À Chalampé (Haut-Rhin), 16 000 arbres vont être plantés ces prochaines semaines à côté du site industriel Alsachimie. Ce projet de grande ampleur, porté par plusieurs partenaires, est destiné à recréer une forêt rhénane.
Ce n'est encore qu'une grande étendue dégagée, entre le ruisseau du Muhlbach et la voie ferrée. Une grande pelleteuse réalise les derniers travaux de terrassement, et au fond, derrière un mince rideau d'arbres, on distingue la vapeur blanche des cheminées d'Alsachimie.
Mais d'ici à quelques années, ce terrain d'une dizaine d'hectares sera à nouveau recouvert par une forêt alluviale, humide, typique de celles des bords du Rhin. Une création, ou plutôt une recréation, rendue possible grâce à une belle synergie entre des partenaires aux intérêts pourtant variés.
L'aventure a commencé en 2019, lorsque l'industriel Alsachimie, fabricant de produits chimiques pour les secteurs de l'automobile, du textile et de l'électricité, a demandé l'autorisation de défricher un terrain qui lui appartenait afin d'agrandir son usine.
Une forêt au lieu d'un chèque
Cette autorisation lui a été accordée, sous condition d'une compensation : soit l'industriel versait environ 200 000 euros au Fonds Biodiversité mis en place par l'Etat, soit il se lançait lui-même dans un projet au bénéfice de l'environnement.
"C'était un choix, et on a été challengés par des parties prenantes, notamment l'association Alsace Nature qui souhaitait réaliser un projet local à haute valeur environnementale. Ce projet avait plus d'intérêt que le versement d'une somme à ce fonds stratégique", explique Patrick Renck, ingénieur et responsable environnement à Alsachimie.
Mise au défi, l'entreprise industrielle décide donc de se lancer dans la reconstitution d'une forêt humide de type rhénane, avec le soutien de plusieurs partenaires. Après de longues négociations, un projet émerge, qui satisfait tous les protagonistes. "Il a fallu discuter, tout le monde avait des intérêts, pas forcément convergents, reconnaît Patrick Renck. Mais tout le monde a bougé les lignes."
Alsachimie met à disposition ce terrain d'une dizaine d'hectares, loué jusque-là à des agriculteurs qui y cultivaient du maïs. Et en accord avec le département du Haut-Rhin, le syndicat des Rivières de Haute-Alsace est désigné maître d'ouvrage du projet.
Chênes, ruisseau et roselière
L'idée est de reconstituer une forêt traversée d'un petit cours d'eau, créé à partir d'une dérivation du Muhlbach. Le lit de ce nouveau ruisseau vient d'être creusé, sur plus d'un mètre de profondeur. "Pour s'assurer de son étanchéité, on a ramené de l'argile, qui permettra de garder l'eau, en évitant qu'elle s'infiltre plus bas et se perde dans la nappe phréatique", précise Olivia Ghazarian, directrice du syndicat Rivières de Haute-Alsace.
"Des ouvrages de régulation seront installés en amont et en aval, pour régler précisément le niveau de l'eau" ajoute Dominique Weckner, ingénieur hydraulique pour le syndicat. En effet, autrefois, avant d'être canalisé, le Rhin inondait régulièrement cette zone. Et le projet est de reproduire ce type d'inondations périodiques, très riches pour la biodiversité.
Six hectares de terrain seront plantés d'arbres. "Il y aura majoritairement des chênes sur la partie la plus éloignée du cours d'eau, détaille Dominique Weckner. Autour du ruisseau, on va planter des espèces plus alluviales, des frênes, des aulnes et des saules." Les deux hectares de zones humides seront aménagés avec "une végétation aquatique typique des milieux rhénans, des roseaux, des iris, des carex, ce genre de choses."
À terme, ce milieu reconstitué constituera un bel abri pour la faune, "une faune diversifiée, avec des poissons, des batraciens, des insectes, et bien sûr un certain nombre d'oiseaux qui pourront venir en périodes de migrations" liste Olivia Ghazarian.
Une réalisation exemplaire
Dans l'immédiat, seuls le lit du futur cours d'eau, et quelques talus nivelés pour donner une forme très naturelle au terrassement sont réellement visibles. La plantation des 16 000 arbres et du millier de plantes aquatiques devrait commencer mi-février, et s'achever au début du printemps.
Ensuite, il faudra attendre deux ou trois ans pour que la végétation soit bien développée sur la zone humide, et une bonne dizaine d'années jusqu'à ce que l'ensemble ressemble réellement à une forêt.
"C'est un projet exemplaire par l'ampleur du terrain, mais aussi par toute cette synergie qui s'est mise en place, et le nombre de partenaires impliqués, se réjouit la directrice du syndicat des Rivières de Haute-Alsace. Cette réalisation va dans le bon sens, et permet de gagner en biodiversité."
"On a hâte de voir l'évolution du site, s'exclame Patrick Renck. Au début, ça ne sera pas très visuel, mais dans quelques années, ce sera une zone magnifique."
Au final, Alsachimie mettra dans l'escarcelle cette même somme de 200 000 euros qu'elle aurait pu verser au Fonds Biodiversité, voire davantage. Mais au bénéfice d'une action concrète et locale, sur l'un de ses propres terrains.
Sur un budget total d'environ 800 000 euros pour l'ensemble de l'opération, les trois quarts restants seront versés par divers partenaires, dont la Région Grand Est, l'Agence de l'eau et le Syndicat mixte des cours d'eau et canaux de la plaine du Rhin.