Programmées pour être détruites en raison d’une réglementation sur les immeubles de grande hauteur à laquelle elles ne répondent plus, les deux tours Plein Ciel de Mulhouse sont en sursis. Le tribunal administratif de Strasbourg vient de se prononcer en faveur de leurs habitants en reconnaissant qu’elles ne sont pas concernées.
Après la sidération, les occupants des deux tours "Plein Ciel" 1 et 2 du quartier des Coteaux à Mulhouse retrouvent un peu d’espoir en ce début d’année 2025. Le tribunal administratif de Strasbourg s’est prononcé en leur faveur le 7 janvier en reconnaissant que les tours ne relèvent pas de la réglementation Immeubles de Grande Hauteur (IGH).
Une décision qui vient contredire l’avis défavorable sur leur habitabilité émis en juillet 2022 par la commission départementale de sécurité. Depuis, les deux tours jumelles de 66 mètres de haut, construites dans les années 1960, sont promises à la destruction. Un véritable crève-cœur pour les habitants qui n’ont d’autres perspectives que de quitter les lieux pour la plupart.
Une facture salée
Car pour les copropriétaires, attachés à leur bien, l’impact financier des arrêtés pris par la ville prescrivant des mesures de sécurité pour chacune des deux tours est disproportionné. La facture de remise aux normes est évaluée à 45 millions d’euros par immeuble. "Une dépense hors de portée pour les propriétaires des quelque 280 appartements que comptent les tours. Cela représente environ 250 000 euros par appartement, alors qu’ils valent beaucoup moins", fait remarquer leur avocat, Bruno Kern.
Renforcement des dalles tous les deux étages, création d'un système de ventilation, installation d'un poste de sécurité dans chaque bâtiment, voilà la liste non exhaustive des travaux antifeu que les propriétaires doivent envisager depuis que les deux tours sont considérées comme des immeubles de grande hauteur. "Tout a commencé en 2017, quand on a eu la surprise d’être classé en IGH. On nous a dit qu’il fallait prendre des mesures de sécurité en vertu de la loi", explique le président du conseil syndical, Christian Pfister. En juillet 2022, la copropriété se retrouve dans la perspective de réaliser les travaux dans les trois ans à venir. Si elle refuse, les tours seront démolies. Pour beaucoup d'entre eux, c'est l'investissement d'une vie qui est réduit à néant.
Les copropriétaires engagent un combat judiciaire
Face aux préjudices annoncés en raison de la perte de valeur des logements, des copropriétaires ont donc décidé de porter l’affaire en justice. Ils ont bien fait puisque le tribunal administratif de Strasbourg leur a donné raison par cette décision du 7 janvier. Construites de 1964 à 1967 pour l’une et jusqu’en 1968 pour l’autre, "les deux tours ne sont pas soumises à la loi d’octobre 1977 reconnaît le tribunal. Cette loi porte sur les risques d’incendie pour les immeubles d’une hauteur de plus de 50 mètres", explique Bruno Kern. Voilà qui met à mal les arguments avancés par la municipalité, laquelle voit ses arrêtés Plein Ciel devenus illégaux, "puisque pris sur la base d’une législation inapplicable".
Le combat pour les copropriétaires ne s’arrête pas là pour autant. L’agglomération de Mulhouse, la M2A, compétente en matière d’aménagement, a saisi le juge judiciaire de Mulhouse pour faire constater la carence des copropriétaires, dans l’incapacité de faire réaliser les travaux. Le 19 décembre 2024, le juge a donc conclu à la carence, "sans attendre le jugement annoncé du tribunal administratif", s’insurge Bruno Kern. Un administrateur provisoire a été nommé pour gérer les affaires du syndic des deux tours. Concrètement, cela signifie "que les copropriétaires n’ont plus leur mot à dire et que nous n’avons plus la main sur notre propre bien", déplore Christian Pfister.
Un véritable scandale pour l’avocat qui voit dans ce constat de carence la possibilité pour la commune d’engager des procédures afin "de mettre dehors les propriétaires à vil prix et de raser les immeubles". En deux ans, plus de 60% des appartements ont été rachetés par la collectivité, "mais il y en a 140 qui résistent encore aujourd'hui". En vue de casser l’ordonnance du juge judiciaire, l’avocat a fait appel devant la cour d’appel de Colmar. Selon lui, la décision du tribunal administratif rend caduque l’obligation de faire les travaux.
La ville maintient ses positions
Pour la mairie, il n'est pas question de changer de cap et s'en tient à l'avis de la commission de sécurité. "La décision du tribunal administratif ne change rien au problème. Elle ne dit rien sur le fait que les deux tours présentent un risque pour ses habitants. Raison pour laquelle la procédure de carence va se poursuivre", fait savoir Alain Couchot, premier adjoint à la maire de Mulhouse.
La politique de rachat des 282 appartements va continuer, au prix du marché fixé par le Domaine, un service de l'Etat. "On comprend la préoccupation des habitants et on est sensible à ce souci de préserver leur patrimoine. Mais il n'y a pas de possibilités à déroger des contraintes fixées par le Domaine", souligne l'adjoint. 113 acquisitions ont déjà été réalisées, plus d'une centaine d'autres seraient sur le point de se faire.