Suivie depuis Nancy, la sonde Chinoise Chang'e 5 s'est posée sur la lune : "les premières images sont sublimes"

La sonde s'est posée mardi 1er décembre. C’est la 2e mission lunaire chinoise à laquelle participe Jessica Flahaut du CRPG/CNRS/Université de Lorraine. Après avoir assisté à son lancement le 23 novembre, depuis chez elle, à Nancy, Jessica a suivi en direct le poser de la sonde.

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La sonde Chang’e5 a été propulsée "avec succès" par une fusée Longue-Marche 5, lundi 23 novembre 2020, à 04h30 heure locale en Chine, à 21h30 (heure française) depuis le centre spatial de Wenchang, sur l'île de Hainan, selon l'Agence Spatiale Chinoise (CNSA).
Elle s'est posée comme prévu mardi 1er décembre a indiqué l’agence de presse officielle Chine nouvelle. Depuis Nancy où elle a suivi en direct les opérations d'alunissage, Jessica Flahaut, chargée de recherche CNRS, géologue martienne et lunaire à Nancy (CRPG/CNRS/Université de Lorraine) est enthousiaste.

Jointe ce mercredi matin, elle explique qu'elle a trouvé sublimes les premières images arrivées de la lune et qu'elles a pu voir dans le flux de direct proposé par CGTN.
"Apparemment les prélèvements se sont bien déroulés cette nuit", explique la chercheuse nancéienne. "Le forage a fini vers 4h du matin -heure française- et ils se sont attaqués aux prélèvements de surface avec le bras robotisé/ la pelle. Si j'ai bien compris, les échantillons seront expédiés très bientôt (avant les heures les plus chaudes du jour lunaire, pour éviter tout dommage mécanique), et (devraient être, ndlr) de retour sur terre dans les 15 jours à venir."

Nancy en 1ère ligne

Confinement oblige, Le 23 novembre, Jessica Flahaut était avec d’autres chercheurs du laboratoire, mais chacun chez soi. "J’avais trois fenêtres ouvertes en même temps sur mon ordinateur : une sur un site en direct en Chine, une autre vers une traduction en anglais et une troisième sur le serveur de l’équipe. Nous étions tous excités. Une fois que la sonde est partie, on a poussé des cris de victoire, mais avec des GIF animés. On a suivi en temps réel chaque étape et on a vu les étages de la fusée se séparer. À chaque étage qui tombait, on envoyait un petit GIF animé."

J'ai travaillé sur Chang’e 5 bien avant Chang’e 4.

Jessica Flahaut, chargée de recherche CNRS. Géologue martienne et lunaire à Nancy (CRPG/CNRS)

Il faut dire que les scientifiques du CRPG n’en sont pas à leur première collaboration avec l’Agence spatiale chinoise.  Jessica Flahaut a participé à l’étude du site de la mission Change’4. 
"En fait, j’ai travaillé sur Chang’e 5 bien avant Chang’e 4. C’est la mission qui m’a permis de lancer la collaboration avec les Chinois. Ils avaient vu, lors d’une conférence, à Pékin, le travail que je faisais sur le traitement et l’analyse des données satellites. Ils m’ont invitée à les rejoindre pour étudier la situation du site d’atterrissage de Chang’e 5 dans un premier temps, puis de  Chang’e 4.".

J’avais travaillé sur une grande région de 600 par 150 km qu’ils avaient prédéfinie pour l’alunissage.

