Que faire de tous ces souvenirs de la Seconde Guerre mondiale, ces moments enfouis dans les mémoires de nos aînés ? À l’Ehpad Marquaire de Mutzig, quelques résidents en ont fait un film. Un film en stop motion. Un travail long et acharné qui touche enfin à sa fin.
Ce jour-là, carton plein pour la séance de cinéma. Dans la salle d’activités de l’Ehpad Marquaire de Mutzig (Bas-Rhin), ils sont une vingtaine à être venus regarder ce court-métrage d’une dizaine de minutes. Parmi les spectateurs, certains le connaissent déjà très bien. Ils l’ont fabriqué de leurs propres mains. Et les souvenirs d’enfance racontés dans le film, ce sont les leurs.
Il leur aura fallu plusieurs mois pour tourner toutes les images du film. Ou plutôt, pour les photographier. Le stop motion est une technique d’animation qui consiste à créer des séquences vidéo en faisant avancer des objets ou des personnages image par image. Un petit bras en plastique qui s’allonge de plus en plus, par exemple. Une fois toutes les photos prises, il faut les assembler les unes après les autres grâce à un logiciel. On appuie sur “play” et le mouvement est créé.
Les résidents ont travaillé avec des Lego. “Ils étaient vraiment petits, par contre !” se rappelle Antoinette Menges. “Pas toujours facile de tenir des petits objets quand on n’a plus beaucoup de sensations dans les mains”, rajoute sa voisine Marie-Louise Leytner. Vingt heures de travail, de concentration et d’exercices de minutie et de motricité.
Récits de guerre
Une dizaine de résidents a participé à ces ateliers stop motion proposés par l’animatrice de l’Ehpad. Encadrés par Maxime Marion, un vidéaste, ils se sont retrouvés pour fabriquer les scènes de leur enfance, les photographier, mais d’abord, il a fallu tout raconter. Tour à tour, en vraies stars de cinéma, ils se sont assis face à la caméra pour cristalliser ce qui leur reste de leur enfance pendant la Seconde Guerre mondiale.
“À l’école, j’étais assise au troisième rang, car je n’aimais pas être tout devant. Le maître, allemand, m’interpelle et me dit : “Tu as les yeux bleus et les cheveux blonds, comme une vraie petite Allemande”. Il m’a ensuite demandé de me mettre au premier rang.” Louise, 93 ans, ne se rappelle pas avoir participé à l’atelier stop motion. Pourtant, ces quelques mots entendus il y a plus de quatre-vingts ans, elle s’en rappelle.
Elisabeth Velten, animatrice de l’Ehpad, entend souvent ces histoires d’antan. "Ils ont envie d’en parler. Quand j’ai mis l’activité au planning, certains de mes collègues sont venus me voir. Ils trouvaient que c’était un bien triste sujet. Mais les résidents ont tout de suite été partants.”
Un besoin de transmission
Les autres résidents de l’Ehpad aussi étaient conquis. “C’est bien, pour que les jeunes puissent en apprendre quelque chose”, “Nous vivions dans la peur et nous n’avions pas grand-chose.” Maintenant que ces souvenirs sont devenus une œuvre d’art, comment l’apporter au grand public ? Les résidents et leur animatrice se sont longtemps posé la question. C’est finalement au Mémorial Alsace Moselle de Schirmeck qu’ils ont décidé d’offrir le film.
En minibus, quelques résidents s’y sont rendus. Le Mémorial abrite en ce moment une exposition de photographies prises pendant la Libération. De quoi susciter davantage d’anecdotes. “Il faisait très froid, effectivement”, se rappelle Margotte Laparlière. “Beaucoup de soldats venaient d’Italie, ou d’Afrique. Ils étaient emmitouflés dans des couvertures.”
C’est important qu’on sache et qu’on puisse voir ce qu’ont vécu ces gens
Amandine Huber
Au fond de la salle d’exposition, ils ont enfin pu admirer le mur sur lequel sera bientôt projeté le film des résidents de l’Ehpad Marquaire. Pour Amandine Huber, chargée des publics germanophones du Mémorial, c’est une chance : “Nous en sommes très reconnaissants. C’est important qu’on sache et qu’on puisse voir ce qu’ont vécu ces gens. Que ce soit au sein des familles ou dans les environs.” Et pour les résidents, une fierté. Leur film va officiellement rejoindre les collections du Mémorial. “Il était temps”, se réjouit René Schwabel, “On n'a pas pu tout dire, mais au moins notre histoire a été mentionnée”.