Histoire et art en temps de guerre : la mission de cette association, sauver les fresques des soldats de la ligne Maginot

L'association Ouvrage A5 Bois du Four s'est donnée pour mission de sauver les œuvres peintes par les soldats sur les murs des forts de la ligne Maginot. Menacés de disparition, ces trésors picturaux constituent, pour les historiens, de précieux témoignages sur le quotidien des troupes de forteresse.

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Les bénévoles de l'association Ouvrage A5 Bois du Four ne comptent plus leurs heures passées à remettre le fort dans son état d'origine. Édifié sur le ban de la commune de Villers-la-Montagne (Meurthe-et-Moselle), c'est un des plus gros blocs de béton de la ligne Maginot. L'historien Michael Séramour est le vice-président de l'association. En uniforme de lieutenant des troupes de forteresse, il nous guide ce jeudi 16 janvier 2025 dans les entrailles de l'imposante fortification souterraine.  

L'ouvrage est équipé de mitrailleuses jumelées, d'une tourelle à éclipse de 92 tonnes, d'une batterie de deux mortiers de 81 mm et trois canons antichars de 47 mm. Voilà pour l'armement. Mais ce qui intéresse l'équipe du A5, c'est la vie quotidienne des hommes sous l'énorme carapace de 6.000 m³ de béton armé.

Et cette vie quotidienne perdure dans les traces laissées sur les murs par les soldats des troupes de forteresse : du modeste graffiti à la peinture couvrant un mur entier. L'historien Michael Séramour a fait sa thèse de troisième cycle sur l'art pariétal dans les fortifications françaises et allemandes de la Première et Seconde Guerre mondiale.

Ouvrage A5 Bois du Four. Villers-la-Montagne. © Eric Bertrand/ FranceTélévisions

Des œuvres menacées de disparition

Les ouvrages de la ligne Maginot recèlent des trésors picturaux qui en disent long sur l'état d'esprit des troupes. Plus de 80 ans après leurs réalisations, ces œuvres, oubliées dans l'obscurité des galeries et des mémoires, sont en danger de disparition, explique Michael Séramour : "C'est de la peinture à l'huile, à l'eau ou de la poudre de couleur. Ce sont des compositions très fragiles, car il suffit de poser la main dessus et l'enduit s'effrite". L'association s'est donnée pour mission de sauver un maximum d'œuvres. Avec l'autorisation du Ministère des Armées, ces membres se rendent dans les fortifications encore accessibles.

Le triptyque réalisé par le caporal Louis Brunel et récupéré dans le fort de Molvange. La peinture centrale représente le château de Clisson. Elle est encadrée de deux marines. © Association ouvrage A5

Ainsi, le triptyque réalisé par le caporal Louis Brunel et récupéré dans le fort de Molvange (Moselle). Datée du 19 septembre 1939, elle est la première peinture connue réalisée dans un ouvrage de la ligne Maginot. Elle représente le château de Clisson (Loire-Atlantique). Elle est encadrée de deux marines, sans doute des voiliers sur la Loire. 

Combattre le gris du béton

Les thèmes et les couleurs des peintures détonnent dans l'environnement gris et faiblement éclairé des ouvrages. La hiérarchie voyait d'un bon œil l'apparition de ces expressions pariétales non réglementaires. Paysages naturels et ensoleillés, ces fenêtres fictives ouvrent sur des panoramas idylliques.

Ces témoignages picturaux sont les derniers liens directs que nous ayons avec les équipages et les auteurs de ces peintures. Derrière ces œuvres, il y a des histoires personnelles.

Michael Séramour, historien spécialiste de l'art pariétal de fortifications

Telles des bouffées d'oxygène, elles permettaient de combattre la déprime des hommes emmurés dans leur vaisseau de béton, explique Michael Séramour : "Des artistes se sont révélés tout au long de la ligne Maginot, de Dunkerque jusqu'à Menton et ont réalisé des œuvres avec toutes sortes de thématiques. C'est un mouvement universel et spontané. Ces témoignages picturaux qui nous sont parvenus sont les derniers liens directs que nous ayons avec les équipages et les auteurs de ces peintures. Derrière ces œuvres, il y a des histoires personnelles". 

Prélevée avec d'infinies précautions et restaurée, l'œuvre du caporal Brunel est en lieu sûr. Elle égaie désormais la chambre reconstituée d'un officier supérieur au cœur de l'ouvrage A5. Dans cet univers masculin où la vie se dévide dans un huis clos permanent, la femme, thème souvent représenté, est aussi une promesse de vie et du retour au foyer.

"La jeune fille à la rose". Le visage est celui de la fiancée du peintre-soldat. © Eric Bertrand/ FranceTélévisions

Il faut sauver l'œuvre du soldat Tramond

Récupérer des œuvres peintes sur les murs épais des ouvrages Maginot n'est pas une mince affaire. Ce ne sont pas des tableaux que l'on décroche. Il faut découper les peintures avec le support. Le sauvetage de celle réalisée par la capitaine Jacques Tramond au fort de Flaut (Alpes-Maritimes) menacé d'effondrement tient de l'épopée.

Michael Séramour connaissait son existence. Avec l'autorisation de la base de défense de Draguignan, il se rend au mois de juillet 2024 avec deux bénévoles dans le fort. Arrivés sur place, à 30 mètres sous terre, c'est la surprise : "on l'avait évaluée beaucoup plus petite, un mètre soixante sur un mètre soixante et lorsque nous sommes arrivés, nous avons eu la surprise de la voir d'assez loin, ce qui n'était pas bon signe ! On s'est retrouvé devant une œuvre qui faisait deux mètres trente sur deux mètres trente." Récupérer la fresque n'a pas été facile. Outre ses grandes dimensions, une autre surprise attendait les sauveteurs.

