Un jeudi noir aussi pour les professeurs. 70% d’entre eux dans le primaire pourraient faire grève ce jeudi 19 janvier, selon le Snuipp-FSU. Avec eux, les enseignants du second degré manifesteront également contre la réforme des retraites. Témoignages dans la Marne.
Directrice d’école, mais aussi gréviste. Ce jeudi 19 janvier, Angélique Pielach à la tête de l’établissement Jean d’Aulan à Reims (Marne), rejoindra le cortège de manifestants pour dire non à la réforme des retraites présentée par la Première ministre, Elisabeth Borne. Elle conteste le report de deux ans de l’âge de départ à la retraite. "A 64 ans, on risque d’avoir des enseignants en bien moins bonne forme. Alors, est-ce qu’on peut parler de progrès social ? Je ne suis pas vraiment certaine", sourcille l’institutrice de 47 ans, aussi représentante du syndicat SNUipp-FSU de la Marne (premier syndicat dans les écoles maternelles et élémentaires).
"On exerce un métier très exigeant en termes d’investissement et d’énergie. Une exigence qu’il est difficile d’assurer à plus de 60 ans", explique Angélique Pielach la directrice d’école qui enseigne en classe de CP. Un métier également à haut niveau de risques psycho-sociaux, poursuit–elle : "On travaille avec des enfants qui peuvent avoir des problèmes comportementaux. Avec l’âge, on a moins de force physique, donc des réflexes corporels moins vifs. Imaginez par exemple courir après un élève qui s’échappe à 64 ans…", illustre Angélique Pielach.
"À 64 ans, l'expérience oui, la forme physique, non"
Comme elle, Yohan Odivart, enseignant en histoire et géographie au collège Robert Schuman, à Reims, pointe du doigt la question de la pénibilité. "Lorsqu’on est enseignant, donner cours pendant une heure devant trente élèves demande une forte concentration. On est à la fois responsable d’eux, mais également de l’enseignement. A 64 ans, c’est sûr que j’aurai l’expérience. La forme physique, j’en suis moins convaincu", témoigne-t-il. Lui aussi sera vent debout aujourd'hui contre la réforme et ne fera pas classe à ses élèves.
Outre la pénibilité, c’est aussi l’écart générationnel qui risque de se creuser un peu plus entre les professeurs et leurs élèves, pour la professeure Célia Vollondat du lycée Franklin Roosevelt, à Reims. "On perd de l’énergie avec l'âge. Mais en perdant cette énergie, on perd aussi notre public, c'est-à-dire nos élèves. Je ne pense pas que ce soit profitable ni pour eux, ni pour nous", conclue-t-elle.
Des contraintes financières
Âgée de 49 ans, Célia Vollondat ne conçoit pas non plus un départ à la retraite repoussé de deux ans. "Je le vis comme une injustice. A 62 ans, mes collègues partent déjà avec des pensions incomplètes. Cette réforme va encore plus nous appauvrir ", appuie la professeure qui enseigne le français en classe de seconde et première STMG (sciences et technologies du management et de la gestion).
Un problème financier que soulève aussi Yohan Odivart. "Quand j’ai été recruté par l’Education nationale, c’était en 2006, j’avais 25 ans. A ce moment-là, le départ à la retraite était vers 60 ans. Aujourd’hui, si j’arrive à partir à 64 ans, ce serait déjà presque une bonne nouvelle", ironise l’enseignant de 41 ans aussi secrétaire académique du SNES-FSU (Syndicat national des enseignements de second degré). Car s’il prend sa retraite à 64 ans, l'enseignant en histoire et géographie explique que ce sera avec une forte décote, soit pas de taux plein. "Financièrement, je serai obligé de partir plus tard. Et je ne sais pas dans quel état je serai", continue Yohan Odivart, avec une pointe d'ironie dans la voix.
L'autre problème pour lui, c'est que le départ à 64 ans devienne une obligation "Des collègues performants à cet âge-là, bien sûr il y en aura. Mais si certains sont plus fragiles, ils devront tenir le choc sans se poser la question de leur santé", termine Yohan Odivart, encore en milieu de carrière. Après avoir observé ses collègues, Célia Vollondat demande aujourd’hui un retour de la retraite à 60 ans. "Les fins de carrière étaient moins difficiles. A 55 ans, ils se disaient qu’il leur restait plus que 5 ans, que la fin était proche. Alors imaginez leur dire qu’il leur faut tenir presque 10 ans de plus", continue Célia Vollondat, également secrétaire académique du syndicat SNES-FSU Reims.
Ras-le-bol général
Le mot d’ordre ce jeudi 19 janvier, c’est donc la réforme des retraites. Mais pas uniquement, pour Yohan Odivart. A sa protestation contre le projet de loi s’ajoutent d’autres revendications. " Cette année en salle des profs, j’entends les enseignants se demander comment ils vont payer leurs factures. Cette dégradation de la qualité de vie se répercute sur la qualité de l’enseignement. On sent un ras le bol général et cette réforme ne vient rien arranger", soupire le professeur du collège rémois Robert Schuman.
Mais ce sont aussi d'autres paramètres qu'il faut prendre en compte, pour lui. "Avec cette réforme, on demande plus d’efforts aux enseignants. Mais en face : pas d’augmentation de salaires, une baisse des recrutements, des suppressions de postes, des classes de plus en plus chargées. Quel que soit la motivation de l’enseignant, je doute qu’avec toutes ces contraintes on soit encore en bonne forme à 64 ans", poursuit-il.
Quel que soit la motivation de l’enseignant, je doute qu’avec toutes ces contraintes on soit encore en bonne forme à 64 ans.
Yohan Odivartenseignant à Reims
Et d'ajouter : "Or, en enseignant jusqu’à 64 ans devant des classes de plus en plus nombreuses, il est fort probable que mes collègues se fatiguent davantage et s’arrêtent pour raisons thérapeutiques. Ce n'est plus le déficit des retraites que l'on va creuser, mais celui de la sécurité sociale". Car pour le gouvernement, si le système des retraites ne peut plus fonctionner aujourd’hui c’est parce qu’il y aurait plus de retraités que d’actifs, du fait que l’on vive plus longtemps. Il faudrait donc cette réforme pour équilibrer un système désormais déficitaire.
Le 19 janvier, ce n’est pas tant l’inquiétude que la colère qui amène la professeure de lycée Célia Vollondat à sortir dans les rues de Reims. "C’est absurde de nier des évidences. Le secteur peine à recruter, les enseignants quittent la profession. Comme si tout allait s’arranger en allongeant les carrières…", lâche-t-elle, dans un dernier soupir.