"Un avortement avec des aiguilles à tricoter", ce gynécologue obstétricien raconte ce qui l’a fait changer d’avis sur l’IVG

Au long de sa carrière, le gynécologue obstétricien spinalien Jacques Oréfice a mis au monde plus de 12 000 bébés. Il a aussi pratiqué plus de 2500 interruptions volontaires de grossesse. Ce médecin vosgien de 78 ans revient sur le moment qui l’a fait changer d’avis sur l’avortement.

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Depuis maintenant un demi-siècle, l'avortement est dépénalisé en France. À l’origine, un projet de loi visant à dépénaliser l’interruption volontaire de grossesse porté par Simone Veil, ministre de la Santé sous Valéry Giscard d'Estaing. Tolérée à ses débuts, avec loi Veil du 17 janvier 1975, l’IVG s’est peu à peu juridiquement normalisée jusqu’à intégrer, le 8 mars 2024, l’article 34 de la Constitution. "La loi Veil devait être une loi temporaire. C’était inimaginable, à cette époque, d'envisager qu’un jour l’IVG serait inscrite dans la Constitution. Les changements se sont faits lentement mais aujourd’hui, les choses ont beaucoup changé. Le délai légal de l'IVG est passé de 12 à 14 semaines de grossesse en 2022 et le délai légal minimum de réflexion est désormais supprimé", relate Jacques Oréfice, gynécologue obstétricien à Épinal (Vosges).

J’ai été témoin des terribles conséquences d’un avortement clandestin

Jacques Oréfice, gynécologue obstétricien

À l’automne 1973, un événement va bouleverser le regard du jeune Jacques Oréfice, alors âgé de 28 ans et interne en gynécologie obstétrique, sur l’IVG. Il revient sur l'événement qui l’a fait changer d’avis sur l’avortement. "J’ai été témoin des terribles conséquences d’un avortement clandestin. Une femme d'environ 35 ans, déjà mère de trois enfants, s’était fait avorter avec des aiguilles à tricoter par une "faiseuse d’anges". Elle a été admise aux urgences où elle est décédée d’une septicémie sous mes yeux. Ça a été un des moments les plus marquants de ma vie et cela a fait basculer mes hésitations et mes réticences. Depuis, je n’ai plus eu d’état de conscience. J’ai compris, ce jour-là, la nécessité de dépénaliser l’avortement, quel que soit l’avis personnel des uns ou des autres", explique le médecin, aujourd’hui âgé de 78 ans.

Jacques Oréfice, gynécologue obstétricien à Épinal (Vosges). © Jacques Oréfice

Jacques Oréfice se souvient de l’avant et de l’après loi Veil. "L’attitude du corps médical était épouvantable à l’époque, chaque femme qui faisait une fausse couche était suspectée d'avoir eu recours à un avortement illégal. Avant la dépénalisation de l’avortement, les choses étaient très compliquées. Nous connaissions tous des personnes qui se rendaient à l’étranger, ou qui trouvaient d’autres moyens illégaux, pour avoir accès à l'IVG. Grâce à des personnalités comme Simone Veil dans un premier temps, puis grâce au médecin chercheur Etienne-Emile Baulieu, l’inventeur de la pilule abortive (qui a permis une alternative à l’IVG chirurgicale ou instrumentale), l'accès à l’IVG a énormément évolué", rappelle Jacques Oréfice.

Plusieurs facteurs comme le totalitarisme religieux ou la montée de l'extrême droite peuvent tout remettre en question

Jacques Oréfice, gynécologue obstétricien

Au long de sa carrière, le gynécologue obstétricien spinalien Jacques Oréfice a mis au monde 12 345 bébés. Il a aussi pratiqué plus de 2500 interruptions volontaires de grossesse. "Maintenant, l’IVG est complètement rentrée dans les mœurs en France. Il ne se passe pas une semaine sans que je fasse une interruption volontaire de grossesse médicamenteuse. Nous ne sommes jamais à l’abri d’un retour en arrière, on ne connaît pas l’évolution que peut prendre la société. On le voit en Pologne, aux États-Unis, et dans de très nombreux pays du monde. Plusieurs facteurs comme le totalitarisme religieux ou la montée de l'extrême droite peuvent tout remettre en question", insiste le médecin d’Épinal.

Après 40 années d’exercice, Jacques Oréfice a pris sa retraite en 2016, à 69 ans. S’il ne réalise plus d’opérations et d’accouchements aujourd’hui, il a repris son activité depuis 2021. Il continue ses consultations auprès de ses patientes et continue de pratiquer des IVG médicamenteuses.

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