Châlons-en-Champagne : le face à face entre la journaliste Anne Nivat et la jeunesse châlonnaise publié dans La France de Face

Anne Nivat, reporter de guerre, Prix Albert Londres en 2000, est aguerrie des terrains difficiles que sont l’Afghanistan, l’Irak et la Tchétchénie. Elle est aussi journaliste indépendante. Depuis 1996 elle écrit et la "France de Face" est son 17e ouvrage. Pour la seconde fois, elle est partie à la rencontre des habitants de villes de France, dont Châlons-en-Champagne.

L'essentiel du jour : notre sélection exclusive
Chaque jour, notre rédaction vous réserve le meilleur de l'info régionale. Une sélection rien que pour vous, pour rester en lien avec vos régions.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "L'essentiel du jour : notre sélection exclusive". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

"On n’est pas libres en fait ", conclut Nabila avec fougue, ajoutant que ce ne sont pas les politiques qui lui donnent de l’espoir, mais son "coeur". "Quand j’évoque la possibilité de voter, elle (Marine) s’esclaffe en répondant qu’à part pour les délégués de classe quand elle allait à l’école elle n’en voit pas l’intérêt".

Nabila, Marine, Myriam, Paul, Jordan, Florian, William, Florence, Maxence, Amandine, Cindy habitent tous Châlons-en-Champagne. Ils ont accepté de croiser la route de la journaliste Anne Nivat. Une démarche particulière dans une société où la sphère médiatique est souvent critiquée, voire conspuée. Il a fallu s’installer, convaincre, écouter pour avoir la confiance. Anne Nivat souhaite alors rencontrer un public jeune et comprendre pourquoi la politique ne les intéresse pas. Pourquoi, ils ne votent pas.

Le fil conducteur c’était : faire parler des jeunes que l’on n’entend pas du tout dans les médias, vers lesquels on ne se tourne pas, parce qu’il faut aller les chercher et mériter leur confiance.

Anne Nivat, journaliste, Prix Albert Londres en 2000

"Châlons, m’est venu parce que je cherchais un endroit où les chiffres montrent un fort taux d’abstention, mais j’avais aussi envie d’une ville dans cette partie-là de la France. C’était important pour moi que le Nord-Est soit présent. Elle correspondait à tous les critères, explique l’auteure de La France de Face. Et puis, je souhaitais voir des gens qui n’ont pas mon âge. Même si, j’ai une Florence qui a 50 ans, qui est extraordinaire, une ancienne coiffeuse, que j’ai adorée. Le fil conducteur c’était : faire parler des jeunes que l’on n’entend pas du tout dans les médias, vers lesquels on ne se tourne pas, parce qu’il faut aller les chercher et mériter leur confiance. J’ai été accueillie de façon exceptionnelle au centre de formation de Châlons. Ils ont compris en très peu de temps mon travail. C’est merveilleux et c’est volontaire de terminer le livre par Châlons car je voulais finir sur des jeunes et notamment sur Cindy".

Cindy a 22 ans et est étudiante en droit. Passionnée par le dessin et la mode, elle rêve, un jour, de faire carrière. Les études ? Pour faire plaisir à se parents livre-t-elle à Anne Nivat. Cindy est aussi une des rares à aborder le vote comme un acte qui a du sens. D’abord, elle met les choses au clair : "Les politiques ne nous représentent pas. Comment le pourraient-ils ? Ils ne viennent pas voir sur le terrain" et surtout, critique-t-elle, ils ne trouvent pas "la bonne façon de nous toucher".(…) "La société dans laquelle on vit ne me plaît pas, y a trop de non-dits, s’emballe Cindy. Comme si les Français ne voulaient pas montrer qui ils sont vraiment… " Pour contrer ces dénis, la jeune femme n’envisage qu’une solution : s’impliquer en politique ! Elle croit encore au vote, parce qu’elle croit à l’engagement."  

