Un froid intense affecte la France en cette mi-janvier et plusieurs départements sont placés en vigilance. Certes, les températures constatées sont négatives mais bien éloignées de celles connues par le passé. Les météorologues critiquent l'excès de vigilances, souvent alarmistes, qui engendrent des attentes irréalistes du public. Une surestimation des phénomènes météorologiques liée à la consommation excessive de prévisions ne reflète pas toujours la réalité.
Hiver 1956. La France et le Grand Est sont traversés par une vague de froid, "dévastatrice, brutale et durable", selon Météo France. Pendant trois semaines, entre le 1er janvier et le 1er février, les températures chutent toujours plus bas, de - 18 à - 20°C.
La Haute-Marne, par exemple, et Langres, sont souvent considérées comme des territoires où le froid règne. Il suffit d’analyser une carte météo de la France pour s’apercevoir que la ville aux remparts est souvent dans le bleu.
En 1956, Langres connaît deux records, le 2 février, le mercure affiche - 20,8 °C, huit jours plus tard, le 10 février, il est de - 20,8. À quelques kilomètres de là, à Chaumont, le samedi 18 février 1956 est glacial : - 20,6 °C.
Comme on avait l’habitude de dire dans les chaumières : un "froid de gueux". Une expression dont la comparaison se suffit à elle-même ; les "gueux", n’ayant pas de logis et trop pauvres pour être vêtus suffisamment chaudement, souffraient souvent du froid.
Un « coup » plutôt qu’une « vague »
Et pour ce mardi 14 janvier 2025 ? Qu’en est-il ? Tous les médias usent dans leur titraille d’un vocabulaire, parfois alarmiste.
Ainsi, les lecteurs et internautes peuvent lire : "Le point sur les températures glaciales en France, ce mardi ?", ou bien "34 départements en vigilance jaune, températures négatives généralisées", ou encore "jusqu’à quand va durer cette période de grand froid sur la France ?"
En Haute-Marne, en moyenne, les températures ne sont pas descendues en dessous des… -10 °C. Seulement la nuit. Le mercure est rapidement remonté pour devenir en positif en milieu de matinée.
"Il y a parfois des terminologies imprécises dans les médias, notamment en matière de prévision météo. Ces termes ne sont pas toujours utilisés à bon escient", fait remarquer Alexandre Berger, président de l’association de climatologie de Haute-Marne. "Une «vague de froid», c’est un terme très précis, qui demande que certains critères soient respectés."
"J’en veux à tous ces sites qui outrepassent ce que la météo peut faire. On voit des prévisions sur 10 voire 15 jours. Ce n’est pas possible. Au-delà de six jours, on ne sait pas."
Louis Bodin, météorologue
En effet, pour qu’un fait météorologique soit qualifié de "vague de froid", les critères sont draconiens : les températures doivent être enregistrées sur une grande étendue spatiale, la température moyenne sur la journée doit être au minimum de 0.9 °C sur trois jours, et enfin, sur ces trois jours, en avoir au moins un où la moyenne nationale tombe sous la barre des
- 2 °C. Le mercure en est loin, ce lundi 13 janvier, la moyenne était de 1,1 °C.
"Une fois qu’on analyse cela, on se rend compte qu’on est loin de la vague de froid. C’est juste un coup de froid, et certainement pas une situation exceptionnelle", temporise Alexandre Berger, tout en rappelant que les périodes hivernales les plus rudes sont celles de février 1956, janvier 1985 et décembre 2009.
Les vigilances multipliées mais contre-productives
Été comme hiver, qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il y ait de l’orage ou qu’il neige, les vigilances sont désormais très - trop ? - nombreuses, qu’elles soient transmises par médias ou téléphone, outil par lequel les assurances avertissent les clients. Louis Bodin, météorologue sur TF1 et RTL, s’en inquiète.
S’il convient que les vigilances et les mises en garde météorologiques sont aussi là pour protéger les citoyens, il pense aussi "qu’on va un petit peu loin. Et, effectivement, à force de crier au loup, on peut se poser la question désormais de l’importance de la vigilance. Et donc on peut créer comme ça ce doute, qui malheureusement est contre-productif par rapport à ce qu’on cherche dans la prévision météo".
Il y a 25 ans, le météorologue considère qu’il n’aurait pas mis de vigilance sur l’épisode venteux de la semaine dernière. Des vents de 100km/h en hiver, sont, toujours selon lui, un fait habituel et typique de la période.
"Nos bulletins météo tiennent compte de l’évolution sociétale de ces 30 dernières années. Aujourd’hui, comme beaucoup d’autres choses, on consomme ces vigilances météo, on en devient très dépendant, alors que bien souvent, elles relèvent juste du bon sens", souligne le météorologue. "Nous avons un peu perdu le sens de l’observation et de l’adaptation. Il faut se rééduquer à cela, car c’est aussi cela la prévision météo."
Des "consommateurs météo" trop exigeants de la prévision
La météorologie est une science complexe. Les prévisions le sont d’autant plus, car elles se limitent à trois axes d’analyse : l’aléatoire des événements météorologiques, les données enregistrées et le temps nécessaire pour les analyser.
Pour Alexandre Berger : "Mieux vaut assurer une vigilance et surestimer un phénomène météo que de revivre la tempête 99, qui avait été clairement trop sous-évaluée". Louis Bodin se souvient : "Cette tempête a été et est encore un grand traumatisme pour la profession. D’ailleurs, il y a eu un avant et un après et les vigilances se sont régularisées. De même, des progrès, souvent technologiques, ont été faits".
Le nombre de calculateurs dans les stations a fortement augmenté, des programmes satellites se sont développés. Des logiciels de modélisation ont été créés, pour gagner en précision. "Mais cela reste toujours de la prévision. Sur les prochaines 24 heures, nous pouvons être sûrs à 95 %. Mais il reste cette part d’inconnu de 5 %, difficile à anticiper." A Alexandre Berger de conclure : "Nous allons quand même vers du mieux. D’autant que l’intelligence artificielle devrait être révolutionnaire dans le cadre de la météorologie."
Enfin, les deux météorologues s’accordent aussi sur un autre point qui expliquerait cette surdose et surestimation des vigilances. Puisque ces bulletins sont "consommés", les "consommateurs" sont de plus en plus exigeants. "Et j’en veux à tous ces sites qui outrepassent ce que la météo peut faire", souligne Louis Bodin. « On voit des prévisions sur 10 voire 15 jours. Ce n’est pas possible. Au-delà de six jours, on ne sait pas."
Pour Alexandre Berger, "on veut aussi connaître quel temps il va faire, à l’heure près, au kilomètre près. On demande à la météo une échelle spatio-temporelle de plus en plus fine, ce qui est très difficilement envisageable au regard de cette science".