Les admirateurs du photographe Gérard Rondeau, originaire de Champagne, veulent installer à Reims un espace dédié à l'art photographique et aux clichés de cet amoureux de la terre champenoise. Son ami Jean-Paul Kauffmann et son fils Emmanuel Rondeau exposent ce projet.
Vous avez sans doute vu un jour, l’un de ses portraits, d'anonyme ou de gens célèbres dans la presse ou sur une affiche, voire sur une couverture de livre, moins sur Instagram. Même si vous n'êtes pas spécialiste de la photographie, même si le nom de Gérard Rondeau de vous dit rien. Ce photographe né dans la Marne en 1953, héritier de Cartier-Bresson, contemporain de Raymond Depardon, était un amoureux du noir et blanc, du visage et des paysages. Il a illustré les portraits du journal Le Monde pendant plus de vingt ans.
Le frère de l'académicien Daniel Rondeau, est surtout un observateur silencieux de la Champagne, qu'il a arpentée de long en large, recherchant l'insolite et le détail que personne ne voyait, derrière son objectif. Depuis sa disparition en 2016, sa famille et ses amis caressent l’idée de faire revivre son oeuvre immense, dans sa région de coeur, à Reims. A travers un lieu dédié, où ses milliers de photos seraient à la portée de tous. Des photos réalisées en argentique, en chair et en os. Bien loin de celles --numériques- qui inondent nos smartphones et qu'on oublie bien vite.
Profitant de l’ambition de faire de Reims la "capitale de la culture en 2028", les porteurs du projet mènent campagne de manière active en cette fin d'année 2021. Nous rencontrons à Reims son fils, Emmanuel Rondeau et Jean-Paul Kauffmann, écrivain, ancien otage et surtout ami du photographe Gérard Rondeau, avec lequel il a remonté la Marne entre autres, pour en tirer un livre en 2013. Aujourd’hui, tous deux accélèrent le processus, interpellent les mécènes et les élus. Le projet de musée Gérard Rondeau et d’un espace dédié à la photographie est lancé et fédère dans la cité des sacres.
"Champenois universel"
Pour Jean-Paul Kauffmann, il s’agit de mettre en valeur l’oeuvre "d’un homme qui a contribué à faire évoluer les champenois sur le regard qu’ils portent sur leur environnement. Pour moi Gérard Rondeau est un champenois universel. Il a parcouru le monde à travers ses reportages, mais il est ancré en champagne. Gérard Rondeau incarnait cette ironie pétillante. Mais aussi une certaine austérité, le dépouillement. C’était quelqu'un qui ne se livrait pas d’emblée". A l’image de sa discrète région.
Parmi ses photos célèbres, la préférée de Kauffmann est celle de la cathédrale de Reims dans un ciel rempli d’étourneaux. Prise à la volée. Gérard Rondeau aimait photographier l’instant, raconte son fils. « Il avait toujours un Leica dans sa veste, il le sortait au dernier moment, ne voulait pas être vu. Des photos naturelles ». Portraits, paysages, le témoignage d'une époque.
Un espace vivant
Ce projet de lieu d'exposition, public ou privé, tous les deux l’imaginent vivant, avec un espace permanent, rempli du fond de Gérard Rondeau, mais aussi un lieu de rencontre, de réflexion sur la photographie. Le ministère de la Culture (et même Jack Lang, l’ancien ministre), la mairie de Reims, la région Grand Est se sont montrées intéressés, nous confie Emmanuel Rondeau. Plusieurs partenaires locaux dans le monde du champagne ont fait part de leur volonté d’accompagner l'idée. Reste à trouver le lieu adapté à l'ambition, à portée de touristes. "Et puis un espace comme ça, ça n’existe pas dans la région", rappelle Emmanuel Rondeau, tout comme sa soeur Marine, qui dirige l’atelier de vitrail Simon-Marcq à Reims, bientôt ouvert au public.
Ci-dessous, une photo du dessinateur Cabu natif de Châlons, prise par Gérard Rondeau.
Gérard Rondeau a exposé à peu près partout. De l'Île Maurice à Djakarta, de Berlin à Paris, de Reims à New York. La liste est très longue, elle dit l'universalité d'une image réussie. "A la fois sombre et gai, il n'était pas optimiste sur la nature humaine, mais il aimait raconter ce monde", se souvient son fils. "Il voyait autrement que nous, selon Jean-Paul Kauffmann. Quand on remontait la Marne, je lui disais : regarde, là, c'est peut être une belle photo ? Il me regardait d'un air dédaigneux, semblant me dire que j'avais faux". Lui voyait ailleurs, au-delà.
On lui doit les images du Chemin des Dames, de Sarajevo, mais aussi de terrains vagues, de gitans, de la Marne, de la révolte des vignerons. Attaché à cette oeuvre unique en son genre, Jean-Paul Kauffmann insiste sur l'aspect historique du travail de ce photographe marnais. "Rondeau nous a donné toutes les cartes en main pour ouvrir les yeux et révéler ce qui était vu sans être regardé. Cette multitude d'éléments qu'il importe à chacun de nous de découvrir, c'est cela qui fera sens. Seulement c'est à nous de faire l'effort. A nous de conférer à cette photo sa profondeur". Cela s'appelle la transmission du patrimoine. Un espace dédié devrait faciliter les choses.