La fresque réalisée par le capitaine Tramond dans la galerie d'origine au fort de Flaut (Alpes-Maritimes) © Association ouvrage A5 Bois du Four.

Une œuvre de trois tonnes

Alors que l'épaisseur des cloisons intérieures des ouvrages Maginot est de quinze centimètres, celle qui supporte l'œuvre du capitaine Tramond est de vingt centimètres : "l'ensemble pèse trois tonnes. Il a fallu découper l'intégralité de la paroi pour la ramener en Lorraine à mille kilomètres de son lieu d'origine. Ce qui est intéressant, c'est qu'elle revient sur les terres natales du capitaine Tramond qui était né à Verdun, à quarante kilomètres d'ici". Il a fallu découper l'œuvre en huit morceaux, les sortir par une petite ouverture puis la reconstituer dans une pièce du fort du Bois du Four à l'identique.

Sauvetage de la peinture murale du capitaine Jacques Tramond dans le fort de Flaut. L'ensemble pèse trois tonnes. © Association ouvrage A5 Bois du Four.

Retrouver les auteurs et leurs familles

Le résultat vaut largement les efforts déployés. Michael Séramour ne se lasse pas de l'admirer : "Pour moi, c'est l'une des plus belles de toute la ligne Maginot. C'est une œuvre solaire, très chaleureuse et colorée. On ne s'attend pas à trouver une telle peinture à trente mètres sous terre". Elle représente une vue plongeante sur une crique verdoyante éclaboussée de soleil. Deux voiliers paressent dans le bleu azur de la Méditerranée. 

L'association Ouvrage A5 Bois du Four ne se contente pas de mettre les œuvres à l'abri. Michael Séramour recherche l'identité des auteurs et leurs familles. Ses recherches biographiques permettent de comprendre les raisons profondes qui ont amené des militaires à s'exprimer sur un mur souvent lugubre.

Le capitaine Tramond a exprimé, dans la pénombre de l'ouvrage de Flaut, le profond amour qu'il voue à son épouse. © Association ouvrage A5 Bois du Four.

Une œuvre intime

Ainsi, l'historien a pu décrypter la symbolique des éléments représentés par le capitaine Tramond, commandant de l'ouvrage de Flaut. Outre le panorama, un blason aux cinq tours, inspiré de celui de Verdun, sa ville de naissance, domine l'ensemble. Plus étonnant, l'artiste a représenté quatre chérubins. L'un d'eux glisse une lettre dans un magnifique bouquet de Fleurs : "c'est la partie intime de l'œuvre, car le capitaine Tramond était très amoureux de son épouse Colette. Il lui envoyait de grands bouquets de fleurs séchées de la vallée de la Vésubie, accompagnés d'une missive d'amour". 84 ans après sa réalisation, cette œuvre sortie des ténèbres grâce à la pugnacité des bénévoles de l'association a provoqué une rencontre inattendue. 

J'ai été stupéfaite, un émerveillement ! Cela m'a donné la sensation d'être près de mon père.

Françoise Hallot-Tramond, la fille cadette du capitaine Jacques Tramond

Quand la fille découvre l'œuvre de son père

Françoise Hallot-Tramond, la fille cadette du capitaine Jacques Tramond, ignorait l'existence de cette peinture. À quatre-vingt-quatre ans, elle a fait le déplacement au fort du Bois du Four. La découverte de l'œuvre a été un choc pour celle qui a peu connu son père, décédé en 1943 : "j'ai été stupéfaite, un émerveillement ! j'ai à peine osé mettre la main dessus pour la toucher. Cela m'a donné la sensation d'être près de mon père. Pourtant, je ne l'ai vu qu'une fois avant qu'il ne décède, par la porte de sa chambre. J'étais dans les bras de maman, j'avais deux ans".

Madame Hallot-Tramond, fille cadette du capitaine Jacques Tramond découvre, 84 ans après sa réalisation, l'œuvre son père. © Pierre-Marie Hallot

Pour Jean-Louis Marchal, Alain Hosdez et Michaël Séramour, les membres de l'association, cette rencontre a aussi été un moment mémorable. Il récompense toute la dépense d'énergie dépensée pour le sauvetage. Retrouver des descendants de la famille Tramond a demandé un long travail de recherche. C'est un cousin éloigné qui a mis Michael Séramour sur la piste de Françoise Hallot-Tramond.

Lors de sa visite à l'ouvrage A5, l'ancienne professeure d'arts plastiques a apprécié l'énorme travail de reconstitution mené par l'association afin de rendre au fort son état d'origine : "c'est magnifique ! comment ne pas être interpellée ! Ce que nous avons visité m'a laissé stupéfaite, pas seulement pour les œuvres pariétales sauvées, mais aussi pour tout ce qui a été reconstitué année après année".

"Des Arcs-en-ciel sous l'uniforme : sur la trace des peintres et dessinateurs des forts de la Grande Guerre et de la ligne Maginot". par Michaël Séramour. © Claude Mangin/ France Télévisions

L'association ambitionne de faire du fort A5 Bois du Four le Conservatoire de la vie quotidienne des troupes de forteresse. En attendant sa concrétisation, il est possible de se plonger dans l'ouvrage de Michaël Séramour : Des Arcs-en-ciel sous l'uniforme : sur la trace des peintres et dessinateurs des forts de la Grande Guerre et de la ligne Maginot.

  

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