"La moitié des parents aident leurs enfants" : quand la recherche de stage d'observation en 3ᵉ se transforme en calvaire

Proches dans l'incapacité d’aider, manque de relations, refus en chaîne… Pour certains collégiens, la recherche d’un stage d’observation se transforme parfois en véritable parcours du combattant. Un premier pas dans le monde du travail dont l’impact peut s’avérer dévastateur lorsqu’il est mal vécu.

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Au collège la Source à Rilly-la-Montagne, les élèves de 3e étaient cette semaine en stage d’observation. Au cinquième jour d’immersion dans des entreprises, Jade et Jeanne, toutes deux collégiennes dans l’établissement marnais, se réjouissent de leurs expériences mutuelles dans des médias. La première à Champagne FM puis à France 3 Champagne-Ardenne, la seconde au groupe de presse PlayBac, à Paris. 

Elles font partie des quelque 800 000 collégiens en classe de 3e ou en 4e - pour les sections d’enseignement général et professionnel adapté (Segpa), à réaliser un stage. Obligatoire depuis 2005, il a été mis en place pour la première fois en 1983.

Découvrir le monde du travail, partager le quotidien de professionnels, confirmer un projet d’orientation, gagner en autonomie… Les objectifs affichés sont nombreux, mais encore faut-il trouver une entreprise.“Les expériences sont extrêmement diversifiées et inégalitaires, analyse Aude Kerivel, co-auteure en 2018 d’une étude sur les inégalités, notamment dans l’accès à ce stage de troisième, “qui se fait beaucoup par le réseau familial”, selon les mots de la chercheuse.

Une possibilité de choix inégale

Ce fut le cas de Jade, 14 ans et originaire de Reims, dont les parents souhaitaient qu’elle fasse un stade qui lui plaise. “Par chance, un ami à eux travaille dans le domaine du journalisme, qui m’intéresse”, raconte-t-elle, reconnaissante d’avoir été accompagnée par ses parents dans les différentes étapes, de la recherche à la candidature, en passant par l’administratif. 

Ce n’est pas une mauvaise volonté [des parents], mais ils sont souvent perdus.

Victorien Jeantils, professeur en Segpa à Dormans dans la Marne

À Dormans, dans la Marne, le professeur en Segpa Victorien Jeantils, estime que “la moitié des parents aident leurs enfants” : “Ce n’est pas une mauvaise volonté, mais ils sont souvent perdus. C’est là que l’on prend le relais, parfois une semaine avant le début du stage”, explique-t-il. "Dans leur recherche d'un stage en classe de 3e, les premiers interlocuteurs de l'élève et de sa famille restent son établissement scolaire et en particulier son professeur principal", confirme le rectorat de l'académie de Reims. 

Jeanne a quant à elle trouvé son stage en envoyant des mails à des rédactions. Sur cinq envois, la collégienne a reçu trois réponses, dont une qui s’est concrétisée, sans qu’elle soit aidée par quiconque. “J’en avais la possibilité, mais j’avais envie d’être autonome et de me débrouiller. Je n’avais jamais écrit de lettre mais je me suis aidée d’internet”, explique la jeune fille de 14 ans.

Un stage par dépit

Elle et Jade ont pu effectuer leur stage dans un domaine qui les intéressait, ce qui leur a permis de confirmer leurs aspirations. Toutefois, ça n’a pas été le cas de tous leurs camarades, malgré l’investissement d’une professeure proposant ses contacts et des forums des métiers : “Je souhaitais aller au Palais de Justice, mais ils m’ont dit que ce n’était pas possible, alors j’ai pris mon second choix”, témoigne Elise. 

“Dans ma classe, certains ont été dans l’entreprise de leurs parents, de leur oncle ou de leur tante, en dernier recours”, contextualise Jade. Que ce soit chez des proches, dans les commerces locaux ou en groupe, le stage, lorsqu’il se transforme en choix par dépit, est parfois surnommé stage kebab”

Dans ma classe, certains ont été dans l’entreprise de leurs parents, de leur oncle ou de leur tante, en dernier recours.

