Dans les laboratoires de recherche de l’Inra ('Institut national de la recherche agronomique) à Colmar, est né un nouveau type de vigne. Résistantes aux maladies, elle requiert moins de traitement, alors que la viticulture est un des secteurs français qui utilise le plus de pesticides.
Des rangées de minuscules plants de vignes sortent timidement leurs feuilles dans une serre bien chauffée de l'Inra de Colmar : c'est la prochaine génération de vignes résistantes aux maladies. Concues pour leurs moindres besoins en produits chimiques, les qualités de ces vignes devront encore être testées dans plusieurs bassins viticoles français.
La vigne est une des espèces qui utilise le plus de produits phytosanitaires par rapport à la surface : 20% des fongicides utilisés dans l'Hexagone sont pulvérisés sur 3% de la surface cultivée en France. L'Institut national de la recherche agronomique (Inra), en partenariat avec l'IFV, l'institut de recherche de la filière vitivinicole, font appel aux dernières avancées de la génétique pour rendre la vigne résistante aux deux principales maladies qui attaquent le feuillage et les grappes, le mildiou et l'oïdium.
Un chercheur de l'Inra avait déjà travaillé dans les années 1970 sur un gène de résistance au mildiou et à l'oïdium. Il avait réussi à créer des variétés disposant d'un gène de résistance pour chaque maladie qui portent son nom: "Bouquet". A partir du début des années 2000, ses collègues ont réutilisé ses travaux en couplant les variétés "Bouquet" avec des vignes sauvages venant des Etats-Unis et d'Asie lors d'une série de croisements aboutissant aujourd'hui aux variétés "Resdur" porteuses de trois gènes résistants à chacune des deux maladies.
Sentinelle
Un gène de résistance, c'est "une sentinelle" qui va permettre de déclencher la résistance de la plante, explique Didier Merdinoglu, directeur de recherche à l'INRA Colmar. Fruit de ces 15 années d'avancées, on est passé "d'une moyenne de 15 traitements par an (de fongicides, NDLR) à un, voire deux traitements, surtout pour venir à bout d'autres maladies ou parasites", résume Didier Merdinoglu."Ce qui fait la différence par rapport à ce qu'on pouvait faire il y a 30 ans c'est l'accès à la génétique moléculaire. On tire de cette connaissance un outil pour piloter le choix des parents, puis des descendants" porteurs des gènes de résistance, explique Christophe Schneider, également directeur de recherche à Colmar. Plutôt que d'attendre de voir si les plants devenus adultes résistent aux maladies, les chercheurs de l'Inra sélectionnent en laboratoire les plants porteurs des marqueurs génétiques qui assurent leur robustesse. Ils pourront alors grandir avant d'être bouturés.
Mais il faut encore tester en plein champ si ces vignes résistantes auront une production conforme en qualité comme en quantité. En bref, si elles feront un vin correct. Pour cela, l'Inra de Colmar travaille en réseau avec d'autres stations de recherche à Bordeaux et à Montpellier où sont également plantés quatre exemplaires de chaque nouvelle espèce, pour gagner du temps en multipliant les données.
Fin de carrière
Ainsi dans une rangée de vignes à Colmar on peut voir la différence entre chaque nouvelle variété : l'une a gelé et les quatre pieds "trop sensibles au froid" sont morts. "Elle a donc fini sa carrière", constate M. Schneider.Il explique également qu'il choisira plutôt une variété qui fait des sarments qui montent droits vers le ciel plutôt qu'une autre dont les bois retombent vers le sol. Les grappes que donnent ces ceps ont été vinifiées et les quelques litres de vin issus de chaque variété (10 à 20 litres) ont de nouveau passé une sévère sélection basée sur ses aptitudes viticoles et oenologiques. La première génération de ces nouvelles variétés résistantes aux maladies sera inscrite à la fin de l'année au catalogue officiel, ce qui leur donnera le droit d'être commercialisées en France. D'ici 2023, une trentaine de nouvelles variétés auront vu le jour.
Ces cépages nouveaux, qui pour l'instant n'ont pas encore de nom mais des numéros (J134 et J58 pour les deux qui seront inscrits fin 2017), devront faire leurs preuves avant d'arriver dans les verres des consommateurs. Des partenariats ont été signés avec les organisations régionales de producteurs pour que les nouvelles variétés soient testées chez des viticulteurs. Et une fois la résistance durable de ces nouveaux cépages établie, ils devront trouver grâce aux yeux des professionnels pour remplacer les cépages existants et être déployés sur tous les territoires.