Témoignage. "J'ai dû reprendre le travail à 75 ans" : l'affaire du Madoff alsacien, quand la confiance se transforme en calvaire

Publié le Mis à jour le Écrit par Flavien Gagnepain

Pendant des années, un conseiller en gestion de patrimoine alsacien a berné plusieurs de ses clients en leur proposant de faux placements financiers. Après plus de quatre ans d'enquête, les victimes demandent à retrouver leurs sommes, estimées à plusieurs centaines de milliers d'euros. Initialement prévu le 5 décembre 2024, le procès a été repoussé à mars 2025.

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Chantal et Nicole* n'ont rien vu venir. Quand en 2020, elles apprennent par Laurent Raynaud, leur conseiller en gestion de patrimoine, qu'il les avait arnaquées pendant des années, "le ciel leur tombe [sur] la tête". Ces deux Franciliennes, aujourd'hui âges de 76 et 78 ans, font partie des 27 victimes dans ce qu'on appelle déjà "l'affaire du Madoff alsacien".

Ce "Madoff", les deux retraitées le rencontrent aux alentours de 2010, sur les conseils d'amis. "C'était après le décès de ma mère", indique la première. "Je voulais faire fructifier l'argent que j'avais gagné de la vente de mon officine de pharmacie", explique la deuxième. Précision, les deux femmes ne se connaissent pas.

Laurent Raynaud, la quarantaine, est alors conseiller en gestion de patrimoine. À ses clients partout en France, il les aide à gérer leur argent, et noue même des amitiés avec eux. "Il m'a donné de très bons conseils, était très courtois et venait même un fois par an jusque chez moi pour m'aider à remplir ma déclaration d'impôts", se souvient Nicole.

C'était même devenu un ami

Chantal

"À cette époque, je n'avais rien de spécial à signaler à son sujet. Il était toujours disponible pour moi, il ne m'imposait jamais rien... Tout se passait très bien, il avait une réponse à tous les problèmes fiscaux qu'on pouvait avoir ! C'était même devenu un ami, il m'avait invité au mariage de son fils. Et si j'étais disponible, j'y serais allé", complète Chantal, qui a en souvenir une visite de Strasbourg avec Laurent Raynaud, domicilié à Molhseim (Bas-Rhin).

De la gestion de patrimoine aux "placements financiers"

L'homme ne pose alors aucun problème, fait presque partie de la famille et rend un fier service à l'une et l'autre, heureuses de pouvoir compter sur quelqu'un pour gérer leur argent au mieux. Mais après plusieurs années, Laurent Raynaud leur propose un autre type de service.

"Il a commencé à me dire 'Vous savez, je peux vous aider à placer de l'argent en bourse'. Alors j'ai réfléchi puis j'ai commencé à lui verser des chèques", raconte Chantal. Même chose du côté de Nicole. "Surtout, je recevais tous les mois des relevés et des comptes rendus très bien étayés. J'apprenais que tel mois j'avais gagné tant, le mois suivant moins..."

Plus de 250 000 euros versés

Pendant des années, la relation entre Laurent Raynaud et celles qui deviendront plus tard ses victimes ne souffre d'aucune ombre. La confiance établie depuis des années persiste, plus que jamais, avec même des documents à l'appui. "Un à moment, j'ai réclamé une partie de l'argent pour des travaux. Et je l'ai eue !", souffle Chantal.

Rien ne laisse alors à croire qu'une immense escroquerie est en train de se monter. Immense, car les montants versés à Laurent Raynaud, via sa société Phar Invest, sont démesurés. Chantal estime lui avoir versé 250 000 euros au total. Nicole, qui refuse de divulguer le montant, indique une somme supérieure. Au total, le préjudice envers les 27 victimes est estimé à cinq millions d'euros.

En 2020, Laurent Raynaud annonce lui-même à ses victimes qu'il les a arnaquées pendant tout ce temps. Dans une lettre, il leur explique avoir détourné les fonds vers une de ses entreprises et admet une reconnaissance de dettes envers elles.

Il y a de la colère contre soi, on se sent vraiment stupide

Nicole

"Je n'en suis toujours pas revenue. C'est comme si on coulait et qu'on vous enfonçait les épaules sous l'eau", témoigne Chantal, plus de quatre ans plus tard. Pour Nicole, l'annonce a fait l'effet d'un immense choc. "J'étais effondrée ! Mais surtout, il y a de la colère contre soi. On se sent vraiment stupide. On a honte aussi..."

Commence alors le (très) long volet judiciaire de cette affaire. Depuis que le voile a été levé sur l'arnaque, les victimes se battent pour retrouver leur argent. L'affaire a d'abord été portée devant le parquet national financier (PNF), qui a refusé de s'en charger, avant de la transmettre au parquet de Strasbourg, qui l'a lui-même transmis à celui de Saverne.

Un parcours du combattant avec la justice

Une enquête préliminaire a alors été ouverte, sans que les victimes ne puissent accéder au dossier. "Ça n'avançait pas, on ne pouvait pas demander d'acte, on a été tenu au courant de rien...", s'insurge Gloria Delgado-Hernandez, qui représente une dizaine de victimes. "Il a fallu qu'on se porte partie civile en versant une caution à Paris pour être tenu au courant des avancements. La justice, ça nous sort par les oreilles !", s'étrangle Chantal, qui n'a toujours pas revu un centime de ce qu'elle a perdu.

Nicole, qui approche des 80 ans, est même contrainte de reprendre le travail pour pouvoir subvenir à ses besoins. "J'avais des projets pour ma retraite donc j'y retourne pour m'en sortir en faisant des remplacements. À vrai dire, je n'ai jamais tellement lâché tant j'aime ce métier. Mais là, c'est juste une question de besoin, pas de plaisir", lâche-t-elle.

Un premier procès en janvier... pour rien

Surtout, les deux victimes dénoncent la lenteur de la justice. Il aura fallu attendre janvier 2024 pour qu'un procès ait lieu, à Saverne. Sauf qu'à l'audience, les avocats des parties civiles ont dénoncé la manière dont l'enquête a été menée. Les relevés de compte du prévenu n'ont pas été exploités, son domicile pas perquisitionné, et Laurent Raynaud n'a été entendu en garde à vue qu'une après-midi.

À la vue de ce dossier "très parcellaire", les avocats ont donc demandé à ce qu'un supplément d'information soit réalisé, chose qui a été acceptée par la présidente du tribunal. Ainsi, la division économique de la section de recherches de la gendarmerie du Grand Est a eu presque une année pour réaliser des investigations plus poussées. 

On a l'impression que c'est devenu tellement facile d'escroquer les gens pour qu'ensuite il ne se passe rien

Nicole

"Il y a report sur report. La justice est très lente et surtout décevante. Pendant ce temps, c'est facile de s'inventer une insolvabilité", peste Nicole au sujet de son arnaqueur. "On a l'impression que c'est devenu tellement facile d'escroquer les gens pour qu'ensuite il ne se passe rien".

Prévue ce jeudi 5 décembre à Saverne, soit près d'un an après celle de janvier, la nouvelle audience a été à nouveau renvoyée, sur demande des avocats des parties civiles comme de la défense. À la veille du procès, ces derniers n'avaient toujours pas reçu la version numérisée de ces nouvelles investigations. La prochaine audience se tiendra le 20 mars 2025, de quoi prolonger le calvaire de Chantal, Nicole et des 25 autres victimes encore plusieurs mois.

*Les prénoms ont été modifiés

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