L'annonce, en novembre 2024, de la fin de l'activité sur le site de transformation d'Arcelor Mittal de Reims, Bertrand Baudelot a beaucoup de mal à l'accepter. Ce chef de ligne de 59 ans devrait recevoir sa lettre de licenciement, en avril 2025 et une "misère" en guise d'indemnité, après 34 ans de travail.
Le quotidien de Bertrand Baudelot, salarié d'Arcelor Mittal à Reims depuis 1991, a bien changé depuis fin novembre 2024. Le "bleu de travail" est toujours de rigueur, mais le site de Reims est en grève. La R25, la machine à découper des bandes d'acier, ne fonctionne plus. La grève, la seule réponse faite à la direction du groupe Arcelor Mittal, depuis l'annonce de la fermeture de la société, en juin 2025.
" Ça m'a fait l'effet d'une bombe atomique. On savait que ça se passait mal, que ça allait fermer, mais on n'était pas préparé. On n'avait pas d'échéance. On fait quand même attention à ce qu'on fait, quand on sait qu'on sera licencié! ".
"On a tout donné à Mittal"
Les ouvriers de l'atelier rémois - ils sont une centaine - avaient bien ressenti une nette baisse de l'activité. Ils ne voyaient même plus leurs clients. C'était avant de savoir que ces derniers s'approvisionnaient sur un autre site du groupe, à Bruyères-sur-Oise (Val d'Oise). Et pourtant, c'est à Reims que l'essentiel de l'activité de parachèvement des bobines d'acier était concentré.
Depuis que la fermeture du site de Reims a été rendue publique, le 19 novembre 2024, les salariés savent que les trois machines qui faisaient tourner l'atelier partiront; une, à Bruyères-sur-Oise, les deux autres, hors de l'hexagone.
" On n'a jamais posé de problème à Mittal. On leur a tout donné. Quand il y avait des coups de bourre, on travaillait une ou deux heures en plus, et le samedi après-midi. On était des bosseurs; on répondait présent; on avait un savoir-faire. La moyenne d'âge, ici, c'est 53 ans ".
On était des bosseurs, on répondait présent, on avait un savoir-faire
Bertrand BaudelotSalarié d'Arcelor Mittal à Reims depuis 1991
Bertrand Baudelot en parle déjà au passé. Il est résigné, et amer. Il devait officiellement prendre sa retraite en juin 2029. Il a fait ses débuts en 1991, à l'emballage des paquets à Eurinter une filiale de la PUM (qui a précédé Arcelor).
Il devient ensuite conducteur de quatre machines. Il a vécu le transfert d'activité dans le secteur de Colbert Nord à Reims, puis, il y a trois ans et demi, la fermeture de Colbert Nord. À chaque déménagement, des machines en moins. Il a aussi vécu le rachat de la PUM par Arcelor Mittal.
"Par rapport aux bénéfices du groupe, c'est une misère"
À Colbert sud, le site, sur lequel il travaille aujourd'hui, comme chef de ligne, il aurait pu être formé sur de nouvelles machines. Mais il a refusé. Il ne voulait pas prendre la place des jeunes. Ces derniers ne demandaient qu'à apprendre. " Ce sont eux l'avenir, pas moi ! "
C'est d'ailleurs pour eux, qu'il s'inquiète aujourd'hui. Les premières lettres de licenciement vont arriver au mois d'avril 2025. Lui, l'ancien, va tenter de les convaincre d'accepter les dernières propositions du groupe. Le site va de toute manière fermer au mois de juin. Il ne prendra pas, pour sa part, le risque de refuser la dernière offre d'indemnité supra légale. Sinon, ce pourrait être rien du tout. Car rien n'oblige l'entreprise à la verser.
D'après la dernière négociation, Bertrand Baudelot pourrait bénéficier de 500 euros par année de travail, soit 17 000 euros. Ce qui paraît bien dérisoire, au regard de ses 34 ans d'ancienneté. Et comment s'expliquer que pour moins de 10 ans de travail, elle atteigne 2000 euros. "Incompréhensible!
On en a discuté. On n'est pas obligé d'accepter ça. Mais on a les mains liées. Ils n'ont aucune reconnaissance pour ceux qui ont leur donné leur vie. Par rapport aux bénéfices du groupe, c'est une misère ".
"Je n'y crois toujours pas"
Tout ce qu'espère Bertrand, c'est obtenir 1 500 euros d'indemnité supra légale. La dernière proposition des syndicats. Mais il a peu d'espoir. " Que je fasse trois mois de plus ou de moins, je ne gagnerai pas plus. Ce seront les mêmes conditions. Je ne me vois pas aller bosser sur le site jusqu'en juin, à ne rien faire. Huit heures, c'est long! "
Son quotidien, depuis le début de la grève: " on discute, on va dans les ateliers, on joue aux fléchettes; moi je me promène le long du canal, je rends visite à mes collègues, dans les bureaux. Je n'y crois toujours pas. Ce sont mes années de carrière qui défilent. Je revois Eurinter, Colbert Nord. Je revois les machines, les gens avec qui j'ai travaillé. C'était la PUM! On n'accepte pas que nos machines partent donner du travail ailleurs".
C'est choquant, usant moralement, j'en fais même des cauchemars ".
Bertrand Baudelot aura, longtemps, la rancune tenace. Au point de faire des détours pour ne plus passer devant le site Arcelor Mittal.