Jade

Élève en 3e

Une réalité pointée du doigt par la chercheuse Aude Kerivel, directrice du Laboratoire d'évaluation des politiques publiques et des innovations (LEPPI) : “Il y a les élèves qui vont trouver en étant introduits par une personne de confiance, sans forcément avoir à faire une lettre de motivation et un CV. Puis il y a ceux qui vont faire tout cela, s’entraîner à faire un entretien et essuyer parfois vingt refus”, déplore-t-elle.

D'élève à chercheur d'emploi

La recherche se transforme alors en parcours du combattant. C’est là que la première expérience en entreprise, déjà marquante, peut laisser un goût amer et entacher la suite du parcours des élèves, comme le souligne la chercheuse Aude Kerivel.

Elle dénonce le fait que des “enfants, venus pour de l’observation, se retrouvent dans des postures de chercheurs d’emploi à qui l’on dit qu’il manque des compétences. Mais quelles compétences peuvent-ils avoir à 14 ans ?, s’enquiert-elle, mettant en garde sur l’impact de ce type de discours : “C’est ça qu’ils vont retenir. Ensuite ils entament leurs études et leur vie professionnelle en se disant que ça va être laborieux.”

Des enfants venus pour de l’observation se retrouvent dans des postures de chercheurs d’emploi à qui l’on dit qu’il manque des compétences.

Aude Kerivel

Sociologue

Une problématique soulevée par le ministère de l'Éducation sur son site internet, qui indique que “le choix d’orientation des élèves est trop souvent déterminé par leur environnement social, familial et territorial.” Sur ce dernier point, le professeur Victorien Jeantils décrit en effet des élèves limités car dépendants des transports, avec une “difficulté à aller ailleurs” : “Même dans leur démarche, ils se disent ‘je vais aller là parce que c’est dans mon village’, au lieu de chercher un métier à découvrir”, rapporte-t-il. 

La découverte des métiers, via le stage d’observation, est malgré tout considérée par le ministère comme une réponse à “l’enjeu majeur de justice sociale et de réduction des inégalités sociales et territoriales”. 

Une perte de chance

Pourtant, difficultés et discriminations restent majoritairement éprouvées par les élèves issus des milieux populaires et précarisés, notamment dans des établissements en éducation prioritaire REP et REP+. La Champagne-Ardenne compte 30 collèges placés dans ces réseaux : dix dans les Ardennes, huit dans la Marne, sept dans l’Aube et quatre en Haute-Marne. “Selon la configuration sociale des établissements, l’organisation de l’équipe pédagogique autour du stage ne va pas être de même nature”, note Aude Kerivel.

Avec des élèves peu, voire pas accompagnés par leurs proches, la charge revient aux enseignants, dont l’agenda est déjà bien rempli. Certains collèges travailleront donc sur l’orientation en amont, quand d’autres devront se concentrer sur les éléments de candidature.

De leur côté, le Rectorat et les quatre Directions des services départementaux de l'Education nationale (DSDEN) de l'académie de Reims accueillent évidemment régulièrement des élèves de 3e en fonction des demandes leur parvenant.

Rectorat de l'académie de Reims.

Pour pallier ces lacunes, de nombreuses associations se sont créées et aident à la fois les entreprises et les élèves, mais tous les territoires n’en sont pas pourvus. La plateforme “Mon stage de troisième”, à destination des REP/REP+, permet également une mise en relation, comme le rappelle le rectorat, qui souligne également l'existence du site "Orient'Est", porté par la Région pour être accompagné. 

"De leur côté, le Rectorat et les quatre Directions des services départementaux de l'Education nationale (DSDEN) de l'académie de Reims accueillent évidemment régulièrement des élèves de 3e en fonction des demandes leur parvenant", ajoute le rectorat de l'académie de Reims. 

Depuis 2024, un autre stage en fin de seconde a été instauré pour l’ensemble des élèves de seconde générale et technologique. Mais les enjeux liés à la recherche et au choix du stage y sont exacerbés, avec une rude mise en compétition des élèves, puisque tous doivent effectuer leur stage sur la même période. 

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