Jessica Flahaut, chargée de recherche CNRS. Géologue martienne et lunaire à Nancy (CRPG/CNRS)


2 kilos de roches jamais échantillonnées

"On a fait des propositions de lieux à viser", explique la chercheuse nancéienne. "Pour la Lune comme pour Mars, l’Agence Spatiale Chinoise préfère une région large. Ils ne donnent pas une cible précise. C’est leur façon de fonctionner. Cela mettrait trop de pression sur les ingénieurs. Pour Chang’e 5, nous leur avons proposé de viser la partie Est d’une mer lunaire de l’océan des tempêtes, sur la face visible. On leur a fait une liste de tout ce qu’il y avait d’intéressant à échantillonner à cet endroit. Dans cette partie Est, on a vu aussi des dômes volcaniques très intéressants avec des roches riches en silice jamais échantillonnées. Nous leur avons proposé d’essayer de se rapprocher au maximum de ces dômes en espérant pouvoir ramasser des petits morceaux. Contrairement à Chang’e 4,  Chang’e 5 n’est pas un robot. Il ne pourra pas se déplacer à la surface. Des échantillons de cette mer lunaire jeune pourraient déjà nous apporter beaucoup d’informations. Si en plus, on peut avoir des fragments de ces dômes, ce serait génial".

Les Chinois prévoient de rapporter 2 kg de roches.
"Ils ont deux façons de prélever. La sonde est équipée d’un bras robotisé avec une pelle au bout pour prélever à la surface. Mais, ce qui est assez exceptionnel, c’est qu’il a aussi un système de forage. Il devrait pouvoir faire des carottes jusqu’à 2 mètres de profondeur. Nous avons au laboratoire des chercheurs, Bernard Marty et Evelyn Füri  qui étudient les traces du vent solaire dans le régolithe (fine poussière à la surface) lunaire. Ils pourraient avoir une carotte qui va faire plusieurs dizaines de centimètres, qui leur donnerait accès à toutes les couches anciennes de régolithes qui sont maintenant enfouies. Elles ont été, il y a très longtemps, à la surface. Potentiellement, cela pourrait être comme un enregistrement des vents solaires et de tous les événements intergalactiques sur plusieurs milliers d’années. Dans un premier temps, les échantillons seront analysés en Chine. Il faudra aller sur place. Mais on espère pouvoir en faire venir au laboratoire".

Jessica Flahaut a travaillé à la caractérisation scientifique.
"Ce qui signifie que j’ai regardé toutes les données satellites qu’on a sur cette grande région. J’ai essayé de comprendre son histoire géologique. Puis, j’ai essayé de trouver dans cette grande zone les endroits les plus intéressants pour poser la sonde. C’est un périmètre assez large de 600 km par 130 km. La zone qui a été définie était sécurisée pour l'atterrissage. Une mer lunaire est quelque chose d’assez plat. Le choix de la face visible permet d’assurer une communication en direct avec la terre".

"Dans l’article scientifique écrit avec nos homologues Chinois nous nous sommes concentrés sur l’Est. La partie Ouest est plus ancienne, très typique de ce qui a déjà été visité par Apollo et Luna. L’idée était de chercher des choses nouvelles. À l’Est, cette mer très jeune c’est du jamais vu. Son âge est estimé à 1,2 milliard d’années. Pour l’instant tout ce qui a été rapporté par Apollo et Luna avait entre 3,5 et 4 milliards d’années. La plupart des mers lunaires ont entre 3,6 et 3,8 milliards d’années. 1,2 milliard d’années, c’est très atypique sur la Lune. On ne comprend pas trop pourquoi il y avait encore du volcanisme à cette époque. Des échantillons pourraient nous renseigner sur l’activité interne de la lune. Comment elle se refroidit au cours du temps ; son évolution thermique ; pourquoi il y a encore des poches de magma à 1,2 milliard d’années.

La Lune, une pierre de Rosette

La lune sert de référence pour estimer l’âge des surfaces dans le système Solaire. 
C’est un peu la pierre de Rosette pour comprendre notre système solaire. "C’est grâce à la lune qu’on peut comprendre comment s’est formée la Terre. Notamment, en ayant rapporté certains échantillons (missions Apollo) comme l'anorthosite. On a compris qu’au début de leur histoire, toutes les grosses planètes rocheuses étaient recouvertes d’un océan de magma. Ensuite, l’océan de magma refroidit et les choses lourdes comme les métaux tombent au fond de cet océan et forment un noyau métallique. Les 'objets' plus légers flottent et finissent par former une croûte rocheuse à la surface des planètes. Tout cela, on l’a appris grâce à la lune. C’est un modèle de formation et de différenciation qu’on applique maintenant à la Terre, à Mars, à Mercure, etc."

