Une enquête de Radio France et Le Monde, publiée ce 4 février, révèle comment Nestlé a fait du lobbying au plus haut sommet de l'État pour contourner la réglementation sur les eaux minérales. Dans les Vosges, les élus, eux, craignent pour les 500 emplois.
Une enquête de la cellule investigation de Radio France et "Le Monde" révèle "comment le groupe Nestlé à a convaincu l’État, de l’Élysée à Matignon, de contourner la loi". Des documents inédits permettent de comprendre comment Nestlé a essayé de contourner la réglementation sur les eaux minérales naturelles pour utiliser des filtres non conformes dans ses usines, malgré les risques sanitaires. Cette opération de lobbying a impliqué de nombreuses rencontres entre des responsables de Nestlé et des hauts fonctionnaires, y compris des ministres et des conseillers de l'Élysée.
En 2021, Nestlé a appris qu'une enquête était en cours sur ses pratiques et a cherché à obtenir des dérogations pour continuer à utiliser des filtres non autorisés. Malgré les avertissements des autorités sanitaires, le gouvernement a accordé ces dérogations. Les inspections ultérieures ont révélé des contaminations microbiologiques et chimiques dans les eaux traitées par Nestlé.
Le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) a confirmé les manquements de Nestlé, mais ce rapport est resté confidentiel jusqu'en janvier 2024. Nestlé a continué à exercer des pressions pour obtenir des autorisations, malgré les risques pour la santé publique.
Des prélèvements dans les Vosges
Dans leur enquête nos confrères indiquent : "En novembre 2022, des prélèvements sont enfin effectués sur l’eau brute des captages (avant traitement), par l’Agence régionale de santé (ARS) Grand Est. Les services des ARS ont d’ailleurs le plus grand mal à savoir où et comment prélever de l’eau non traitée. Nestlé ne communique pas les informations nécessaires à la mise en œuvre de ces tests. Ainsi, le 10 novembre, Jérôme Salomon informe par mail les membres du cabinet santé que “Nestlé Waters semble faire une sorte de chantage à l’ARS”. La multinationale “attend un alignement sur ses propositions avant de transmettre la localisation des points de prélèvements d’eau brute en vue de réaliser les contrôles”. En clair, avant de donner accès aux points de prélèvement, “l’industriel attend la position [de l’ARS] sur le maintien des filtres à 0,2”.
Finalement, les tests sont organisés, dans l’usine des Vosges, quelques jours plus tard, le 16 novembre 2022. Le but : déterminer si la microfiltration à 0,2 micron a un impact, ou non, sur la qualité de l’eau. Le principe est simple. L’eau du captage est d’abord testée en amont des procédés de microfiltration, puis en aval. Avant même d’avoir accès aux résultats des tests, la directrice de l’agence régionale, Virginie Cayré fait part de ses inquiétudes au ministère de la Santé : “les informations transmises par l’exploitant sont inquiétantes”."
Interrogé ce mardi 4 février lors d'un déplacement à l'Institut Gustave-Roussy, centre de lutte contre le cancer, Emmanuel Macron a indiqué ne pas être au courant "de ces choses-là". "Il n'y a d'entente avec personne, il n'y a pas de connivence avec qui que ce soit" a assuré le président de la République.
🚨 « Pas d’entente, pas de connivence »
— Cyril Adriaens-Allemand (@cyriladriaens) February 4, 2025
Réaction d’Emmanuel Macron aux révélations de @radiofrance et @lemondefr sur les eaux de @Nestle pic.twitter.com/Z6b9gyHA6V
Des élus vosgiens auditionnés au Sénat
Contacté, le maire de Vittel, Franck Perry, fait valoir son droit de réserve. "Une enquête parlementaire est en cours. Il faut respecter cette enquête. Je me suis exprimé sur l’antenne du Sénat." L’élu évoque la Commission d’enquête eaux en bouteille du Sénat, retransmise sur le site de l'institution.
"Audition commune sur l’écosystème des eaux dans les Vosges avec Laurent Marcos, directeur départemental des territoires des Vosges, Régine Begel, conseillère départementale, présidente de la commission locale de l’eau des Vosges, Luc Gerecke, maire de Contrexéville et Franck Perry, maire de Vittel."
Il a été auditionné le jeudi 30 janvier. Dans cette vidéo, à la question du rapporteur de la commission d’enquête eaux en bouteille, Alexandre Ouzille (50'48) : "Vous avez appris comme nous pour la presse, la tromperie commerciale avec les traitements illégaux ?" Le maire de Vittel répond : "Ce n’est pas normal qu’on apprenne par la presse des agissements de ce type". Le maire de Contrexéville confirme : "Ce fut une sidération pour la population et pour les salariés. Il y a eu fraude. Il est normal qu’il y ait eu sanction". Franck Perry indique aussi à la commission : "On nous a expliqué que tout était en règle depuis plusieurs années. [...] [le procureur d'Epinal] a souligné qu’aucune atteinte à la santé publique n’est à déplorer. Et que le traitement utilisé par le passé n’avait en rien altéré la composition des eaux minérales commercialisées. Je souhaite que cela soit indiqué au procès-verbal." Voici la vidéo :
Lors de notre conversation, le maire de Vittel a aussi tenu à faire une mise au point : "On ne peut pas dire que l’eau n’est pas minérale. Qu’elle est naturelle, on peut discuter. Elle est minérale, car le taux est constant." Il nous expliquera aussi que "500 emplois sont en péril et que "les médias feraient bien d’y réfléchir".