Cindy, Anne Nivat l’appelle la "super nana". "Elle est époustouflante parce qu’elle est forte, elle puissante. C’est notre futur. Je ne voulais pas terminer sur une note négative. Quelle leçon elle donne et elle, elle ne dit pas qu’elle n’ira pas voter".   

Regarder, écouter et retranscrire au plus juste  

Nabila, Paul, Myriam et Jordan, Anne Nivat les rencontre au sein du club d’échec du quartier du Verbeau de Châlons-en-Champagne. L’entremetteur Diégo Salazar, son directeur et avant lui, Bruno Forget, organisateur de la foire, et par qui tout arrive. "C’est grâce à Bruno Forget rencontré un des premiers matins à Châlons. Diégo est alors passé le voir et je me suis dit, c’est lui à qu'il faut que je parle. Bruno Forget a été un rouage essentiel".

Dans ce club châlonnais, toutes les générations, toutes les origines se retrouvent et c’est sa grande force. Les enfants viennent prendre des cours et les mamans aussi. Un lieu où Anne Nivat "débarque" sans que Diégo, le directeur, n’ait eu le temps de l’introduire. Mais Anne se lance et explique. Et là encore, l’accueil est fantastique et les rendez-vous se prennent, sur place ou au domicile de quelques personnes. La journaliste croise alors des personnalités hors du commun, qui n’hésitent pas à se livrer à elle, cette inconnue de passage. "C’est le miracle de la France. Moi je n’ai rien inventé", dit-elle encore avec le sourire dans la voix.

Ça serait quand même tellement bien d’avoir envie de voter...

Paul, habitant de Châlons-en-Champagne

Même si les mots sont graves, même si les paroles retracent souvent la dureté du chômage et la précarité des familles, l'’important est de retranscrire au plus juste. Pour que cette réalité-là trouve échos.

"Sans son voile, les traits purs de Myriam, rehaussés par des yeux sobrement maquillés, dévoilent une chevelure fournie tirée vers l’arrière. "Je comprends pas pourquoi ici en France on a si peur de la différence, réfléchit-elle à haute voix. Ici, faut vraiment être dans un moule, sinon on te lynche ! Combien de fois j’ai entendu, “on va t’arracher le chiffon que t’as sur la tête !”. Une fois, à la CAF, mon interlocutrice a prétendu qu’il manquait à mon dossier ma carte de séjour, elle arrivait pas à admettre que j’étais française !" (…) "Pour moi, la vraie liberté, c’est justement qu’en France on puisse porter une jupe ou un voile !" (...) "Notre époque manque vraiment d’altruisme, souligne cette femme qui se pose des questions sur l’utilité d’aller voter.

Il y a des thèmes qui me tiennent très à cœur pour regarder la France de face comme j’aimerais que nos politiques la regardent

Anne Nivat, journaliste, auteure de la France de Face

Paul et Jordan, eux, racontent : "Ça serait quand même tellement bien d’avoir envie de voter…". Jordan n’a voté à aucune élection : il estime que se déplacer au bureau de vote est une perte de temps. Pour lui, la société est en train de "vriller".   

Des témoignages utiles

En 2017 déjà, Anne Nivat c’était lancé dans ce difficile exercice de la parole donnée "aux vrais gens". Ceux que l’on n’entend pas, loin de Paris, plongés dans une vie que nul ne peut comprendre, imaginer ou envisager, s’il ne vient pas à leur rencontre. "Dans quelle France on vit" se déroulait alors dans six villes de l'hexagone et le livre était paru en 2017, juste avant la présidentielle. Avec "La France de face", Anne Nivat poursuit ce travail.

"C’est un diptyque et c’était voulu de ma part que cela soit à chaque fois à la veille d’une élection présidentielle". La journaliste hésite à retourner dans les six villes qu’elle a choisies pour le premier tome. "Et puis non, j’ai ressenti le besoin d’aller ailleurs, soulever d’autres problématiques. Il me semble qu’il y a des thèmes qui me tiennent très à cœur pour regarder la France de face comme j’aimerais que nos politiques la regardent. Et je me suis dit, ces thèmes-là, il faut les aborder : la pauvreté, une ville moyenne gangrénée par le trafic de drogue, le thème justement de l’abstention, le rapport à la terre, à la mobilité et ensuite ou en même temps j’ai cherché des villes où illustrer ces thèmes". 

