Le procès de la famille T., des "Ch'tis" soupçonnés d'avoir monté sur la Côte d'Azur une sorte de "PME" de proxénétisme très structurée, a démarré lundi à Grasse en présence de 16 membres présumés du réseau.
"Chacun portait sa pierre à l'édifice": dans le box, le patriarche Guy T., 56 ans, né près de Lille, décrit calmement son activité familiale comme le ferait n'importe quel chef d'entreprise, détaillant la répartition des rôles sans jamais dédouaner son fils cadet Benoît, "collecteur" auprès des filles.Il se présente comme un "fournisseur" logistique (logement, petites annonces, transport) pour des prostituées indépendantes, qui rapportaient à la famille au moins 7.000 euros par mois. Voire 26.000 euros, selon son fils aîné Xavier, "l'informaticien" en charge des sites internet pour appâter les clients.
L'ex-femme Sabine ou encore le frère Jean-François sont aussi poursuivis pour avoir aidé le chef du clan à blanchir l'argent. "J'ai jamais tapé les filles", assure Guy, lorsque le président du tribunal Marc Joando relit une litanie de propos menaçants et dégradants sur les prostituées. Des conversations téléphoniques enregistrées avec Olivier Bizet, "le rabatteur" rencontré dans un bar à hôtesses belge et resté dans le Nord. Les deux hommes parlent de corriger les fainéantes ou casser les jambes de leurs mères.
Pas de lien avec Dodo la Saumure
"C'était seulement pour un jeu de rôle", prétend Guy, expression reprise par le rabatteur Olivier. "Vous +jouez+ donc aux +macs+?", résume le président du tribunal Marc Joando, dubitatif. Aucun lien n'a cependant été établi avec le désormais célèbre Dodo la Saumure, souteneur revendiqué en Belgique et figure du procès du Carlton qui se déroule à Lille, même si M. Joando n'a pas résisté à la tentation d'y faire allusion lundi.Hasard géographique, le procureur de Grasse, Georges Gutierrez, est celui qui avait requis un non-lieu en faveur de Dominique Strauss Kahn dans cette affaire du Carlton, lorsqu'il était encore vice-procureur du parquet de Lille, sans être suivi par les juges d'instruction.
"Une machine à faire de l'argent"
Gérant d'une discothèque à Tournai en 1994-95, qui a brûlé, Guy T. s'installe sur la Côte d'Azur en 1999. Lorsqu'il est arrêté en décembre 2013, il touche officiellement le RSA et vit avec sa compagne Marie-Josée dans une villa avec piscine au Muy (Var) estimée à 800.000 euros. Selon les enquêteurs, l'activité de proxénétisme se serait déroulée entre 2008 et 2013, rapportant quelque 2 millions d'euros grâce à une quarantaine de femmes exerçant dans des hôtels puis des meublés à Cannes, Mougins, Mandelieu-la-Napoule et Fréjus."Vous n'avez jamais été embêté sur un tel territoire?" demande le procureur-adjoint de Grasse, Philippe Toccanier. "Non, je faisais bien mon boulot", rétorque le chef du clan, tout en ajoutant qu'il ne peut pas tout dire par peur de "représailles". "Une prostituée n'est pas une paria de la société", lance le patriarche, se présentant comme un "confident" des jeune femmes qui monnayaient leurs charmes avant de le connaître.
La première recrue Tiphaine -également poursuivie pour proxénétisme pour avoir ensuite accueilli d'autres prostituées- "y a trouvé son compte", dit avec froideur "l'entrepreneur" qui rédigea un guide pratique pour les nouvelles arrivantes. "Guy T. revendiquait cette machine à faire de l'argent comme son concept", au point d'avoir mal supporté d'être imité localement par des prostituées, a précisé lundi l'adjudant-chef Michel Dridi, directeur de l'enquête de la brigade de gendarmerie de Cannes.
Les femmes versaient jusqu'à 350 euros quotidiennement à la famille et se faisaient payer environ 120 ou 200 euros "la passe". "Je savais que ce que je faisais était illégal", admet le fils Benoît dans le box, expliquant dans un sanglot son amour pour son père pris à la gorge financièrement par ses banquiers. Son ton angélique tranche aussi avec des écoutes téléphoniques,glaçantes.
Seront notamment jugées jusqu'à vendredi des agents immobiliers très arrangeants, un photographe qui tirait des portraits de charme ou encore un créateur de sites web en costume-cravate jouant le naïf.