3 bonnes raisons pour ce site 

Il y a l’aspect "jeunesse" de ces dépôts volcaniques et évolution thermique de la Lune ; l’aspect datation et pour Jessica une troisième bonne raison de choisir ce site : la composition qui est un peu différente des mers échantillonnées jusque-là. "Depuis l’orbite, on mesure des compositions intermédiaires en titane et en fer. Jusque-là, ce qu’avait rapporté Apollo, par exemple, était des roches volcaniques très pauvres ou très riches. Là, on vient compléter la collection d’échantillons avec des compositions un peu différentes.
Jessica Flahaut précise : "Les mers lunaires ne représentent que 17 % de la surface de la lune. On se pose à cet endroit, car ce sont des grandes plaines volcaniques bien lisses. C’est plus facile. Alors que 83 % de la surface de la lune est constituée ce qu’on appelle des terres, des hauts plateaux cratérisés, des terrains un peu trop accidentés pour manœuvrer une sonde". 

J’ai l’espoir que les échantillons arrivent sur Terre dans un mois ou deux.

Jessica Flahaut, chargée de recherche CNRS. Géologue martienne et lunaire à Nancy (CRPG/CNRS)

Un jour lunaire

Il faut quelques jours pour aller vers la Lune. Ensuite, Chang’e 5 peut rester en orbite encore quelques jours. Le temps d’attendre le bon moment. Les scientifiques chinois peuvent même la laisser un ou deux mois en orbite si nécessaire. Pour Chang’e 4, ils avaient attendu plusieurs semaines. Une fois posée, la sonde aura 14 jours terrestres pour travailler. "J’ai l’espoir que les échantillons arrivent sur Terre dans un mois ou deux."
Chang’e4, le robot est toujours sur place sur la face cachée de la lune. Lui, ne rapportera pas d’échantillons, mais Jessica Flahaut et les chercheurs du CRPG/ CNRS travaillent avec leurs homologues chinois sur toutes les données. 
 

 Chang’e 6, le Pôle Sud de la Lune

Si Chang’e 5 se passe bien, Chang’e 6 va aller plus près du pôle Sud ou sur la face cachée pour un retour d’échantillons également. Car Chang’e 6 est en réalité la copie de Chang’e 5. 
"Les Chinois développent toutes leurs missions en double. Si jamais une mission a un problème, ils peuvent rebondir rapidement et envoyer la mission suivante au même endroit. Si cela se passe bien, ils pourront envoyer une nouvelle mission ailleurs et pourront se risquer à chercher à échantillonner d’autres pierres." Chang’e 6 ira probablement à proximité du pôle Sud de la Lune à horizon 2023/2024".

Un partenariat universitaire

"L'Université de Lorraine a signé un partenariat avec un laboratoire à Pékin spécialisé dans l’analyse d’échantillons : un LIA (laboratoire international associé) géré par Bernard Marty et Evelyn Füri Un accord qui permettra de travailler sur des échantillons extraterrestres, et on espère en particulier les échantillons de la mission chang’e 5. On a aussi signé un jumelage entre l’Université de Lorraine et l’Université chinoise de Wuhan avec qui on travaille beaucoup. Un partenariat appelé 'MoU' (Memorandum of Understanding) pour travailler sur les sites d'alunissage. Et sur l’analyse des données des robots ainsi que sur la géologie lunaire et martienne en général. Ils m’ont aussi demandé de travailler avec eux sur le site martien sur lequel ils prévoient de se poser au mois de février 2021."




 
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