L’entre soi, on en crève. Ce qui est important c’est justement de changer de monde, de regarder l’autre qui est différent, de le questionner, de le respecter, de l’écouter.

Anne Nivat, journaliste

Entre 2018 et 2021, Anne Nivat réalise ce travail d’immersion et de collecte de la parole et puis, place à l’écriture. La France de Face a un seul objectif : "Mon but c’est de mettre à l’honneur ces héros et héroïnes de la France qui n’est pas parisienne. Mon seul but c’est ça. C’est contribuer à apporter un diagnostic. Tendre un miroir de notre société, montré sans démontrer, ne pas être idéologue justement. En fait, je fais, dans ce livre, ce que j’ai toujours fait dans tous mes précédents livres. Sauf qu’avant je le faisais en dehors de la France. Mes héros et héroïnes étaient syriens, tchétchène, afghans, irakiens".  

Des retours, déjà, de la classe politique

Anne Nivat aime à dire : "Je ne me sens jamais autant moi-même qu’en pénétrant une société qui n’est pas la mienne comme en Irak, en Afghanistan ou en Tchétchénie". Mais en France, quel est ce sentiment ? "Cette société n’est pas la mienne parce que je ne vis pas à Denain, à Châlons-en-Champagne. Je suis une privilégiée. Je viens d’une catégorie socio-professionnelle privilégiée je le sais. Mais je ne vois pas pourquoi cela m’empêcherait d’aller regarder l’Autre avec un A majuscule. L’autre parce qu’il est différent de moi. Parce qu’il n’y a rien qui m’exaspère plus que l’entre soi. L’entre soi, on en crève. L’entre soi dans les médias, l’entre soi en politique, dans chaque confrérie, entre médecin, entre prof. Ce qui est important c’est justement de changer de monde, de regarder l’autre qui est différent, de le questionner, de le respecter, de l’écouter. Et c’est ce tableau-là que j’ai voulu dresser de la France".

Il n’y a que cela que je puisse faire. Ce que j’ai fait là, c’est ce que j’aime le plus faire au monde

Anne Nivat, journaliste indépendante

Avec - outre le plaisir absolu et la difficulté aussi - l’ambition que sa récolte de témoignages gagne la sphère concernée. Celle des décideurs, des politiques en place ou en devenir. "Je peux vous dire que déjà, ils le font. J'ai reçu des textos de la part de plusieurs d’entre eux. Ce sont des femmes et des hommes de droite comme de gauche, au gouvernement et en dehors, des candidats qui m’écrivent et qui sont estomaqués. A qui ça plait et qui disent que c’est essentiel. Justement, ils sont conscients du fait que lorsqu’ils sont en voyage de campagne tout passe avec des filtres et là, c’est sans filtre et ils me remercient de cela. C’est un sentiment d’utilité parce que justement d’autres vont le lire, d’autres qui ont le pouvoir ou qui aimeraient l’avoir. Et ça, ça les fait réfléchir quand même. Quand même. Il n’y a que cela que je puisse faire. Ce que j’ai fait là, c’est ce que j’aime le plus faire au monde".

Anne Nivat reviendra très vite à Châlons-en-Champagne pour présenter évidemment son livre, ou plutôt leur livre, à tous ceux qui y ont contribué. Pour continuer peut-être aussi ces heures de discussions forcément inachevées… auprès de nos héros du quotidien. Car sans eux, point de journalisme.

Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Veuillez choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité
Je veux en savoir plus sur
le sujet
Veuillez choisir une région
en region
Veuillez choisir une région
sélectionner une région ou un sujet pour confirmer
Toute l'information