Notre-Dame : le temps des cathédrales à l’heure de la science

Les secrets des mortiers médiévaux de la cathédrale Notre-Dame de Paris sont enfin révélés grâce aux travaux des scientifiques, dont des chercheurs de Nancy, en Meurthe-et-Moselle. Une enquête scientifique qui éclaire d'un jour nouveau les méthodes des bâtisseurs du Moyen Âge.

L'essentiel du jour : notre sélection exclusive
Chaque jour, notre rédaction vous réserve le meilleur de l'info régionale. Une sélection rien que pour vous, pour rester en lien avec vos régions.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "L'essentiel du jour : notre sélection exclusive". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

"Très fier et ravi" de faire partie des équipes de scientifiques œuvrant sur ce chantier d'exception, ce sont les premiers mots de Jean-Michel Mechling, Professeur à l'Université de Lorraine et chercheur à l’Institut Jean Lamour (UMR CNRS), Département Génie civil de l’IUT de Nancy-Brabois, avant d’ajouter "mais ce n’est pas encore terminé. D’ailleurs, on espère y retourner pour faire quelques prélèvements complémentaires."
Il s’agit d’une véritable enquête scientifique à laquelle des chercheurs de Nancy ont contribué avec le groupe "Pierre" du CNRS. Leur mission : découvrir la recette des mortiers utilisés sur la cathédrale par les bâtisseurs du Moyen Âge.
Alors que la réouverture au public, de Notre-Dame de Paris est officielle depuis ce samedi 7 décembre, le chantier, quant à lui, se poursuit, tout comme celui des scientifiques appelés au chevet de Notre-Dame après l’incendie de 2019.

Nous les avions rencontrés dans le laboratoire de l’Institut Jean Lamour de Nancy au printemps 2021. Ils travaillaient alors sur une trentaine d’échantillons qu’ils avaient prélevés au cœur de Notre-Dame. Leur mission consistait à caractériser le mortier utilisé par les bâtisseurs afin de fournir aux architectes des informations permettant de se rapprocher au plus près de la composition initiale. Depuis, ce sont 250 échantillons qui ont été analysés. Parmi diverses communications dans des colloques, un premier article scientifique a été publié, et un autre est prévu dans quelques jours dans le Bulletin Monumental de la Société française d’archéologie.

La recette du mortier du Moyen Âge

Dans leur article, les chercheurs indiquent : "L’étude des mortiers des voûtes à Notre-Dame de Paris montre, en premier lieu, qu’à côté de mortiers à base de plâtre, utilisés de manière marginale et surtout pour reboucher des encoches dans les arcs de la nef, les arcs et les voûtains sont montés avec des mortiers de chaux qui présentent une assez faible variabilité. Ils s’inscrivent dans la typologie générale des mortiers de la cathédrale. […]

La reconstitution expérimentale d’un mortier « équivalent », proche de la formulation des mortiers des voûtes du chevet, révèle que ce mortier présente une maniabilité plastique à l’état frais, et qu’il durcit très vite lorsqu’il est mis en œuvre. Une étude expérimentale en cours devrait permettre d’appréhender la montée des résistances en compression au cours du temps […] D’ores et déjà, l’expérience contredit l’idée d’un durcissement lent des mortiers médiévaux et conduit à envisager la possibilité que les voûtes aient été susceptibles d’être décintrées en peu de temps."

La composition du "mortier équivalent" aux mortiers médiévaux de l'un des arcs de la cathédrale a été sélectionnée par les Architectes en Chef des Monuments Historiques, notamment Pascal Prunet, pour reconstruire les voûtes de Notre-Dame de Paris. Il s'agit de l'une des contributions de la recherche lorraine (Université de Lorraine ; Institut Jean Lamour et département "Génie Civil - Construction Durable" de l'IUT de Nancy-Brabois) à la reconstruction de Notre-Dame de Paris.

Les secrets révélés par des technologies modernes

Depuis 2021, les scientifiques ont effectué d'autres prélèvements. "On a fait pas mal de prélèvements en fait dans les voûtes de la cathédrale. On en avait déjà au niveau du chœur en 2021 et là depuis on en a prélevé pas mal au niveau des voûtes de la nef. On a fait pas mal de prélèvements dans des poteaux qui sont au niveau du chœur."
De nombreuses analyses ont été réalisées grâce à des moyens techniques avancés : diffraction des rayons X, fluorescence des rayons X, et tomographie aux rayons X, qui est en fait un scanner.

