proposé deux stages d'une semaine. Jean-Pierre est venu de Grenoble pour y participer. "Ce stage, c'était une grande découverte. Je me suis surpris à déchiffrer des mouvements de lèvres. Je suis débutant mais pour moi, c'est très intéressant.Quand on enlève les appareils et que l'orthophoniste nous donne des petites phrases, je comprends ! J'ai l'impression d'avancer et de progresser."

Si vous voulez vous inscrire aux stages de lecture labiale, vous pouvez vous rendre sur le site de l'ARDDS ou contacter l'association à l'adresse mail suivante : stages-lecture-labiale@ardds.org.