"On fait de l’analyse grâce à du "deep learning" pour déterminer les proportions du mélange dans les différents mortiers. C’est toujours en cours, nous en sommes à 70 échantillons sur les 250. Cela donne des montagnes de données que l’on traite avec des outils mathématiques. À l'automne 2021, on a fait en fait un clone de mortier de la cathédrale de Paris. Pour fabriquer ce clone, on a récupéré un sable de la Seine. On a quand même utilisé une chaux moderne. Ce clone nous permet de voir à quoi pouvait ressembler le mortier à l'état frais au Moyen Âge. Cela nous aide à comprendre comment il pouvait tenir en place. Il permet aussi de voir si cela colle avec les observations que nous avons faites sur place."

Le temps des cathédrales

Cette étude scientifique inédite a permis à ces chercheurs de collaborer, tout comme les autres corps de métier, créant ainsi une émulation et des opportunités de rencontres. L’aventure scientifique se poursuivra avec un groupe d’une trentaine de chercheurs issus de ces rencontres. Un autre projet a vu le jour après celui de Notre-Dame de Paris : ALTIOR, financé par l'Agence nationale de la recherche (ANR), qui vise à comprendre comment, à partir des voûtes de Notre-Dame de Paris, il a été possible de construire des cathédrales aux voûtes de plus en plus hautes, jusqu'à celle d'Amiens.

"On travaille désormais sur d’autres cathédrales, celle de Chartres ou encore celle de Reims. On essaie de comprendre comment on est passé de 32m de haut pour les voûtes de Notre-Dame à plus haut, 37,5m pour celle de Chartres, 42,30m pour celle d’Amiens. Pour cela, on travaille avec des collègues du laboratoire I2M de l'Université Bordeaux qui font de la modélisation grâce à des modèles mathématiques complexes. On essaie de comprendre comment la cathédrale bouge, comment elle travaille en prenant en compte les matériaux et la façon dont ils vont durcir. Pour cela, on a besoin de connaître l’évolution des propriétés du mortier dans le temps.

Le clone va nous permettre de déterminer à quelle vitesse il monte en résistance. Dans le cas où il ne monterait pas trop vite en résistance, cela indique qu’il ne faut pas construire trop vite. On cherche aussi à savoir comment le mortier se déforme quand on le charge. Le comportement général du mur est en partie tributaire de la déformation du mortier à différents âges. On travaille avec des sociétés qui développent des logiciels et des "caméras très hautes vitesses" pour faire cela numériquement."

Sur les traces des tailleurs de pierres 

Cédric Moulis, Ingénieur de recherche en archéologie médiévale au Pôle Archéologique Universitaire (Université de Lorraine), a, lui aussi, participé à cette grande aventure scientifique. Il a réalisé "un inventaire des signes lapidaires présents un peu partout dans la cathédrale, qui permet d'apporter un faisceau supplémentaire d'indices au phasage de la construction de l'édifice, en corroborant ces résultats à ceux obtenus par l'étude des traces d'outils et des agrafes métalliques."

Ces signes lapidaires sont des marques laissées sur la pierre par des hommes qui ont travaillé sur Notre-Dame au cours du temps : "signature de tailleurs de pierres ; marques de montage, de hauteur d’assises ou de localisation." L’inventaire a permis de mettre au jour 571 marques "recensées comme étant des signes lapidaires d’identification, correspondant à près de 75 types différents."

Dans son étude, le scientifique en déduit : "Deux outils semblent privilégiés pour la réalisation des signes : le ciseau plat et la pointe sèche." Ces signes lapidaires et leur interprétation permettent de lire sur la pierre l’évolution du chantier de construction au cours du temps.

Un livre pour l'Histoire 

Le chantier a été mené à bien en un temps record de cinq ans. Les vastes quantités de données recueillies par les chercheurs ne sont pas encore entièrement traitées. Jean-Michel Mechling et Cédric Moulis estiment que cela sera achevé au cours de l’année 2025.

Les scientifiques envisagent également la publication d’un ouvrage qui synthétiserait l’ensemble des recherches sur les pierres et les mortiers en lien avec ce chantier exceptionnel. Jean-Michel Mechling travaille également sur la cathédrale de Strasbourg, notamment sur le mortier.

Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Veuillez choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité
Je veux en savoir plus sur
le sujet
Veuillez choisir une région
en region
Veuillez choisir une région
sélectionner une région ou un sujet pour confirmer
Toute l'information